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Guerre civile en Palestine ?

Chat

L'intégralité du débat avec Gilles Paris,
correspondant du "Monde" en Israël
mercredi 13 juin

Alex M. :  Au vu de l'histoire tourmentée du Proche-Orient, peut-on qualifier cet embryon de guerre civile d'historique ? En clair, assiste-t-on à un véritable tournant dans le conflit ?

Gilles Paris :  Il s'agit d'un tournant côté palestinien, car pour la première fois, deux mouvements s'opposent militairement et se disputent le pouvoir, alors que pendant des années, le mouvement national palestinien est resté le monopole du Fatah, créé par Yasser Arafat. Ce monopole lui est maintenant disputé par les islamistes du Hamas.  

Stephane Marchettin :  Les raids israélien attisent-ils les tensions Hamas-Fatah ?  

Gilles Paris :  On assiste en fait à deux crises parallèles : la première, la plus ancienne, qui oppose les Israéliens aux Palestiniens, et la seconde, qui est inter-palestinienne. On peut faire l'hypothèse que des opérations israéliennes répétées et sanglantes réunissent temporairement les frères ennemis palestiniens contre un ennemi commun, mais on n'en est pas là pour l'instant.  

Pomme :  Pensez-vous que la légitimité de Mahmoud Abbas est assez solide pour traverser cette crise ?   

Gilles Paris :  Deux légitimités sont aux prises l'une avec l'autre : il y a celle de Mahmoud Abbas, membre du Fatah, qui s'inscrit dans la continuité politique des accords d'Oslo, soit un règlement négocié du conflit israélo-palestinien par le biais de la création d'un Etat palestinien aux côtés d'Israël. Cette légitimité, Mahmoud Abbas la tient de son élection à la tête de l'Autorité palestinienne en janvier 2005.

Mais il doit composer aujourd'hui avec celle du Hamas, qui l'a emporté démocratiquement lors des élections législatives de janvier 2006. Le Hamas a un programme politique différent de Mahmoud Abbas. On considère en général que leur victoire découle plus d'un vote sanction vis-à-vis du Fatah que d'une véritable adhésion à leurs idées. Il n'empêche que le Hamas se considère tout aussi légitime que M. Abbas.  

Ours :  Le Hamas sort-il renforcé de cette épreuve de force au sein de la population palestinienne ?  

Gilles Paris :  Jusqu'à présent, les troubles et l'insécurité étaient généralement imputés au Fatah, à ses milices profondément imbriquées dans les services de sécurité palestiniens. Mais désormais, le Hamas est lui aussi impliqué dans les désordres, les fusillades, les kidnappings qui se sont limités pour l'instant à Gaza. Cela va évidemment nuire à son image.  

JaJa :  Est-il crédible que Mahmoud Abbas puisse être renversé par un coup d'Etat du Hamas ?  

Gilles Paris :  Un coup d'Etat du Hamas est très improbable. D'une part, parce que le Hamas est déjà au pouvoir. Il partage le pouvoir avec M. Abbas, puisqu'il contrôle théoriquement le gouvernement de l'Autorité palestinienne. Un coup d'Etat est d'autant moins possible que le Hamas doit compter avec la puissance militaire du Fatah, qui continue d'avoir la mainmise sur la quasi-totalité des services de sécurité et sur l'administration.  

Quida :  Pensez-vous que le référendum de Abbas soit envisageable dans la situation actuelle ? Le feu n'en serait-il pas plus attisé ?   

Gilles Paris :  Le référendum imaginé par M. Abbas avait deux objectifs : le premier, interne, était de parvenir à un programme politique commun qui s'impose à tous ; le second était de revenir sur le devant de la scène internationale fort d'un pouvoir relégitimé, pour faire mentir l'analyse israélienne selon laquelle il n'existe pas de partenaire palestinien crédible. Ce double objectif est menacé à la fois par les accrochages inter-palestiniens et par la poursuite des opérations militaires israéliennes à Gaza comme en Cisjordanie. La tenue du référendum, si les troubles persistent ou s'accentuent, deviendra très vite problématique.  

Shem :  Le Fatah et ses supports extérieurs ne font-ils pas tout pour évincer le Hamas du pouvoir ?  

Gilles Paris :  Il est clair qu'une partie importante du Fatah n'a pas accepté le verdict des urnes en janvier 2006 et qu'elle travaille activement à l'échec du Hamas. Les ministres islamistes ont la plus grande difficulté à se faire entendre par leur administration ; les services de sécurité refusant globalement d'obéir au ministre de l'intérieur. Ces membres du Fatah, qui souhaitent retrouver rapidement un pouvoir qu'ils considèrent comme un patrimoine, sont confortés dans leur esprit de revanche par l'attitude des Occidentaux, principalement des Américains, qui souhaitent eux aussi un échec rapide des islamistes. Quel qu'en soit le prix pour la population palestinienne. 

Sebastien_M. :  La situation est-elle suffisamment grave pour déclencher une crise majeure ? Les Israéliens peuvent-ils à nouveau occuper les territoires ? Une troisième Intifada se prépare-t-elle ?  

Gilles Paris :  Les Israéliens occupent toujours la majorité des territoires palestiniens, puisqu'ils contrôlent la totalité de la Cisjordanie. Il est difficile de dire si la deuxième Intifada s'est réellement achevée au cours des mois précédents, il est difficile de dire si une troisième Intifada pourrait voir le jour. Ce qui frappe plutôt, c'est la permanence d'un conflit de basse intensité qui oppose des forces inégales. 

