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Coup de force et coup d’état

Thermidor et violences miliciennes en Palestine.
publié le vendredi 22 juin 2007

http://www.protection-palestine.org/spip.php?article5201

Qualifiée souvent à tort de coup d’état, la prise de contrôle sécuritaire et militaire de Gaza par le Hamas semble être plutôt un coup de force s’inscrivant dans la continuité logique des événements survenus depuis maintenant plus d’un an. D’abord parce que pour qu’il y ait coup d’état, au moins aurait-il fallu qu’il y ait un pouvoir légitime élu qui soit renversé par une force tierce : or, ici, ce n’est justement pas le cas, mais bien plutôt le contraire. Le Hamas bénéficie d’une réelle légitimité démocratique, répétée deux fois, aux législatives de janvier 2006 comme aux municipales de 2005, et d’une base populaire indéniable, particulièrement dans la Bande de Gaza. L’élimination des groupes armés du Fatah par la force milicienne hamsaouie, circonscrite à Gaza, si elle apparaît à bien des égards comme lourde de conséquences et sans doute manquant de justesse et de mesure politique, n’apparaît que comme la réponse logique au comportement catastrophique et putschiste d’un Fatah qui n’a jamais reconnu ni accepté le verdict populaire issu des élections législatives palestiniennes. L’affiliation et la subordination d’un des principaux dirigeants fathaoui de gaza, Muhammad Dahlan, aux directives politiques états- uniennes et occidentales tendant à isoler et à renverser s’il le fallait par la force le gouvernement élu de Ismaël Haniyeh, les provocations répétées des milices du Fatah et des forces de police palestinienne allant du kidnapping de militants du Hamas à l’exécution sommaire de certains d’entre eux, et ce dans la plus totale continuité de la politique adopté par l’Autorité lors de la période suivant les Accords d’Oslo – les organisations de défense des droits de l’homme dénonçaient régulièrement à cette époque les pratiques des soldats de l’Autorité, utilisant les arrestations arbitraires et les sévices sur les prisonniers islamistes - tout comme la série de blocages institutionnels opérés par le Président Mahmoud Abbas, qui a longtemps menacé de recourir à des élections législatives anticipées, alors même que le Hamas venait d’être élu, tout cela concourt à une montée des tensions entre les deux grandes factions du nationalisme palestinien.

Au moins faudrait-il remettre alors les choses dans leur contexte, et ne pas oublier qu’un long coup d’état rampant s’est progressivement mis en place dans les territoires palestiniens depuis janvier 2006, visant à isoler et à marginaliser un Hamas qui avait hérité d’une partie du pouvoir politique, par le biais d’élections qui avaient été voulues par le Fatah même. Un coup d’état rampant s’appuyant sur trois fronts combinés : un front international, par le blocage des aides attribués à l’Autorité Palestinienne et le blocus imposé au gouvernement Hamas par les principales puissances occidentales ; un front israélo-palestinien, qui s’est traduit par des offensives militaires redoublées de la puissance occupante, et par l’arrestation systématique des parlementaires et dirigeants du Hamas ; un front interne palestinien enfin, matérialisé par la collaboration pure et simple de certaines factions du Fatah avec les appareils de sécurité américains, jordaniens et égyptiens, avec la collaboration d’Israël, qui a permis le transfert d’armes à destination du Fatah. Ce dernier front était bien entendu symbolisé par Muhammad Dahlan et par le financement et l’entraînement de 5000 de ses hommes en Egypte avec la collaboration des services de sécurité américains. Quelque soit le jugement porté sur Hamas et ses options politiques, le mouvement de solidarité avec la Palestine ne peut que condamner cette politique tripartite, visant à détruire un mouvement politique de masse porté au pouvoir par les urnes, en isolant et en divisant les palestiniens entre eux et en favorisant les germes d’une guerre civile dont les conséquences sont encore incalculables, tant sur le champ politique palestinien que moyen- oriental en général.

