Retour

A Naplouse, le désarroi du personnel hospitalier
face aux sanctions financières

Article paru dans l'édition du 28.11.06 www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3218,36-839030@51-803567,0.html

NAPLOUSE (CISJORDANIE) ENVOYÉ SPÉCIAL

- interview de Régis Garrigue (du CHR de Lille) -

 

Les lits des urgences de l'hôpital Al-Watani de Naplouse sont vides. Derrière le comptoir des admissions, deux employés trompent l'ennui en discutant au téléphone. Un avis prévient les visiteurs : "Les urgences n'admettent que les gens qui risquent de mourir."

Depuis près de cent jours, le personnel d'Al-Watani est en grève pour protester contre le non-versement des salaires qui affecte la quasi-totalité des fonctionnaires palestiniens du fait des sanctions financières imposées par Israël et la communauté internationale au gouvernement dirigé par le Mouvement de la résistance islamique (Hamas). "Sur une vacation normale, nous recevons en moyenne 80 patients", explique le docteur Ashraf Jarrar, qui n'a pas enfilé sa blouse blanche, pour signifier qu'il se contente d'assurer un service minimum. "Depuis la grève, nous n'acceptons que les cas critiques. Sur les vingt personnes qui se sont présentées aujourd'hui, nous n'en avons admis que quatre."

Le jeune Razeq Rayan, âgé de 7 ans, en fait partie. Assis aux côtés de sa mère dans le hall d'entrée, il attend, le visage blafard, la venue d'une ambulance qui doit le conduire dans un hôpital privé de Jérusalem-Est. La santé du garçonnet, qui souffre d'insuffisance rénale, vient de se détériorer. "Il y a quelques mois encore, il y avait un néphrologue à Naplouse qui assurait les dialyses pour les enfants, précise Ashraf Jarrar. Mais depuis qu'il est parti travailler dans les Emirats, nous devons transférer tous nos malades vers d'autres établissements. Comme c'est une urgence, nous n'avons pas eu le temps de lui obtenir un permis. Je ne sais pas si les soldats israéliens au check-point le laisseront passer."

Asphyxie financière, manque de personnel, morcellement de la Cisjordanie par les barrages militaires : le cas de Razeq Rayan résume les maux qui paralysent le système de santé palestinien. En juin, sur l'insistance des diplomates européens, le Quartet (Union européenne, Etats-Unis, ONU et Russie) avait élaboré un mécanisme de financement indirect de l'Autorité palestinienne (Temporary international mechanism - TIM) destiné notamment à garantir le bon fonctionnement des hôpitaux publics.

A l'évocation de ce système, le docteur Hussam Jawhari, directeur d'Al-Watani, esquisse un sourire désabusé : "Sur les neuf derniers mois, je n'ai touché que 20 % de mon salaire. La moitié de nos lits sont fermés. (...) Nous sommes salement punis par la communauté internationale."

Selon le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), sorti pour l'occasion de sa traditionnelle réserve, les dix établissements publics de Cisjordanie touchés par la grève ne fonctionnent qu'au cinquième de leur capacité. "L'affichage du TIM sur la santé ne doit duper personne, dit Régis Garrigue, le chef de mission de Médecins du Monde en Palestine, venu créer une nouvelle ONG, Help, pour répondre à cette urgence. Il y a une véritable crise d'accès aux soins, aux vaccins et aux médicaments. Dans quatre ou cinq ans, on risque de constater un impact sur la mortalité, avec la résurgence de maladies et des handicaps plusnombreux."

Derrière une porte de la casbah de Naplouse, un homme est recroquevillé sous des couvertures, le visage hagard. Abu Suleiman, la quarantaine, souffre de graves troubles psychiatriques. Du fait de la grève et de son incapacité à payer un hôpital privé, sa femme n'a pas pu lui apporter ses cachets depuis deux mois. L'homme alterne les périodes d'apathie profonde et de violence à l'égard de ses enfants. "Il faut pousser les portes pour saisir la gravité de la situation, dit M. Garrigue. Des gens, cachés chez eux, meurent à petit feu par arrêt thérapeutique forcé."

Benjamin Barthe

 

Retour