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12 heures en Palestine
“Vous n’êtes pas bienvenue en Israël”
Témoignage
(JPG)

http://www.tlaxcala.es/pp.asp?lg=fr&reference=2587
http://www.info-palestine.net/article.php3?id_article=1491

Nadia Hasan, 4 mai 2007

Traduit par Fausto Giudice

Nadia Hasan

Nadia Hasan est née au Chili, dont elle a la nationalité, de parents palestiniens qui ont émigré après l’occupation de la Cisjordanie, de Jérusalem et de Gaza suite à la Guerre des Six Jours en 1967. Nadia veut revoir son pays d’origine, où elle a passé en tout et pour tout à peine 8 mois. L’année dernière, elle avait fait une tentative d’entrer en Palestine occupée, mais elle avait été refoulée après une série d’humiliations par les services israéliens de « sécurité ». Il y a quelques jours, elle a fait une nouvelle tentative d’entrer dans le pays, forte d’une lettre du ministère des Affaires étrangères israélien – suite à une protestation du gouvernement chilien - qui lui assurait qu’elle n’était plus interdite d’entrée. Voici ce qui lui est arrivé.

 

J’ai atterri à Tel Aviv à 7 heures du matin, j’ai donné mon passeport au contrôle et après moins de deux minutes, trois types sont arrives, qui m’on dit qu’ils m’attendaient. Ils m’ont emmenée dans une grande pièce avec toutes mes affaires. Plus de vingt personnes se sont alors mises à contrôler chaque détail. Avant tout chose, ils ont pris mon téléphone mobile et ont recopié sous mes yeux chaque numéro de téléphone et chaque nom qui y étaient enregistrés. Ils ont regardé mes SMS, les derniers appels reçus ou faits, les photos prises, tout.
Après ça, ils m’ont vérifiée moi, mon corps, mes vêtements, mes cheveux, mes oreilles, même mes ongles.
Un type m’a été présenté comme étant Samy (je ne me rappelle pas son nom). « Je suis Samy, du ministère de la Défense, ça fait quelques jours que j’attendais ton arrivée, je vais travailler sur toi aujourd’hui, on va tout mettre sur la table, ça va être dur parce que je ne suis pas une bonne personne, je suis fort, c’est pour ça qu’on m’a choisi, tu es une personne spéciale, Nadia, et tu auras droit au meilleur système de sécurité que nous ayons, si tu collabores avec nous, nous t’aiderons. »
Samy m’a emmenée dans une pièce très loin du centre principal de l’aéroport. Le bureau avait le logo du ministère de la Défense, une femme était avec nous tout le temps (selon lui, c’était pour que je me sente pas mal à l’aise. Il m’a dit : »je connais les filles arabes, vous ne voulez pas êtres seules avec un homme, nous vous respectons, ne t’en fais pas. ») Avant toute chose, il a pris plusieurs photos de moi et a ouvert un fichier dans son ordinateur. Il m’a interrogé sur ma famille, les numéros de téléphone, professions, nombres d’enfants, adresses, tout. Il a fait une copie de ma carte de crédit, me disant qu’il devait vérifier les mouvements d’argent, il a copié ma carte d’identité, mon permis de conduire, les photos de ma famille, notant qui était qui etc.

 

