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Lettre ouverte à Tony Blair

Article paru dans l'édition du 10 juillet 2007 (page 17)
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-933344,0.html

 

Cher Tony, après dix ans passés au service de la Grande-Bretagne, et tandis que le monde, déjà, se désolait de vous voir quitter le devant de la scène, vous venez d'accepter une mission plus complexe, plus impossible même que toutes celles auxquelles vous vous étiez jusqu'ici attelé. Impossible ? La tâche, effectivement, aurait de quoi en décourager plus d'un.

 

A l'histoire apparemment sans fin du conflit entre Israël et les Palestiniens s'ajoute aujourd'hui un faisceau de facteurs hostiles : le coup de force du Hamas à Gaza, bien sûr, les difficultés politiques intérieures israéliennes, l'attentisme des Etats-Unis, le manque de conviction de l'Europe, malgré l'action méritoire de Javier Solana, et, surtout, ce terrible sentiment d'impuissance qui semble gagner la communauté internationale tout entière.

 

Oui, il y aurait là de quoi se décourager. Et pourtant, nous ne pouvons nous empêcher, en saluant votre décision d'accepter cette mission, de ressentir un improbable optimisme. D'abord, parce que nous connaissons votre courage, votre sens du bien commun et votre détermination. Mais aussi parce que l'ampleur de la crise a provoqué une prise de conscience salutaire qui semble, paradoxalement, rendre enfin le progrès possible.

Au premier rang de cette analyse, autant le reconnaître d'emblée, il y a le constat d'un échec partagé que nous ne pouvons plus ignorer : la "feuille de route" a échoué. Le statu quo qui prévaut depuis 2000 ne mène à rien, nous le savons. Les conditionnalités trop strictes que nous avions l'habitude d'imposer en préalable à la reprise du processus de paix n'ont fait qu'aggraver la situation. L'immobilité frileuse de la communauté internationale a provoqué trop de dégâts.

Ce bilan négatif nous impose de changer d'approche. Il nous autorise surtout à voir plus loin. L'Europe se doit de le dire à ses amis israéliens et palestiniens.

Car, si l'on accepte de changer de perspective, si l'on se risque à voir la situation avec des yeux neufs, la situation actuelle livre aussi son lot d'opportunités. Nous en citerons deux.

Tout d'abord, la prise de Gaza par le Hamas. De cette défaite peut naître un espoir. Le risque de guerre civile en Cisjordanie, les menaces de partition de fait de la Palestine et de retour des scénarios jordanien et égyptien d'avant 1967 peuvent en effet amener un sursaut. A lui tout seul, par sa ténacité à favoriser la paix et le dialogue, à dénoncer courageusement le terrorisme, le président de l'Autorité palestinienne est une invitation à l'optimisme. Autre raison d'espérer : l'implication déterminée de l'Arabie saoudite, des Emirats et du Qatar, aux côtés de l'Egypte et de la Jordanie. Ces nouveaux protagonistes sont à même, avec leurs ressources considérables, d'apporter une aide décisive.

Ces deux points, cher Tony, nous autorisent à redéfinir nos objectifs. Appuyés sur une concertation renouvelée du Quartet et du groupe de suivi de la Ligue arabe (Egypte, Jordanie, Arabie saoudite, Syrie, Emirats), associant les deux parties (MM. Olmert et Abbas), ceux-ci devraient raisonnablement être au nombre de quatre :

- Offrir un espoir, une véritable solution politique aux peuples de la région. Cela passe par des négociations sans préalable sur le statut final, quitte à ce que le chemin s'effectue par phases successives. Englobant les questions de Jérusalem, les réfugiés et les frontières, ces négociations permettront de fixer un objectif partagé et réaliste.

- Prendre en compte le besoin de sécurité d'Israël. L'idée d'une force internationale robuste, de type Otan ou ONU chapitre VII, mérite d'être examinée. Elle aurait toute légitimité à assurer l'ordre dans les territoires et à imposer le respect d'un nécessaire cessez-le-feu. Les risques, bien sûr, sont élevés, mais cette force peut être viable et sûre si nous respectons deux conditions : qu'elle accompagne un plan de paix sans s'y substituer et qu'elle s'appuie sur un accord inter-palestinien.

- Obtenir d'Israël des mesures concrètes et immédiates en faveur de Mahmoud Abbas. Parmi celles-ci, le transfert de la totalité des taxes dues, la libération des milliers de prisonniers qui n'ont pas de sang sur les mains, la libération aussi des principaux leaders palestiniens pour assurer la relève au sein du Fatah, le gel de la colonisation et l'évacuation des implantations sauvages. Aucune de ces mesures ne peut être contestée pour des raisons de sécurité. L'Europe, le Quartet doivent le dire fermement et en toute amitié à Israël. Il est trop tard pour tergiverser.

- Ne pas pousser le Hamas à la surenchère. Cela implique de rouvrir la frontière entre Gaza et l'Egypte, de faciliter le passage entre Gaza et Israël, et d'encourager l'Arabie saoudite et l'Egypte, comme le président Moubarak l'a proposé, à rétablir le dialogue entre le Hamas et le Fatah.

Ces quatre objectifs sont à notre portée. Malgré les circonstances dramatiques, malgré les blessures et les haines, l'occasion est historique - c'est peut-être la dernière.

Nous connaissons votre inventivité et votre résolution. Nous sommes donc certains que vous saurez traiter ces problématiques de façon globale. D'où l'importance de réunir sans plus tarder une conférence internationale comprenant toutes les parties au conflit.

Vous avez, cher Tony, le privilège extraordinaire de pouvoir contribuer à réaliser bientôt ce qui n'était jusqu'à présent qu'une idée : deux Etats, israélien et palestinien, vivant côte à côte en paix et en sécurité.

Sachez que vous pourrez compter, à chaque jour de votre mission, sur notre soutien et notre adhésion sans failles.


Signé : les dix ministres des affaires étrangères des Etats membres méditerranéens de l'Union européenne, réunis le 6 juillet à Portoroz (Slovénie).

- Ivailo Kalfin, vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères de Bulgarie,
- Yiorgos Lillikas, ministre des affaires étrangères de Chypre,
- Miguel-Angel Moratinos, ministre des affaires étrangères d'Espagne,
- Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes de France,
- Dora Bakoyannis, ministre des affaires étrangères de Grèce,
- Massimo D'Alema, ministre des affaires étrangères d'Italie,
- Michael Frendo, ministre des affaires étrangères de Malte,
- Luís Amado, ministre des affaires étrangères du Portugal,
- Adrian Cioroianu, ministre des affaires étrangères de Roumanie,
- Dimitrij Rupel, ministre des affaires étrangères de Slovénie

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