Faut-il donc le répéter : légalement parlant, et au regard de la Loi fondamentale palestinienne, ce n’est pas tant le Hamas qui viole les règles du droit, que le Fatah et le Président Abbas lui- même : ce dernier, en limogeant le gouvernement de Ismaël Haniyeh, et en nommant un nouveau Cabinet d’urgence, outrepasse le droit palestinien, qui impose que ce soit le Parlement élu qui entérine la nomination du cabinet ministériel. Comment le Parlement, à majorité hamsaoui, pourrait-il nommer un cabinet dont l’intégralité des membres sont soumis à la bonne volonté du Président Abbas, et qui ne bénéficie strictement d’aucune légitimité populaire ? Comment, en somme, des parlementaires élus par le peuple palestinien peuvent-ils souscrire à une politique de licenciement politique ? Le langage hégémonique médiatique et politique occidental s’affole des exactions des miliciens du Hamas. Mais il ferme les yeux sur celles du Fatah actuellement à l’œuvre en Cisjordanie : saccage des institutions du Hamas et exécution sommaire de dizaines de militants, fermeture du parlement, investi il y a peu par les miliciens du Fatah, interdiction de la Branche armée du Hamas. La logique du deux poids deux mesures devient le langage premier de l’analyse politique, tout comme la violence se fait l’expression primordiale de l’action politique dans les territoires.

La perte de sens et la décomposition sociale- politique.

Il y a donc une perte de sens : perte de sens qui se traduit en Palestine par l’incapacité foncière du mouvement national dans son ensemble à penser une véritable stratégie de libération nationale et à travailler un minimum l’unité de ses rangs ; perte de sens qui empêche parfois de penser ce qui s’est passé, de recontextualiser et d’historiciser les dynamiques négatives qui ont conduit à cet état de fait. La dynamique de la violence et de la guerre civile résulte de plusieurs éléments combinés, qui se rencontrent et fusionnent aujourd’hui dans une crise politique et sociale sans précédent dans les territoires palestiniens :

1)le morcellement des territoires palestiniens, par le réseau dense des colonies, des routes de contournement, du Mur et des barrages israéliens, a crée un état de fait : celui d’un territoire palestinien qui n’existe plus, balkanisé et cantonisé, divisé et démultiplié en une multitude de sous- territoires disjoints. Or, en saccageant les territoires palestiniens, en assiégeant la bande de Gaza et en tronçonnant la Cisjordanie, l’occupation israélienne a créé les conditions matérielles d’une déperdition du politique : comment pratiquer le politique, comment parler politique, comment définir des programmes, des stratégies, comment faire des réunions, comment même se comprendre et se parler politique, lorsque même les conditions de déplacements et de rencontres, les conditions du vivre- ensemble sur un territoire donné, sont matériellement impossibles ? Les territoires palestiniens balkanisés, sont apparues les conditions subjectives pour que se développent les logiques de localisme chez les palestiniens même. Les palestiniens ne se pensent une nation qu’idéalement. Pratiquement, ils se vivent aujourd’hui, du fait de l’occupation, comme un ensemble disparate de territoires non- contigus, de populations toutes soumises à des logiques d’exception et de répression pratiquées par Israël selon des modalités différentes. Le développement des logiques claniques, la re-création de logiques familiales, de quartiers, de villes, la division Cisjordanie-Gaza, les différenciations sociales entre les campagnes, les camps de réfugiés et les villes ont été exacerbées et démultipliées du fait de l’occupation. Or, encore une fois, comment pratiquer le politique dans ces conditions ? Comment développer un mouvement de libération nationale unifié et ne serait- ce que coordonné lorsque toute condition spatiale et matérielle de circuler et de communiquer sont réduites à néant ?