Après ça, il a commencé : « je ne suis pas là pour vérifier ce que tu as fait à Naplouse, si tu as travaillé là-bas ou pas, si tu y as séjourné plus que la durée autorisée, si tu t’es engagée dans des activités illégales etc. Il y a des gens qu travaillent là-dessus, mon boulot c’est de verifier si TU ES ENGAGÉE DANS DES ACTIVITÉS TERRORISTES. Pour ça, nous devons vérifier les gens avec lesquels tu es en relation parce que NOUS SAVONS que tu connais 5 personnes, des terroristes, les pires ici, qui sont des proches amis à toi. Si tu nous donnes leurs noms (malgré le fait que nous les ayons déjà), si tu collabores avec nous, Nadia, nous allons t’aider. »   
Et le cirque a commencé.
Il a commencé avec les gens enregistrés dans mon portable, un à un, tous les 163. « Qui est-ce, comment tu l’as rencontré, est-ce que tu es encore en contact avec lui/elle actuellement ? » etc. Il a vérifié chaque nom correspondant aux numéros de téléphone palestiniens et jordaniens, sur son ordinateur, et à chaque fois, la photo de la personne apparaissait. J’ai vu les photos de Sam, d’Anita, de Yusra, de Sumaida etc. Mais eux ne posaient pas de problèmes. À un moment, il a commencé à m’interrger sur des gens de Balata et du Camp d’Askar, des gens que j’étais supposée connaître et dont il s’attendait à ce que je les mentionne. Il m’a dit qu’il faisait des contrôles sur moi depuis quelques mois. « On a interrogé beaucoup de gens que tu connais à Naplouse, et presque tous reviennent sur cinq noms, nous disant que ce sont de très proches amis à toi. Beaucoup de gens à Naplouse te connaissent, Nadia, et nous les avons tous contactés. Maintenant, il faut que tu parles. »
Je ne savais pas après qui il en avait, comme vous pouvez l’imaginer. En continuant à éplucher la liste de noms sur mon portable, il a trouvé deux de ces cinq noms qu’il recherchait. 3 heures d’interrogatoire ont concerné un de mes amis, un ami très proche. Il m’a montré sa photo et une photo de son frère. Dans mon portable, j’avais un SMS de lui me souhaitant bonne chance pour mon voyage et j’avais aussi une photo de son frère, car je l’avais visité deux jours auparavant dans un camp ici en Jordanie. J’ai expliqué que nous étions amis. Je lui ai dit quand et comment nous nous sommes connus e quel genre de relation nous avons.
Le type n’arrêtait pas d’appeler quelqu’un au téléphone et immédiatement, de nouvelles photos apparaissaient sur son ordinateur et il m’interrogeait sur ces personnes, que pour la plupart je n’avais jamais vues de ma vie, mais j’en connaissais certaines, dont j’avais même les numéros dans mon portable.
Il m’a dit que ces gens sont les pires ici, liés à des activités terroristes, et comment est-ce possible que je n’en sache rien alors qu’il est clair que nous sommes de bons amis.
Je lui ai répondu qu’on ne peut pas me faire des reproches pour des choses que d’autres ont fait ou pas fait, que je ne savais pas de quoi il parlait. Je lui a de nouveau expliqué comment j’avais rencontré ces gars et tout, mais il a continué à dire que je n’étais pas en train de lui dire la vérité, car la vérité, il la connaissait déjà et que je ne pourrais pas entrer à nouveau en Israël si je ne collaborais pas avec lui en lui fournissant plus de détails.
Il a de nouveau regardé mon portable et m’a demandé comment il se faisait que sur 163 numéros, je n’avais que 13 numéros de Jordaniens et que tout le reste étaient des Palestiniens. « Comment se fait-il que toi, Nadia, une jeune femme maligne, bien roulée, séduisante, tu n’aies pas plus de relations avec des gens en Jordanie ? Comment se fait-il, Nadia, que tu ailles chaque jour de ton travail à ton domicile à Amman et que tu ne fasses rien d ‘autre pendant plus d’un an, car ça, nous le savons. Qu’est-ce que tu es en train de planifier, pourquoi tu insistes si désespérément pour entrer en Israël ? Est-ce parce que tu es liée à ces terroristes ? Est-ce qu’ils t’ont demandé de faire quelque chose ? Es-ce qu’ils t’ont demandé de l’argent ? T’ont-ils demandé si tu étais mariée ? Qu’est-ce que tu as prévu de faire avec eux dès que tu  seras entrée ici ??? Nous savons la vérité, mais nous voulons l’entendre de toi et encore une fois, si  u ne collabores pas, nous ne pourrons pas t’aider. »
Après quelques minutes un autre type, Amir, entre dans la pièce. Il me regarde et dit : « Arrête de mentir, tu nous caches quelque chose et nous le savons. Tu as des mauvais amis et tes relations avec eux te lient à leurs activités. Je n’ai pas confiance en toi et pour ça, tu n’entreras jamais (en Israël. »
Une fois qu’il est sorti et que je me suis retrouvée seule avec Samy, j’ai commencé à pleurer, à pleurer comme un bébé et je lui ait dit que je voulais en finir avec cet interrogatoire et khalas. Renvoyez-moi en Jordanie, je ne sais pas ce que vous cherchez et je n’ai aucun lien avec ce que vous pensez. Samy s’est assis à côté de moi et m’a dit gentiment : « Tu es quelqu’un de bien, une femme forte. Je vois que tu as eu une bonne éducation. Ne te leurres pa, c’est l’occasion de dire la vérité. On va t’aider : donne-moi les trois autres noms dont nous savons que tu les connais et ne pleure plus. Pourquoi tu es si nerveuse ? Pourquoi est-ce que c’est si important pour toi ? Je ne comprends pas et si je ne comprends pas, je ne peux penser de toi que ce que je pensais déjà de toi JE NE TE LAISSERAI PAS ENTRER (EN ISRAÊL) SI JE NE SAIS PAS TOUT CAR JE SERAI RESPONSABLE SI TU TE FAIS SAUTER À TEL AVIV. »
L’interrogatoire a continué, il a fait des copies de toutes les photos que j’avais et il s’est mis à écrire le nom de chaque personne, regardant dans son ordinateur.  Il a trouvé une autre photo de quelqu’un qui d’après lui était un terroriste et il a dit : »Nadia, peut-être que tu as les mains propres mais si on met les mains dans de l’eau sale, avec le temps, les mains vont être sales et tes mains sont déjà noires. »
Pour abréger, il m’a dit : « Ça ne va pas du tout pour toi, ta situation ici n’est pas bonne, tu as des liens étroits avec des activités mauvaises ici, et comme ce monde n’est plus en sécurité à cause des MUSULMANS (Nadia, souviens-toi de comment est le monde après le 11 Septembre à cause des Musulmans), tu es un grand risque pour la sécurité du peuple israélien et de tous les visiteurs dans ce pays. Israël est une démocratie, une des meilleures au monde, pas comme les pays arabes, et nous travaillons dur pour prévenir toute activité terroriste ici, et tu ne nous aides pas dans notre mission. »
Avant de me quitter, il a dit : « Mon équipe va décider maintenant de ce qu’on va faire de toi mais je ne pense pas que tu pourras entrer de nouveau ici, tu es un risque pour toi-même et pour les autres et tu peux faire ce que tu veux, tu peux aller au TRIBUNAL, par exemple. Si tu fais ça, je me ferai un plaisir  d’y aller personnellement et de m’assurer que TU N’ENTRERAS JAMAIS ICI DE NOUVEAU. »
Tout cet interrogatoire a duré de 7h20 à 16h15.
En bas des escaliers, le consul du Chili m’attendait, j’ai pu parler avec lui et sortir, accompagnée par un homme de la sécurité, pour fumer une cigarette. Je n’ai jamais revu Samy, il n’est pas revenu pour me dire les résultats de sa réunion, mais dès avant même la fin de l’interrogatoire, les gens de la sécurité avaient dit au consul que je n’étais pas autorisée à entrer en Israël.
Ils m’ont demandé de retourner à la salle de fouille, ils ont de nouveau fouillé tous mes bagages et moi-même, encore une fois, et ils m’ont mise dans un avion pour Amman à 19h
Je veux finir en disant à vous tous que, hier, j’ai fait de mon mieux, je ne pense pas que qui ce soit prêt à affronter quelque chose de tel, en tout cas pas moi, car je n’ai pas l’habitude d’être traitée comme une terroriste. Je suis désolée pour tous les gens qui ont des liens avec moi ; maintenant ils ont leurs noms et numéros de téléphone, ils peuvent les contrôler par ma faute. Je me sens comme la pire collaboratrice au monde et je rends la vie des autres encore plus dure que ce qu’elle est déjà.
Je ne sais pas à quel moment tout est devenu si sale. Pendant les 8 mois que j’avais passés en Palestine, je n’ai fait que des traductions, j’ai rencontré des gens, bu du café avec eux, apprenant des choses sur la vie en Palestine sans juger personne. Je ne regretterai jamais d’avoir de si merveilleux amis, en particulier ce gars qui, pour les Israéliens, est un des plus dangereux de Cisjordanie, mais je veux m’assurer que ni lui ni les autres n’auront de problèmes à cause de moi. Je veux rester à l’écart, je ne veux pas collaborer à perpétuer l’injustice à laquelle ils font face depuis le jour de leur naissance, pur la seule raison qu’ils sont nés Palestiniens.

