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Vraiment, vous ne voyez pas ?

Amira Hass

http://www.protection-palestine.org/article.php3?id_article=3528
publié le samedi 2 septembre 2006.

" En tant que Juifs, nous bénéficions tous des privilèges que l’Etat d’Israël nous octroie. Nous sommes dès lors tous des collaborateurs. La question est de savoir ce que chacun d’entre nous fait, de manière véritablement active, directe et quotidienne, pour limiter la collaboration avec un régime de dépossession et d’oppression qui ne connaît pas la satiété."

 

Laissons de côté les Israéliens qui soutiennent idéologiquement la dépossession du peuple palestinien, sous-produit de « Tu nous as élu [parmi toutes les nations] ». Laissons de côté les juges qui blanchissent n’importe quelle politique militaire de mort et de destruction. Laissons de côté les chefs militaires qui emprisonnent sciemment un peuple entier dans des enclos ceints de murailles, de miradors fortifiés, de mitrailleuses, de fil de fer barbelé, de projecteurs aveuglants. Laissons de côté les ministres. Tous ceux-là ne sont pas comptés parmi les collaborateurs. Eux, ce sont les architectes, les promoteurs, les concepteurs, les exécutants.

Mais il en est d’autres. Des historiens et des mathématiciens, de grands éditeurs, des stars des médias, des psychologues et des médecins de famille, des juristes qui ne sont pas sympathisants de Goush Emounim ni de Kadima, des enseignants et des éducateurs, des amateurs de randonnées et de chansons entonnées en chœur, des virtuoses de la haute technologie. Où êtes-vous ? Et qu’en est-il de vous, chercheurs spécialisés dans le nazisme et le génocide, l’antisémitisme et les goulags soviétiques ? Se peut-il vraiment que tous vous souteniez des lois méthodiquement discriminatoires ? Des lois qui feront que les Arabes de Galilée ne recevront même pas d’indemnités pour les dommages de la guerre, à hauteur des montants auxquels auront droit leurs voisins juifs (Aryeh Dayan, Haaretz, 21 août).

Se peut-il que tous vous souteniez une loi de citoyenneté raciste qui interdit à un Israélien arabe de vivre chez lui avec sa famille ? Que vous vous rangiez du côté de l’expropriation de nouvelles terres encore et de la dévastation d’autres vergers encore, pour offrir encore un quartier aux colons, encore une route pour les Juifs seulement ? Se peut-il que vous appuyiez les tirs d’obus et de missiles qui tuent des vieillards et des enfants dans la Bande de Gaza ?

Se peut-il que tous vous soyez d’accord qu’un tiers du territoire de la Cisjordanie (la Vallée du Jourdain) soit fermé aux Palestiniens ? Que tous vous appuyiez la politique israélienne qui empêche à des milliers de Palestiniens citoyens de pays étrangers de rejoindre leur famille dans les Territoires ?

Avez-vous le cerveau à ce point lavé par l’excuse sécuritaire, en vertu de laquelle on interdit à des étudiants de Gaza d’aller étudier l’ergothérapie à Bethlehem et la médecine à Abou Dis, ou à des malades de Rafah de recevoir des soins à Ramallah ? Aurez-vous tôt fait, vous aussi, de vous abriter derrière l’explication « nous ne savions pas » ? Nous ne savions pas que la discrimination pratiquée dans la distribution de l’eau - une distribution sous contrôle israélien - laissait sans eau des milliers de maisons palestiniennes durant tous les mois d’été, nous ne savions pas que lorsque l’armée israélienne bloquait l’entrée de villages, elle empêchait également leur accès aux puits et aux citernes d’eau.

Mais il n’est pas possible que vous ne voyiez pas les portes métalliques tout au long de la route 443 en Cisjordanie, ces portes qui en barrent l’accès à partir des villages palestiniens qui la bordent. Il n’est pas possible que vous souteniez le fait qu’on empêche des milliers d’agriculteurs palestiniens d’accéder à leurs terres et à leurs vergers, que vous souteniez le blocus de Gaza qui empêche l’entrée de médicaments pour les hôpitaux, que vous souteniez la coupure de la fourniture d’électricité et les coups portés à la distribution d’eau pour 1,4 millions de personnes, ou encore la fermeture pendant des mois de la seule issue qu’ils ont sur le monde.

Se peut-il que vous ne sachiez pas ce qui se passe à un quart d’heure de vos chaires d’université ou de vos bureaux ? Vous viendra-t-il à l’esprit que vous soutenez un système dans lequel des soldats hébreux, à des barrages installés au cœur de la Cisjordanie, font s’aligner en file des dizaines de milliers de personnes, chaque jour, sous un soleil de plomb, heures après heures, et font le tri : les habitants de Tulkarem et de Naplouse ne sont pas autorisés à passer ; ceux qui ont 35 ans ou moins : yalla, retour à Jénine ; pour les habitants du village de Salem, il est totalement interdit d’être ici ; une femme malade qui dépasse la file doit apprendre les bonnes manières et elle sera retenue pendant des heures, volontairement.

Le site de « Machsom Watch » est ouvert à tous. On peut y trouver d’innombrables témoignages semblables ou plus durs : activité de tous les jours. Non, il n’est pas possible que celui qui pousse de hauts cris pour chaque croix gammée tracée sur une tombe juive en France et pour tout titre antisémite apparaissant dans un journal local espagnol, ne sache pas comment avoir accès à cette information, ne soit pas choqué et ne pousse pas de hauts cris.

En tant que Juifs, nous bénéficions tous des privilèges que l’Etat d’Israël nous octroie. Nous sommes dès lors tous des collaborateurs. La question est de savoir ce que chacun d’entre nous fait, de manière véritablement active, directe et quotidienne, pour limiter la collaboration avec un régime de dépossession et d’oppression qui ne connaît pas la satiété. Signer une pétition qui se présente et faire un petit bruit de langue désapprobateur, cela ne suffit pas. Israël est une démocratie pour ses Juifs. Notre vie n’est pas mise en danger si nous protestons, nous ne serons pas envoyés dans des camps de prisonniers, nos revenus ne seront pas affectés, et il n’arrivera rien à nos moments de détente au cœur de la nature ou à nos escapades à l’étranger. Mais alors, le poids de la collaboration et de la responsabilité directe n’en est que plus incommensurablement lourd.

 

Haaretz, 30 août 2006 - http://www.haaretz.co.il/hasite/spa...
Version anglaise : http:/:www.haaretz.com/hasen/spages...
Traduction de l’hébreu : Michel Ghys

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