2)Le jeu des puissances occidentales a favorisé cette logique de partition politique et d’autonomisation de la violence : le plan américain de grand Moyen Orient est une tentative voulue et stratégique de division interne des sociétés moyen-orientales En Irak, les américains ont joué sur les clivages communautaires pour asseoir leur pouvoir. Au Liban, ce sont les mêmes clivages communautaires sunnites – chiites qui ont servi et servent aujourd’hui à isoler la résistance libanaise et l’opposition nationale au gouvernement de Fouad Siniora. En Palestine, c’est en jouant et en s’alliant à des secteurs clés du Fatah que les américains et les israéliens ont pu élaborer une stratégie de déstabilisation du gouvernement Hamas. La logique de balkanisation et de division est telle aujourd’hui, qu’alors que la population palestinienne est majoritairement sunnite, le Fatah s’évertue aujourd’hui à discréditer le Hamas en lançant des slogans contre lui, sur ses radios et ses médias, le traitant de « chiites », la Palestine incorporant et avalisant ainsi les logiques de divisions communautaires que pourtant elle n’est pas censée connaître. La guerre civile est aussi le fruit de cette balkanisation et de cette communautarisation totale du politique au Moyen-orient, de cette décomposition sociale et politique devant aboutir à terme à une recomposition politique favorable aux intérêts américains.

3)La responsabilité du Fatah dans les événements actuels est bien évidemment immense. Au moins, pour le réaliser, faudrait- il remonter quelque peu dans le temps. Le Fatah, le Hamas, et l’ensemble de la communauté palestinienne payent aujourd’hui les frais des politiques palestiniennes telles qu’elles ont été appliquées depuis les Accords d’Oslo au début des années 1990. La bureaucratisation du Fatah et son étatisation n’ont pas été appréciés à l’époque à leur juste valeur dans l’ensemble des mouvements de solidarité. Or, un soutien juste n’est viable qu’à la condition d’être un soutien critique. Le Fatah s’est totalement confondu avec l’Autorité palestinienne : en nommant des militants du Fatah dans les ministères, en faisant de la police palestinienne et de la Sécurité préventive des lieux où c’était seulement les miliciens du Fatah qui étaient présents, en faisant des cadres du Fatah des fonctionnaire d’un proto- état, la direction du Fatah a favorisé un processus progressif de dépolitisation du parti, et d’avalement et de synchronisation d’un appareil d’état avec un parti politique. Les policiers étaient au Fatah. Les ambassadeurs étaient au Fatah. Les cadres administratifs étaient au Fatah. Comment alors le Fatah pouvait –il alors faire de la politique, préserver son indépendance, bref, se vivre comme ce qu’il était à l’origine, c’est-à-dire un mouvement de libération nationale ? Fatah, Autorité palestinienne et OLP se sont totalement confondus pendant une dizaine d’années, dans un procès d’étatisation d’un parti politique qui se voulait seul représentant légitime du peuple palestinien. Vouloir un parti politique, la légitimité, la majorité, l’Etat, l’administration, la police, tout cela en même temps : cette logique coûte aujourd’hui très cher au mouvement national palestinien dans son ensemble. Certains miliciens du Fatah ne savent même plus aujourd’hui à quoi ils appartiennent vraiment, ni pour qui ils se battent, changeant d’étiquettes sécuritaires selon les moments : sont- ils au Fatah, aux Brigades des martyrs d’al-Aqsa, à la Sécurité préventive, à la police, à l’Autorité, à Mahmoud Abbas, ou au chefaillon qui les dirige localement ? En confondant le proto- état palestinien et un parti politique, en se fondant avec un appareil embryonnaire et sécuritaire d’Etat qui par ailleurs n’existe pas – le comble-, le Fatah s’est lui- même tué et a favorisé les conditions de son propre Thermidor, enfonçant dans un progressif déclin l’ensemble de la société palestinienne. D’où la centralité de la question des appareils de sécurité : le Fatah a contrôlé pendant toute la période intérimaire des Accords d’Oslo l’ensemble de ces services de sécurité. A l’époque, fin 2004, ils étaient essentiellement sous le contrôle du Président Arafat. La communauté internationale exigea alors, peu avant sa mort, que ceux- ci passent dans les mains du gouvernement et du Ministère de l’intérieur, à l’époque sous le contrôle de Mahmoud Abbas. Or, en janvier 2006, le gouvernement aurait normalement dû avoir le contrôle de ces forces de sécurité, qui serait alors passé dans les mains du Ministère Hamas de l’intérieur, Sayad Siyam, et de Ismaël Haniyeh, Premier Ministre. Il n’en fut rien : Mahmoud Abbas, refusa, nommant en mai 2006 un de ses proches, Rachid Abou Shabbak, à la tête de la Sécurité préventive et de la police palestinienne, opérant là un de ses premiers coups de force politiques. Jamais le Fatah n’a pu admettre ni concevoir que les services de sécurité puissent être dans d’autres mains que les siennes, conséquence directe de dix ans de politique confondant Fatah et appareil sécuritaire d’état. L’essentiel des luttes entre le Fatah et le Hamas se sont fixées sur cette question centrale et stratégique du contrôle des forces de sécurité : contrôler le pouvoir, que cela soit de manière légitime ou non, c’est toujours contrôler les « appareils répressif d’état » (Althusser), c’est toujours avoir «  le monopole de la violence légitime » (Weber). Ces « appareils répressifs d’état » et ce « monopole de la violence légitime » sont au cœur de la violence dans les territoires, au côté d’une autre question centrale, qui est celle du contrôle des Affaires étrangères, dans la mesure où celles- ci définissent les orientations stratégiques de l’Autorité vis- à- vis de ses alliances internationales et de son discours vis- à – vis de la communauté internationale. L’affrontement Hamas- Fatah est situé sur le lieu exact de cette conjonction entre ces deux facteurs : une différence stratégique, le Hamas s’opposant aux orientations du Fatah considérées comme cédant aux desideratas occidentaux et israéliens, et une opposition sécuritaire, le Fatah refusant de remettre dans les mains du gouvernement élu les appareils policiers avec lesquels il s’est totalement confondu. La création des Forces exécutives par le Hamas, sous l’autorité du Ministère de l’intérieur, et l’affrontement des Forces exécutives avec les milices du Fatah au cours de l’année passée, consacrent ce bipartisme politique et militaire favorisé par la concentration des appareils répressifs d’état dans les mains du Fatah et de sa fusion avec le proto- état qu’est l’Autorité nationale palestinienne.

