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« Arrêtez cette merde ! »
Uri Avnery

publié le mercredi 19 juillet 2006

On ne parviendra à aucune solution réelle,
parce qu’on ne traite pas la racine de la question, le problème palestinien.

 

UNE FEMME, immigrée de Russie, se jette à terre, désespérée, devant sa maison touchée par un missile, en criant en mauvais hébreu : « Mon fils ! Mon fils ! ». Elle croyait qu’il était mort. En réalité, il n’avait été que blessé et conduit à l’hôpital.

Des enfants libanais, couverts de blessures, dans les hôpitaux de Beyrouth. Les obsèques des victimes d’un missile à Haïfa. Les ruines de tout un quartier dévasté à Beyrouth. Des habitants du nord d’Israël fuyant vers le sud pour échapper aux Katyushas. Des habitants du sud du Liban fuyant vers le nord pour échapper à l’aviation israélienne.

Mort, destruction. Souffrance humaine inimaginable.

Et l’image la plus ignoble. George Bush, d’humeur joyeuse, assis sur sa chaise à Saint-Pétersbourg, avec son loyal serviteur Tony Blair penché sur lui, et trouvant la solution du problème : « Vous voyez ? Ce qu’ils doivent faire c’est d’amener la Syrie à faire en sorte que le Hezbollah cesse de semer la merde, et ce sera fini. »

Ainsi parla le dirigeant du monde, et les sept nains - « les grands de ce monde » - ont dit Amen.

LA SYRIE ? MAIS il y a quelques mois seulement c’est Bush - oui, le même Bush - qui incitait les Libanais à chasser les Syriens de leur pays. Maintenant, il veut qu’ils interviennent au Liban pour imposer l’ordre ?

Il y a 31 ans, quand la guerre civile libanaise faisait rage, les Syriens ont envoyé leur armée au Liban (invités, par qui ? Par les chrétiens). A l’époque, le ministre israélien de la Défense d’alors, Shimon Pérès, et ses associés, ont provoqué l’hystérie en Israël. Ils ont demandé qu’Israël lance un ultimatum aux Syriens pour les empêcher d’atteindre la frontière israélienne. Yitzhak Rabin, le Premier ministre, m’a dit alors que c’était un total non-sens car ce qui pouvait arriver de mieux à Israël c’était que l’armée syrienne se déploie le long de la frontière. Ainsi seulement le calme pourrait être assuré, le même calme qui régnait le long de notre frontière avec la Syrie.

Cependant, Rabin s’est incliné devant l’hystérie des médias et a arrêté les Syriens loin de la frontière. Le vide ainsi créé a été occupé par l’OLP. En 1982, Ariel Sharon a chassé l’OLP et le vide a été occupé par le Hezbollah.

Tout ce qui s’est passé depuis lors dans cette zone ne serait pas arrivé si nous avions permis aux Syriens d’occuper la frontière dès le début. Les Syriens sont prudents, ils n’agissent pas de façon inconsidérée.

A QUOI pensait Hassan Nasrallah quand il a décidé de traverser la frontière et d’y porter une action de guérilla qui a déclenché l’actuel sabbat de sorcières ? Pourquoi l’a-t-il fait ? Et pourquoi à ce moment précis ?

Tout le monde admet que Nasrallah est une personne intelligente. Il est également prudent. Pendant des années, il a accumulé un énorme stock de missiles de toutes sortes pour établir un équilibre de la terreur. Il savait que l’armée israélienne n’attendait qu’une occasion pour les détruire. Malgré cela, il a lancé une provocation qui a fourni au gouvernement israélien un prétexte en or pour attaquer le Liban avec l’approbation du monde entier. Pourquoi ?

Il est possible qu’il ait été sollicité par l’Iran et la Syrie qui lui avaient fourni les missiles, pour détourner d’eux la pression américaine. Et, en effet, la crise soudaine a détourné l’attention de l’effort nucléaire iranien, et il apparaît que l’attitude de Bush envers la Syrie a également changé.

