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Pour les Palestiniens, Ariel Sharon restera l'homme associé à leurs souffrances

Gilles Paris, Le Monde du 06 janvier 2006

Pas plus que les Israéliens n'avaient regretté Yasser Arafat, les Palestiniens ne pleureront Ariel Sharon. C'est peu dire que l'ancien général est associé dans l'univers mental palestinien aux aspects les plus sombres d'Israël, et cela en dépit du retrait historique de Gaza. Le passé militaire d'Ariel Sharon explique pour une large part cet ancrage. Des coups de mains des années 1950 à la mise au pas de Gaza au début des années 1970, Ariel Sharon a conservé, aux yeux des Palestiniens, une image de guerrier brutal et sans scrupules. Cette image négative a été renforcée par le passage en politique de l'ancien général, devenu à partir de cinquante ans, au cours de ses multiples fonctions ministérielles, la cheville ouvrière de la colonisation de Gaza et de la Cisjordanie.

La confrontation directe avec l'Organisation de libération de la Palestine de Yasser Arafat viendra avec l'arrivée de M. Sharon au ministère de la défense. C'est alors l'aventure libanaise qui a pour but de mettre fin à la présence militaire palestinienne dans le sud du Liban et qui se traduit par le départ de Beyrouth de l'OLP sous protection internationale. Mais ce sont surtout les massacres perpétrés dans les camps palestiniens de Sabra et de Chatila par les milices chrétiennes sous le regard de l'armée israélienne qui feront d'Ariel Sharon, dont la responsabilité indirecte fut mise en cause par une commission d'enquête israélienne, un ennemi absolu, source inépuisable d'inspiration pour les caricaturistes arabes, à commencer par les Palestiniens, jusqu'à l'écoeurement.

Le 28 septembre 2000, à quelques centaines de mètres de là, sa visite sur l'Esplanade des mosquées apparaîtra comme un nouveau défi alimentant des manifestations dont la répression par la police israélienne, le lendemain, sonnera le début de l'Intifada Al-Aqsa. Au cours du second soulèvement palestinien, M. Sharon impose dans les territoires palestiniens un niveau de violence militaire inédit, qui se traduit par un nombre élevé de victimes palestiniennes. Cette politique de force s'accompagne d'un bouclage sans précédent de ces territoires.

C'est pourtant au moment où le premier ministre israélien exprime le plus ouvertement son mépris du symbole Arafat, enfermé à Ramallah, qu'il se convertit officiellement au concept d'"Etat palestinien". Il évoque les "concessions douloureuses" auxquelles il se dit prêt. En 2004, devant les délégués du Likoud, il reprend à son compte le terme d'"occupation" (kiboush), suscitant une énorme bronca. Cette évolution est soulignée par les pragmatiques de l'Autorité palestinienne, et notamment par Mahmoud Abbas, qui a maintenu le contact avec Ariel Sharon pendant plusieurs années avant de succéder à Yasser Arafat.

L'écrasante majorité des analystes palestiniens et l'opinion publique ne modifient pas en revanche leur regard. Pour eux, le retrait de Gaza conduit magistralement par Ariel Sharon n'est qu'un subterfuge pour détourner l'attention internationale de la progression de la colonisation en Cisjordanie. Contrairement à celle d'Yitzhak Rabin, qui s'était engagé dans le processus de paix d'Oslo après avoir recommandé à l'armée israélienne de "briser les os" des Palestiniens pendant la première Intifada, l'image d'Ariel Sharon auprès des Palestiniens n'aura pas été fondamentalement modifiée par cette initiative.

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