La double critique : Thermidor fathaoui et dérives autoritaires hamsaouies.

Les critiques que nous exerçons à l’égard du Fatah ne doivent cependant amener à tout confondre : il existe aujourd’hui des secteurs du Fatah largement attachés aux constantes du nationalisme palestinien, prêts à réformer ce parti, et à redéfinir avec d’autres les orientations stratégiques de ce même nationalisme. De plus, il n’est naturellement pas question de confondre la politique du Fatah pendant les quinze dernières années avec celle des régimes autoritaires et/où totalitaires ayant par exemple existé en Irak : en dépit de l’autoritarisme de la direction de Fatah, force est de reconnaître qu’il existait et existe encore en Palestine une société civile et politique pluraliste, que même le Fatah n’a jamais pu ou voulu tout à fait interdire : sa politique était plutôt celle d’une coercition autoritaire associée à un consensus pluraliste minimal. Le Fatah est aujourd’hui un parti éclaté, composé de différentes directions aux intérêts divergents, traversé lui- même par de profonds clivages sociaux, et par diverses pensées politiques et programmatiques. Mais l’affrontement avec le Hamas a permis de ressouder, peut être temporairement, le Fatah, ce dernier se sentant menacé en tant que corps social par la réalité du Hamas, tout à la fois mouvement armé et mouvement politique bénéficiant d’une large base de masse. Il y a déjà eu de nombreuses craquelures au sein du Fatah : les Comités populaires de résistance, à Gaza, qui sont aujourd’hui très proches du Hamas, et intégrés aux Forces exécutives, sont ainsi composés pour l’essentiel d’anciens militants du Fatah ayant rompu avec ce dernier au cours des années 2000, critiquant tout à la fois la corruption endémique et les orientations de la direction Abbas. Si le Fatah est aujourd’hui l’instrument d’un Thermidor rampant en Palestine, il n’en reste pas moins que l’hétérogénéité constituante de cette organisation ne manquera pas à l’avenir de provoquer scissions, ruptures et contestations en son sein.

