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Palestine - 31-12-2005

Sans État palestinien en vue,
l'aide devient un accessoire de l'occupation

Par Ghada Karmi  >  ghada.karmi@btinternet.com

Ghada Karmi était consultant en matière d'information auprès de l'Autorité Palestinienne basée à Ramallah

 

Dans le contexte d'une occupation qui dépouille les Palestiniens de leurs terres et de leurs ressources, les maintient emprisonnés dans des ghettos, et contrôle chaque aspect de leurs vies, que devrait être le raisonnement de l'aide internationale?
Sans aucun doute, l'aide d'urgence est essentiel à la survie palestinienne et ne peut pas être retirée à la légère.
Mais ne devrait-on pas aborder aussi sa cause, l'occupation par Israël ? Autrement, l'aide devient tout simplement un accessoire de l'occupation.

La politique israélienne est la cause du besoin dans les territoires occupés, mais les donateurs payent sans la remettre en cause
Ce mois-ci a vu une pléthore d'actions à un niveau élevé conçues pour placer sous occupation les Palestiniens.

Une conférence d'investisseurs du secteur privé a eu lieu à Londres pour discuter des différentes façons de booster l'économie palestinienne.
Celle-ci faisait suite à la réunion des ministres des finances du G7 début décembre, qui a promis son soutien en disant que "le développement économique en Cisjordanie et à Gaza était un élément indispensable pour une paix durable dans la région".
Et cet été, le sommet du G8 à Gleneagles a promis à l'Autorité Palestinienne 3 milliards de dollars par an pendant trois ans.
En mars prochain, les pays donateurs décideront de leurs allocations à l'Autorité Palestinienne.

Ça a l'air bien. Mais ces donateurs feront-ils une pause pour s'apercevoir que l'occupation par Israël de la Palestine est faite pour continuer à condition qu'ils restent prêts à la soutenir ?
Le grand besoin en aide des Palestiniens est indiscutable : L'Autorité Palestinienne est pratiquement en faillite et a demandé une injection immédiate de 200 millions de dollars, juste pour des services basiques, d'ici février prochain.
Cependant, l'aide humanitaire seule ne résoudra pas le problème.

Travailler à Ramallah, comme je l'ai fait, rend ce fait criant d'évidence. L'enlèvement de l'humanitaire Kate Burton et de ses parents à Gaza cette semaine est un rappel incisif du contexte politique de l'aide.
Normalement, l'aide internationale accède directement aux Palestiniens, mais également par les innombrables ONG internationales.
Elles sont importantes sur le terrain en Palestine : En 2003, il a été estimé qu'il y en avait 38 seulement à Ramallah et 60 en tout, en plus des 80 ONG palestiniennes financées par l'aide.
La relation entre les donateurs et les ONG est ici complexe et potentiellement coercitive. Cela a des conséquences pour les Palestiniens les plus capables et les mieux instruits qui travaillent maintenant pour ces ONG, de plus en plus éloignés des moins chanceux dans leur propre société, sur des projets qui ne reflètent pas nécessairement des priorités locales.
Le besoin de renouveler le financement oblige souvent les ONG à organiser leurs agendas en fonction de ces donateurs, parfois contrairement à leur propre croyance.