Mais Nasrallah est loin d’être une marionnette de l’Iran ou de la Syrie. Il dirige un mouvement libanais authentique, et sait peser le pour et le contre. Si l’Iran et/ou la Syrie lui avaient demandé de faire quelque chose - et ce n’est pas prouvé - et qu’il avait considéré que c’était contraire aux objectifs de son mouvement, il ne l’aurait pas fait.

Peut-être a-t-il agi en fonction de considérations intérieures libanaises. Le système politique libanais était devenu plus stable et il devenait plus difficile de justifier le maintien de la branche militaire du Hezbollah. Un nouvel incident armé pouvait l’aider. (De telles considérations ne nous sont pas non plus étrangères, en particulier avant les débats budgétaires.)

Mais tout ceci n’explique pas le moment choisi. Après tout, Nasrallah aurait pu agir un mois avant ou un mois après, un an avant ou un an après. Il a dû y avoir une raison beaucoup plus forte pour le convaincre de se lancer dans une telle aventure à ce moment précis.

Et en effet, il y en avait une : la Palestine.

DEUX SEMAINES auparavant, l’armée israélienne avait déclenché une guerre contre la population de la bande de Gaza. Là aussi, le prétexte avait été fourni par une action de guérilla au cours de laquelle un soldat israélien avait été capturé. Le gouvernement israélien avait saisi l’occasion pour mettre en œuvre un plan préparé de longue date : briser la volonté de résistance des Palestiniens et détruire le gouvernement palestinien nouvellement élu, dominé par le Hamas. Et, bien sûr, arrêter les Qassam.

L’opération à Gaza est une opération particulièrement brutale, et c’est ainsi qu’elle apparaît sur les écrans de télévision du monde. De terribles images de Gaza sont montrées chaque jour et chaque heure dans les médias arabes. Morts, blessés, dévastation. Manque d’eau et de médicaments pour les blessés et les malades. Familles entières tuées. Enfants hurlant de douleur. Mères en pleurs. Bâtiments s’écroulant.

Les régimes arabes, qui sont tous dépendants de l’Amérique, n’ont rien fait pour aider. Etant donné qu’ils sont aussi menacés par des mouvements d’opposition islamiques, ils regardent ce qui se passe pour le Hamas avec une certaine satisfaction maligne. Mais des dizaines de millions d’Arabes, de l’Océan atlantique au Golfe persique, ont vu ce qui se passe, sont excédés et en colère contre leur gouvernement, appelant désespérément de leurs vœux un dirigeant qui porterait secours à leurs frères héroïques assiégés.

Il y a cinquante ans, Gamal Abdel Nasser, nouveau dirigeant égyptien, a écrit qu’il y avait place pour un héros. Il a décidé d’être lui-même ce héros. Pendant plusieurs années, il a été l’idole du monde arabe, le symbole de l’unité arabe. Mais Israël a saisi une occasion qui s’est présentée d’elle-même et l’a écrasé au cours de la guerre des Six-Jours. Après cela, l’étoile de Saddam Hussein est montée au firmament. Il a eu l’audace de se dresser devant la puissante Amérique et de lancer des missiles sur Israël et est devenu le héros des masses arabes. Mais il a été mis en déroute de façon humiliante par les Américains éperonnés par Israël.

Il y a une semaine, Nasrallah s’est trouvé devant la même tentation. Le monde arabe appelait désespérément un héros, et il a dit : Me voici ! Il a défié Israël, et indirectement les Etats-Unis et l’Occident dans son ensemble. Il a lancé l’attaque sans alliés, sachant que ni l’Iran ni la Syrie ne prendrait le risque de l’aider.

Peut-être s’est-il emballé, comme Abdel Nasser et Saddam Hussein avant lui. Peut-être a-t-il sous-estimé la puissance de la contre-attaque à laquelle il s’exposait. Peut-être croyait-il réellement que sous le poids de ses roquettes, les arrières israéliens céderaient. (Comme l’armée israélienne a cru que le massacre israélien pourrait détruire le peuple palestinien à Gaza et les chiites au Liban.)