Si le Hamas bénéficie d’une réelle légitimité démocratique et populaire, il n’en reste pas moins que son comportement politique et militaire au cours des dernières semaines reste considérablement problématique. Le premier problème sans doute, est qu’il n’a a aucun moment maîtrisé les instruments militaires qu’il a mis en œuvre : la population gazaouite n’a pu soutenir l’action du Hamas, ce dernier permettant et laissant faire une série d’exactions et de dérives violentes par ces miliciens : exécutions sommaires, jusque et y compris dans les chambres des hôpitaux, barrages, fouilles humiliantes, vengeances exercées non pas seulement contre les miliciens du Fatah, mais contre leur familles, arrestations de journalistes liés ou non à l’Autorité. Le Hamas n’a ni le contrôle de sa politique, ni celui de sa violence. Et c’est là un considérable retour en arrière pour ce Parti, qui avait su, tout en se nationalisant et en se palestinisant, reconnaître le caractère foncièrement pluraliste de la société palestinienne, et avalisait un certain nombre de principes, dont celui de la démocratie comme constituante du nationalisme anti- colonial. Il a commis un certain nombre d’erreurs stratégiques qu’il paye lui aussi aujourd’hui : celui de n’avoir pas respecté le pluralisme du Mouvement national palestinien, en n’associant pas, ou qu’à la marge, les autres factions du mouvement national, notamment le Djihad islamique et la gauche palestinienne, qui étaient pourtant prêts à faire un geste en sa faveur ; celui, également, de s’être enfermé dans un tête à tête Fatah – Hamas consacré par les Accords de la Mecque de mai 2007. Alors que le Hamas pouvait parfaitement s’appuyer sur les secteurs contestataires du Fatah, sur la gauche palestinienne, ainsi que sur le Djihad islamique, alors même qu’il avait une vision commune avec ces groupes sur un certain nombre de questions clés (le droit au retour, les réformes sécuritaires, la lutte contre la corruption etc.…), il n’a à aucun moment engagé un véritable dialogue avec ces organisations, se contentant d’en appeler à une unité nationale sans contenu politique. Alors qu’en janvier 2006 le FPLP était prêt à participer au gouvernement palestinien, moyennant un engagement du Hamas à intégrer l’OLP et à participer à sa réforme, et à reconnaître la supériorité de l’OLP sur l’Autorité palestinienne, le Hamas renvoya cette question à plus tard. C’est-à-dire que le Hamas n’a pas su ou n’a pas pu avoir une véritable culture du consensus politique, ni de l’unité, et encore moins de la re- construction d’un mouvement de libération nationale en perte de repères stratégiques. La guerre Hamas – Fatah résulte pour partie de cette politique du Hamas consistant à s’enfermer dans un tête à tête systématique et néfaste avec le Fatah, sans associer largement d’autres factions et secteurs de la société civile et politique palestinienne. Le Hamas s’est pensé si hégémonique qu’il pouvait par lui-seul régler les problèmes de l’heure, et que le reste de la société palestinienne graviterait pratiquement naturellement autour de lui par la seule force de sa persuasion et de sagacité politique imaginée. Le Hamas est perdu politiquement, sans aucune stratégie ni pensée de ce qu’il peut et de ce qu’il veut faire. Sa dynamique actuelle est à rebours de celle qu’il a pu avoir au cours des années 1990 et du début des années 2000, lorsque sa direction, à l’époque incarnée par le Cheikh Yacine, refusait toute logique d’affrontements inter- palestiniens, et s’affrontait alors à l’Autorité de manière purement et strictement politique, même et y compris lorsque cette même Autorité réprimait férocement ses militants. Le pragmatisme tant vanté de sa direction a tellement bien fonctionné qu’il a une politique au jour le jour, fonctionnant au coup par coup, de manière purement réactive, et jamais politique et programmatique. Les forces militaires du Hamas se sont ainsi en quelque sorte autonomisées : la branche politique du mouvement ne semblait avoir strictement aucun pouvoir sur la violence sans limite dégagée par les miliciens des Brigades Al- Quassam et des Forces exécutives qui se battaient contre les miliciens du Fatah. La milicisiation des rapports sociaux induite par la politique du Fatah et du Hamas aura sans doute des conséquences catastrophiques à terme, car elles tendent à faire parler la violence avant même d’avoir pensé politique.

Une troisième voie ? La re-construction d’un « bloc historique » nationaliste.