Raphael :  Suite aux affrontements récents inter-palestiniens, quelles sont à votre avis les incidences sur la vie quotidienne des Israéliens et comment ces derniers réagissent-ils ?   

Gilles Paris :  Pour l'instant, le gouvernement israélien ne peut que se réjouir de ce qui se passe côté palestinien. Il y contribue d'ailleurs à sa manière en bloquant une partie des recettes fiscales palestiniennes et en donnant ostensiblement son feu vert pour que des armes parviennent au chef de l'Autorité palestinienne, ce qui ne peut que compliquer la situation. En revanche, tout changerait si les Palestiniens décidaient de resserrer les rangs en provoquant de nouveaux affrontements frontaux avec les Israéliens, par exemple en ouvrant un cycle d'attentats, qui se traduirait automatiquement par de fortes représailles militaires israéliennes.  

Champdebataille :  Avez-vous des précisions sur le rapport remis hier soir par l'armée israélienne qui innocenterait Tsahal à propos du bombardement sur la plage de Gaza ?  

Gilles Paris :  Il s'agit d'un rapport rédigé par l'armée israélienne. Il est logique que ce rapport l'exonère de ses responsabilités, même s'il reste des incertitudes à propos des morts de la plage de Gaza. De son côté, Human Rights Watch continue de défendre la thèse d'une responsabilité israélienne à propos du bombardement de la plage.

Ce qui est en revanche indiscutable, c'est que les bombardements et les assassinats ciblés israéliens s'accompagnent mécaniquement de "dommages collatéraux". Les civils palestiniens payent au prix fort cette politique.   

Malphette :  La situation économique des Palestiniens est-elle devenue intenable après l'arrêt des aides ?  

Perrine :  Pensez-vous, comme Rony Brauman dans une récente tribune, que le retrait des aides européennes a été une grosse erreur (tout en disant que tout donateur est libre de ses choix) ?  

Gilles Paris :  Le budget palestinien, structurellement déficitaire du fait des bouclages israéliens, a été privé du jour au lendemain par Israël d'un tiers de ses recettes. Ce budget permettait le versement des salaires de plus de 150 000 fonctionnaires. Un million de Palestiniens vivaient grâce à cet argent. Aucun Etat ne pourrait faire face à de tels chocs, renforcés par le gel des aides européennes et américaines. Une explosion sociale pronostiquée par la Banque mondiale est inévitable et devrait, selon toute vraisemblance, survenir au cours de cet été.

Les Européens et les Américains, cinq jours seulement après la victoire du Hamas, ont énoncé trois conditions pour la continuation de leur aide : la reconnaissance d'Israël et des accords conclus auparavant, ainsi que la renonciation à la violence. Il s'agit, en gros, des principes politiques du Fatah. Il était donc peu probable que le Hamas les fasse siens du jour au lendemain.

En posant ces principes comme des préalables non négociables, et non comme des objectifs, les Occidentaux ont précipité une impasse dont ils sont tout aussi prisonniers aujourd'hui que les islamistes. Il aurait été sans doute plus judicieux de laisser un peu de temps au Hamas avant de bloquer les aides et les contacts.  

Geraldine :  Qu'a réellement changé le désengagement israélien ? Il signifiait plutôt un espoir alors que l'on assiste aujourd'hui au chaos ?  

Gilles Paris :  Le désengagement de Gaza a été vivement critiqué par l'ancien chef du Conseil national de sécurité israélien, Giora Eiland, qui a parlé le 4 juin d'occasion historique manquée. Avec le recul, ce désengagement apparaît plus comme un coup tactique d'Ariel Sharon que le fruit d'une stratégie. Il n'a pas apporté la stabilité ni pour les Palestiniens ni pour les Israéliens. Il n'a pas amélioré les conditions de vie à Gaza, et il a plutôt contribué au succès du Hamas. Pour autant, il reste considéré comme une décision courageuse par les Israéliens, même s'ils se montrent plus réticents aujourd'hui à ce qu'il soit répété en Cisjordanie.  

Ghada :  Pensez-vous que ces combats inter-palestiniens vont s'étendre au-delà des frontières du territoire et impliquer les Palestiniens qui sont au Liban ?  

Gilles Paris :  Il y a une cassure ancienne et nette entre les Palestiniens "de l'intérieur" et ceux de la diaspora. Au Liban, certains miliciens palestiniens peuvent être instrumentalisés par les Syriens, mais strictement dans le cadre des relations libano-syriennes. Par ailleurs, aucun fait notable n'a été enregistré dans les camps jordaniens.  

Yellifall@yahoo.fr :  Ne pensez-vous pas que le processus de paix engagé entre Israël et les Palestiniens est mort ?   

Gilles Paris :  Le processus de paix, tel qu'il avait été conçu à Oslo en 1993, est mort depuis longtemps. Une phase nouvelle s'est ouverte dont on peine encore à identifier les paramètres. On peut cependant dire que la perspective d'un accord négocié disparaît peu à peu. Elle laisse la place à deux unilatéralismes parallèles : celui envisagé par le premier ministre israélien, Ehoud Olmert, qui se propose de regrouper les colons habitant dans des implantations isolées de Cisjordanie dans des blocs de colonies annexées à Israël ; le deuxième unilatéralisme est celui du Hamas, qui s'accommode tout à fait d'un retrait unilatéral israélien, comme celui de Gaza, qui lui permet d'obtenir une partie des territoires occupés, ce dont le Fatah s'est montré incapable par la négociation, sans avoir à donner en échange quoi que ce soit. Le Hamas serait le principal bénéficiaire de nouveaux retraits en Cisjordanie si les Israéliens en décidaient ainsi.  

Chat modéré par Constance Baudry

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