Une chose est claire : Nasrallah ne serait pas entré dans ce cercle vicieux de violences si les Palestiniens ne l’avaient pas appelé à l’aide. Soit par froid calcul, soit par indignation morale, ou les deux - Nasrallah s’est précipité au secours de la Palestine assiégée.

ON AURAIT PU s’attendre à la réaction israélienne. Pendant des années, les chefs militaires ont attendu une occasion d’éliminer l’arsenal de missiles du Hezbollah et de détruire cette organisation, ou au moins de la désarmer et de l’éloigner loin, loin de la frontière. Ils sont en train d’essayer de le faire de la seule façon qu’ils connaissent : en causant tellement de dégâts que la population libanaise se lève et oblige son gouvernement à se rendre aux exigences israéliennes.

Ces objectifs seront-ils atteints ?

LE HEZBOLLAH est le représentant authentique de la communauté chiite qui forme 40% de la population libanaise. Avec les autres musulmans, ils sont la majorité du pays. L’idée que le pauvre gouvernement libanais - qui de toute façon inclut le Hezbollah - pourrait liquider l’organisation est ridicule.

Le gouvernement israélien demande que l’armée libanaise se déploie le long de la frontière. C’est devenu maintenant une litanie. Cette demande révèle une ignorance totale. Les chiites occupent des positions importantes dans l’armée libanaise, et il n’y a absolument aucune chance que celle-ci déclenche une guerre fratricide contre eux.

A l’étranger, une autre idée prend forme : qu’une force internationale soit déployée sur la frontière. Le gouvernement israélien s’y oppose catégoriquement. Une véritable force internationale - pas comme l’infortunée FINUL qui est là depuis des décennies - empêcherait l’armée israélienne de faire ce qu’elle veut. De surcroît, si elle y était déployée sans l’accord du Hezbollah, une nouvelle guerre de guérilla recommencerait contre elle. Une telle force, sans réelle motivation, réussirait-elle là où la puissante armée israélienne a échoué ?

Au mieux, cette guerre, avec ses centaines de morts et ses vagues de destructions, conduira à un nouvel armistice fragile. Le gouvernement israélien criera victoire et prétendra qu’il a « changé les règles du jeu ». Nasrallah (ou ses successeurs) clameront que leur petite organisation a tenu contre une des plus puissantes machines militaires du monde et qu’elle a écrit un nouveau brillant chapitre de l’héroïsme dans les annales de l’histoire arabe et musulmane.

On ne parviendra à aucune solution réelle, parce qu’on ne traite pas la racine de la question, le problème palestinien.

IL Y A DE NOMBREUSES années, j’ai écouté à la radio un des discours d’Abdel Nasser devant une foule énorme en Egypte. Il parlait des succès de la révolution égyptienne, quand des cris sont sortis de la foule : « Filastine, ya Gamal ! » (Palestine, oh Gamal ! ») Après quoi, Nasser a oublié de quoi il parlait et il s’est lancé dans un discours de plus en plus enflammé sur la Palestine.

Depuis lors, peu de choses ont changé. Quand la cause palestinienne est mentionnée, elle occulte tout le reste. C’est ce qui vient de se passer aussi.

Quiconque aspire à une solution doit savoir qu’il n’y a aucune solution sans règlement du conflit israélo-palestinien. Et il n’y a aucune solution au problème palestinien sans négociation avec la direction élue, le gouvernement dirigé par le Hamas.

Si on veut en finir une fois pour toute avec cette merde, comme Bush l’a si délicatement dit, c’est la seule façon.

 

Article publié le 19 juillet 2006, en hébreu et en anglais, sur le site de Gush Shalom

- Traduit de l’anglais « Stop That Shit ! » : RM/SW

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