S’il s’agit effectivement de combattre les secteurs du Fatah et de l’Autorité liés organiquement aux américains, aux occidentaux en général, si ce n’est aux israéliens, cela ne pourra se faire qu’en développant et en construisant une nouvelle culture de la résistance, une stratégie partagée et complémentaire de libération nationale discutée communément, en construisant un nouveau « bloc historique » (Gramsci) nationaliste associant pour l’essentiel les forces islamo- nationalistes, la gauche palestinienne anti-coloniale, et enfin des secteurs du Fatah attachés aux constantes palestiniennes. A l’inverse, la violence diffuse et sans contrôle du Hamas à Gaza participe encore une fois de cette autonomisation de la violence dans les rapports sociaux palestiniens, de ce délitement du politique et de cet effondrement culturel, moral, politique et social qu’affronte le mouvement national palestinien.

La politique et les positions adoptées alors par la gauche palestinienne anti- colonialiste – FPLP, FDLP- ainsi que par le Mouvement du Djihad islamique en Palestine (MJIP) semblent alors quelque plus mesurées et adaptées à la situation actuelle. Il est logique que le Djihad s’aligne sur cette ligne médiane : originellement, c’est un parti beaucoup plus nationaliste et ouvert que le Hamas. Il regroupe dans les années 1980 nombre de cadres issus du Fatah, parfois même des anciens de la gauche palestinienne, et s’est toujours gardé d’adopter le vocabulaire anti-laïc et anti-séculier qu’avait au début le Hamas. Le Djihad islamique a collaboré avec le Fatah, la gauche palestinienne et les autres factions nationalistes palestiniennes dès le début de la Première Intifada en 1986, dont il a par ailleurs été l’un des initiateurs et des coordinateurs, là aussi au contraire du Hamas, qui à l’époque pratiquait une politique de répression des militants de gauche, et qui a longtemps hésité avant de s’engager dans la voie de la confrontation politique avec Israël. En initiant une série de manifestations civiles à Gaza lors des combats Hamas- Fatah, en en appelant aux retour à la primauté de la résistance et de la lutte contre l’occupation, à la définition commune et unitaire d’une stratégie de résistance, en évitant de soutenir le coup de force du Hamas tout en critiquant le Fatah que ces trois organisations tiennent pour responsable de la situation politique actuelle depuis les Accords d’Oslo, elles ont su quelque peu assurer une ligne politique cohérente refusant la logique de la guerre civile tout autant que celle de l’alignement sécuritaire et politique de la majorité de la direction du Fatah sur les vues occidentales et impériales. Si elles ont fermement critiqué le comportement et les méthodes utilisées par les miliciens du Hamas ces derniers jours, elles n’en ignorent pas moins que la politique du Fatah en Cisjordanie aujourd’hui tend à une élimination pure et simple de la pluralité constituante du nationalisme palestinien, et à une tentative réelle de coup d’état politique, constitutionnel et militaire, bien plus fort et lourd de conséquences que le coup de force politico- militaire du Hamas. Elles sont en un sens elles-mêmes menacées par les décisions du Président Abbas, et attendent par ailleurs de voir ce que le Hamas va faire à Gaza de sa nouvelle hégémonie sécuritaire, là aussi source de nombreuses questions. L’Initiative nationale palestinienne de l’ancien candidat à la présidentielle, Mustapha Barghouti, semble également adopter pour le moment cette position médiane. D’autres groupes palestiniens ont quand à eux pris explicitement parti pour l’une des deux composantes hégémoniques en présence : le FPLP- Commandement général d’Ahmad Gibril, particulièrement lié à la Syrie, et dont certains membres sont intégrés à la Force exécutive mise en place par le Hamas, a clairement signifié qu’il ne reconnaissait désormais que l’autorité gouvernementale hamsaouie. Anwar Raja, membre de son Bureau politique, estime que « Chaque fois que le Hamas se met d’accord avec la présidence palestinienne, au Caire, à Damas ou à la Mecque, une tournée d’anarchie sécuritaire viendra perturber la scène politique et la rendre encore plus tendue. Il a donc fallu faire un pas, bien nécessaire pour mettre fin aux souffrances de notre peuple et pour que la résistance palestinienne puisse continuer. » (1). La Fida, une organisation se qualifiant elle- aussi de gauche, mais extrêmement proche du Fatah, s’est quant à elle naturellement empressée de rejoindre le nouveau gouvernement de Salam Fayad.