Salam à tous
Nadia

 

PS le lendemain :
… Je n’ai plus peur. Je sais qu’hier, ils ont joué avec moi, ils voulaient me défaire mais ils n’y arriveront jamais, ce n’est pas moi la plus fable dans ce jeu infernal, ce sont eux.
Il y a quelques mois, j’ai travaillé pour obtenir le soutien du gouvernement chilien et j’y suis arrivée. Le gouvernement chilien a émis une protestation très ferme contre ma précédente déportation. J’ai eu le soutien de plus de 50 députés chiliens qui se sont engagés personnellement pour me soutenir. J’ai passé un mois au Chili, ayant des rencontres, y compris avec le ministre des Affaires étrangères, et après tout cela, le ministère israélien des Affaires étrangères m’a donné une lettre me disant que je n’étais plus interdite d’entrée en Israël.
Ils ont voulu orchestrer tout ce cirque pour m’humilier et me torturer  d’une part et d’autre part, aussi pour pouvoir prétendre que j’étais liée à des terroristes et que c’était la raison pour laquelle ils m’ont toujours refusé l’entrée, afin de riposter sur le plan politique et diplomatique. Ils veulent utiliser ce stratagème pour réparer les dommages que j’ai infligé à leur politique étrangère, au moins dans leurs relations avec le Chili. Ils m’avaient envoyé cette lettre pour me faire croire que mes efforts avaient porté leurs fruits. En même temps, ils préparaient une équipe spéciale pour me donner un traitement “spécial”. Il est évident que pour faire cela, ils ont reçu des directives des plus hautes autorités politiques. C’est un crime. Pour le justifier, ils inventent des histoires sur les gens. Je ne sais d’ailleurs même pas de quoi ces gens sont accusés. Que vous les connaissiez ou non n’est de toute façon pas si important. Ces gens peuvent être accusés de toutes sortes de choses, mais qui dit qu’ils sont coupables ? Quel tribunal va prouver la culpabilité de ces gens ? Une cour martiale israélienne ? Au diable ! Plus de 700 000 Palestiniens ont été arêtes par et détenus par les Israéliens. Combien d’entre eux ont été reconnus coupables d’un quelconque crime ou délit, même si les accusations étaient basées sur des ordonnances militaires pires que ce qu’ y avait dans le système d’apartheid en Afrique du Sud ?  Ce sont eux que nous devons conduire devant des tribunaux. Ils sont coupables !

Nadia Hasan est membre de Tlaxcala. Pour la contacter, écrire à tlaxcala@tlaxcala.es 

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