En 2004, par exemple, l'Agence américaine Pour le Développement International a insisté que sur le fait que les ONG palestiniennes devaient s'engager à ne pas soutenir qui que ce soit qui "avait des liens avec des terroristes" comme condition pour un futur financement.
D'une manière plus flagrante, l'Union Européenne a menacé la semaine dernière de retirer son financement si des groupes militants étaient autorisés à participer aux prochaines élections palestiniennes.
Des formes plus subtiles de pression sont également communes et affecteront inévitablement le processus décisionnel politique.
J'ai trouvé que Ramallah traînait avec des "bienfaiteurs" de toutes nationalités.
Pour être aimable avec les Palestiniens, c'est maintenant une grande industrie, engendrée au début par les Accords d'Oslo en 1993. Lorsque, la communauté internationale a pensé que cela mènerait à l'apparition d'un État palestinien indépendant.
L'aide internationale a afflué pour soutenir l'autorité palestinienne naissante, pour construire l'infrastructure endommagée par des décennies d'occupation israélienne.
À compter de 1995, 7 milliards de dollars ont été dépensés dans cette entreprise, et d'autres aides ont été promises après l'évacuation de Gaza en août dernier.
Sous-jacente à cette aide, il y avait l'hypothèse qu'une solution de Deux-États était le but désiré, et que les Palestiniens avaient besoin d'aide pour se préparer à leur État.
Ainsi, jusqu'en 2000, de nombreuses aides ont été orientées sur des projets de bâtiments d'État, stimulant "un climat positif" pour des négociations de paix.
La deuxième Intifada qui a éclaté en 2000 a stoppé ce processus. Les donateurs ont été forcés de passer de la construction de l'État à une aide d'urgence, qui est actuellement de 1 milliard de dollars par an.
L'Union Européenne et les États membres soutiennent le plus gros de ce poids financier. Les USA y contribuent également, cependant bien moins qu'ils le font pour Israël.
Depuis 2002, ce sont les États Arabes qui ont sauvé de l'effondrement l'Autorité Palestinienne. La majorité de l'aide est destiné à l'assistance humanitaire et à la reconstruction de l'infrastructure de base détruite par les attaques des soldats israéliens.
Les Palestiniens sont aujourd'hui les plus grands destinataires de l'aide étrangère dans le monde.
Selon le rapport 2004 de la Banque Mondiale, ils souffrent de "la pire crise économique dans l'histoire moderne" : 75% des Palestiniens sont pauvres, et les taux de chômage sont de 60 à 70% à Gaza et de 30 à 40% en Cisjordanie.
Sans soutien externe, l'infrastructure et les services de base palestiniens ne survivraient pas.
Les Palestiniens se sont faits voler leurs terres agricoles et leur industrie et leur commerce a été dévasté par la politique de bouclage d'Israël. Ils ont peu de travail en Israël qui prévoit de cesser d'employer les travailleurs Palestiniens en 2008. Ils n'ont pratiquement plus aucune source indépendante de revenus.

Les donateurs connaissent bien les causes de cette situation désespérée.
Lors d'une conférence à Ramallah en juillet dernier, le représentant de la Banque Mondiale, Nigel Roberts, a franchement admis que l'occupation d'Israël était le problème.
Pourtant le financement continue, comme si pour tout le monde, les Palestiniens étaient des victimes non pas d'une politique israélienne délibérée, mais d'un désastre naturel.
Dans le contexte d'une occupation qui dépouille les Palestiniens de leurs terres et de leurs ressources, les maintient emprisonnés dans des ghettos, et contrôle chaque aspect de leurs vies, que devrait être le raisonnement de l'aide internationale?
Sans aucun doute, l'aide d'urgence est essentiel à la survie palestinienne et ne peut pas être retirée à la légère.
Mais ne devrait-on pas aborder aussi sa cause, l'occupation par Israël ?
Autrement, l'aide devient tout simplement un accessoire de l'occupation.
En payant sans opposition, les donateurs soulagent en effet Israël de ses engagements en vertu du droit international.
En tant que puissance occupante, Israël doit fournir l'aide et les services à la population palestinienne.
En tant que Hautes Parties Contractantes de la Convention de Genève, les donateurs sont obligés de s'assurer de la conformité au Droit d'Israël.

Rien de tout cela ne s'est produit. Au lieu de cela, l'aide internationale a rendu l'occupation gratuite.
Elle a même enrichi l'économie d'Israël : selon la Conférence sur le Commerce et Développement des Nations Unies, chaque dollar produit dans les Territoires Occupés rapporte 45 cents à Israël.
Hormis la critique récente de l'Union Européenne sur la politique d'Israël à Jérusalem Est Arabe qui a été rapidement retirée, les donateurs n'ont fait aucune tentative sérieuse pour remettre en cause les actions d'Israël, ni même de demander une compensation pour la destruction des projets palestiniens qu'ils avaient financés.
Au contraire, le processus pour préparer les Palestiniens à un modèle "d'État" occidental s'est accéléré.
Les projets étrangers financés pour la "démocratisation", les "réformes", la "capacité à construire" et d'autres mots à la mode importés ont doublé.
En l'absence d'un état palestinien ou de tout espoir d'en avoir un, cela devient un exercice de cynisme.
Les efforts des donateurs pour s'assurer que les services de sécurité palestiniens peuvent combattre le "terrorisme" (c'est à dire, la résistance à l'occupation), alors que l'armée israélienne assassine librement les Palestiniens, les bombarde et démolit leurs maisons, est immoral.
En se concentrant sur les effets de l'occupation plutôt que sur sa fin, les donateurs ont transformé le conflit en une ruée pour une survie socio-économique. Mais éloigner les Palestiniens de leur lutte nationale ne peut qu'aider Israël à leur imposer ses ultimes objectifs.
Si cela ne doit pas se produire, alors les donateurs doivent résoudre leur dilemme : Ne pas abandonner les Palestiniens à leur destin et ne pas affronter Israël sont incompatibles.

Affronter le tyran est un impératif moral, et, finalement, la seule façon pratique d'avancer.

Source : The Guardian

Traduction : MG pour ISM

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