Dans ce cadre, il ne s’agit donc pas de renvoyer dos à dos le Fatah et le Hamas : critiquer la non- cohérence politique du Hamas et sa politique réactive et violente sans stratégie ne doit pas conduire à minimiser ni à sous–estimer la politique réelle de coup d’état rampant de la direction du Fatah, coordonnée parfaitement dans le temps et dans l’espace à celle des israéliens et des américains. Les barrages israéliens laissent aujourd’hui passer les miliciens du Fatah, favorisent les passages d’armes à sa destination, et interdisent sous le visage d’une pseudo-légalité présidentielle l’expression publique du Hamas en Cisjordanie, créant les conditions d’une répression politique qui n’a strictement rien à envier au coup de force du Hamas à Gaza. Les dernières positions du Hamas semblent par ailleurs plus modérées et politiques que le comportement de ses miliciens, tandis qu’à Gaza même, la situation sécuritaire contrôlée par le mouvement islamiste semble s’être considérablement apaisée depuis quelques jours. Alors que le Président Abbas considère aujourd’hui le Hamas comme une organisation putschiste et illégale, et qu’il s’accorde avec Israël et les Etats-Unis pour refuser tout dialogue avec ce dernier, la direction du Hamas a quant à elle fait des pas significatifs en direction des organisations nationales palestiniennes, Fatah compris. Marwan Barghouti, le leader fathaoui emprisonné en Israël, a quant à lui souligné qu’il existait effectivement au sein du Fatah et de l’Autorité des éléments corrompus. Condamnant « sans réserve les actes illégaux commis en Cisjordanie contre les individus, les biens, les institutions et les leaders du Hamas », il n’en reste pas moins qu’il dit soutenir pleinement la nomination du nouveau cabinet de Salam Fayad. Il ne faut pas ainsi supposer qu’il existerait pour le moment un courant bien défini au sein du Fatah clairement opposé à la politique pro- américaine du Président Abbas : les critiques émises par Barghouti et d’autres, restent bien timides, et peu promptes à développer un réel discours de refonte politique et programmatique du mouvement Fatah.

Le mouvement de solidarité avec la Palestine sera sans doute particulièrement affecté par le conflit inter- palestinien : nul doute que la peur de l’islam politique, l’attachement obstiné à une image du Fatah bien plus construite ici et imaginaire que correspondant à la réalité d’un mouvement dont l’éclatement des structures, la bureaucratisation et le népotisme sont devenus des caractéristiques majeures joueront dans les choix des uns et des autres. A l’inverse, il ne s’agit pas de s’emporter dans un soutien inconditionnel au Hamas, sur un mode campiste et manichéen, qui ignorerait alors les problèmes soulevés par l’attitude politique et militaire d’un Hamas réagissant au coup par coup.

La critique de la logique milicienne du Hamas, si utile soit elle, n’a cependant et encore une fois aucun sens sans une dénonciation réelle de ce que sont devenus le Fatah et l’appareil de l’Autorité, qui tendent aujourd’hui à provoquer l’ultime étape d’un Thermidor palestinien engagé depuis bien longtemps, et qui mettra fin tant à la pluralité du nationalisme palestinien, qu’à ses constantes et à ses bases politiques historiques. C’est la défense de ces constantes, parmi lesquelles le droit au retour, si central politiquement et symboliquement, que la direction Abou Mazen prend avec un malin plaisir à mettre sous le boisseau, que le mouvement de solidarité se devra de défendre, en soutenant toutes les dynamiques tendant à refonder un mouvement national palestinien de libération et une culture de la résistance aujourd’hui en crise structurelle, et à accompagner les mouvements qui en sont et en seront porteurs.

(1) Source : Centre palestinien d’information, 21 juin 2007.

Nicolas Qualander, membre de la CCIPPP

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