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 Point de vue

Opération "Un bateau pour Gaza"

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-807765,0.html
Article paru dans l'édition du jeudi 31 août 2006 - page 20

Des collectivités françaises et belges jumelées avec des villes palestiniennes réclament une action humanitaire pour acheminer des vivres et des médicaments aux habitants de Gaza pris dans la tenaille israélienne. Et, bien sûr, un cessez-le-feu

L'opération militaire israélienne "Pluie d'été" a débuté le 25 juin. Elle faisait suite à l'attaque sur Kerem Shalom menée par des militants palestiniens, lors de laquelle deux soldats israéliens ont été tués et un troisième a été fait prisonnier. Officiellement, l'opération "Pluie d'été" vise à obtenir la libération du caporal Gilad Shalit, mais aussi à détruire les tunnels et caches d'armes et à faire cesser les tirs de roquettes venues du nord de la bande de Gaza, qu'essuie notamment la ville israélienne de Sderot.

Dès les premières heures de l'opération israélienne sur Gaza, plusieurs infrastructures importantes telles que les ponts, les routes, la centrale électrique ont été détruites. Le coût de ces destructions est colossal et il y a fort à parier qu'il sera demandé à la communauté internationale de payer le prix de ce démantèlement de la société palestinienne. Le mode opératoire militaire est par ailleurs le même que celui mis en oeuvre au Liban.

Sur fond de pauvreté chronique et de dégradation rapide, la fermeture complète des frontières de la bande de Gaza a imposé un blocus total aux personnes (fermeture de Rafah vers l'Egypte) mais aussi aux marchandises (fermeture du passage commercial de Karni, point d'entrée de produits alimentaires, médicaux, d'essence). Il s'agit là d'une première mesure de punition collective imposée aux populations civiles de Gaza. Depuis, les Palestiniens sont confrontés à une stratégie de "pression continue".

Le scénario est toujours le même : chars, bulldozers et forces armées pénètrent sur une zone ciblée qui est isolée du reste du territoire avec occupation des habitations, destructions des infrastructures (zones cultivées, habitations, hôpitaux, écoles, cimetières). Ces opérations, brutales, provoquent beaucoup de pertes au sein de la population civile. Les blessés graves ne trouvent plus de place dans des hôpitaux saturés. Parallèlement à ces opérations, les tirs sur l'ensemble de la bande de Gaza sont continus, à partir des avions, drones, hélicoptères et navires et maintiennent la population de Gaza dans un climat de terreur et de grande pression psychologique.

Au total, l'opération a déjà fait environ 200 morts et plus de 700 blessés, essentiellement des civils, parmi lesquels beaucoup de femmes et d'enfants. Ces victimes, enfermées dans la bande de Gaza, n'ont aucun endroit pour se réfugier et se protéger. Il faut imaginer ce que peut être la situation d'un million quatre cent mille personnes, parquées dans un petit territoire d'à peine 360 km2, ne pouvant échapper aux coups de l'une des armées les plus puissantes du monde. Dès les élections du 25 janvier, qui ont vu la victoire du Hamas, les conditions étaient réunies pour que la nasse se referme sur la Palestine et les Palestiniens, coupables d'avoir "mal voté". Le 10 avril, l'Union européenne a pris la décision de suspendre ses aides pour qu'elles ne soient pas perçues par le parti extrémiste. Mais où en est-on à ce jour des mécanismes qui devaient être créés pour continuer de verser les salaires sans passer par l'Autorité nationale palestinienne à laquelle il ne faut plus parler ? Où en sont les négociations avec la Banque mondiale pour mettre en place des systèmes afin de contourner le gouvernement palestinien ? A-t-on progressé ? A l'évidence, non.

Les Etats membres de l'Union européenne se retrouvent empêtrés. Les fameux mécanismes ne fonctionnent pas, la parole politique est paralysée. Le moins que l'on puisse faire, est d'avoir l'honnêteté de reconnaître que tout cela est un gigantesque échec politique doublé d'une tragédie humanitaire.

Nous avions été un certain nombre (les collectivités locales, les ONG, des parlementaires européens et nationaux) à prédire ce qui se produit aujourd'hui. Nous n'avons eu de cesse de dire à la Commission européenne qu'une pareille attitude serait contre-productive et ne ferait qu'accroître la souffrance des Palestiniens. Peine perdue. A un peuple privé de souveraineté, à un peuple occupé, à un peuple humilié, à un peuple enfermé, il a donc été décidé d'infliger une épreuve supplémentaire. Plus d'argent, plus de salaires. A cela vient s'ajouter le non-reversement par l'Etat d'Israël de la TVA qui doit revenir aux Palestiniens.

Certes, il n'y a pas de ressortissants étrangers à évacuer de la bande de Gaza et donc la communauté internationale et les médias peuvent se sentir moins concernés, mais il ne faut pas oublier les Palestiniens qui souffrent et que nous devons dans l'immédiat secourir. Pour le Liban, le président Chirac avait très vite proposé à la communauté internationale que des "corridors humanitaires" soient créés pour l'évacuation des ressortissants étrangers du Liban et pour l'acheminement de l'aide humanitaire. Gaza est proche de Beyrouth et les Palestiniens souffrent de la même façon que les Libanais. Il faut donc, là aussi, faire taire les armes et parvenir à la levée de l'embargo qui frappe si durement la bande de Gaza. Celle-ci doit bénéficier d'une aide d'urgence internationale, car les Palestiniens n'ont aucun contrôle sur ce qui peut entrer ou sortir de ce territoire, et la situation ne fait que se dégrader chaque jour.

Nous demandons aujourd'hui un cessez-le-feu pour la Palestine et pour la bande de Gaza. Nous demandons que puisse être acheminé "Un bateau pour Gaza" (en référence à l'opération "Un bateau pour le Vietnam" lancée par Bernard Kouchner en 1979) avec les produits de première nécessité. Du gazole pour les camions d'enlèvement des ordures ménagères, des groupes d'assainissement pour l'eau, du matériel médical pour la dialyse, des médicaments, des pansements, qui correspondent aux besoins des blessés de guerre... Les besoins sont gigantesques. Cette idée d'"Un bateau pour Gaza" répond, selon nous, à un devoir humanitaire pour la communauté internationale .

Nous demandons que l'UE et les Etats membres soutiennent l'initiative des collectivités locales européennes qui ont réussi à créer, en quelques jours, un fonds de solidarité et d'aide d'urgence pour les collectivités locales palestiniennes et leurs populations. Il faut savoir qu'aujourd'hui l'Organisation mondiale de la santé est en train de prépositionner dans les hôpitaux de la bande de Gaza des traitements contre le choléra, qui ne va probablement plus tarder à faire son apparition. Mais le peuple palestinien est-il encore de ce monde ?


Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en France ;
Véronique de Keyser
, députée européenne responsable de la mission d'observation du Parlement européen lors des élections législatives en Palestine ;
Bertrand Gallet
, directeur général de Cités-Unies France ;
Claude Nicolet
, président du Réseau de coopération décentralisée pour la Palestine ;
Georges Rovillard
, président de Cités-Unies Belgique.

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