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Reportage

A l'est de Jérusalem, l'entrelacs de routes aménagées par les Israéliens compromet la viabilité d'un futur Etat palestinien

JÉRUSALEM CORRESPONDANCE

www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3218,36-949715@51-891944,0.html

Les négociations entre le président palestinien, Mahmoud Abbas, et le premier ministre israélien, Ehoud Olmert - qui se sont rencontrés une nouvelle fois, mardi 28 août - n'impressionnent visiblement pas le ministère israélien des transports : sur le terrain, ses pelleteuses et ses géomètres façonnent pour la Cisjordanie un avenir aussi éloigné que possible d'un quelconque accord de paix.

 

 

D'après un rapport de l'organisation pacifiste israélienne La Paix maintenant, publié lundi 27 août, 315 millions de shekels (55 millions d'euros) ont été investis cette année dans la construction de six routes destinées à relier au territoire israélien des colonies situées à l'est de la "barrière de séparation", donc promises à la démolition dans la logique d'un accord de paix. L'un des chantiers prévoit notamment de connecter à Jérusalem quatre implantations du sud de Bethléem : Tekoa, Asfar, Maale Amos et Nokdim, lieu de résidence d'Avigdor Lieberman, le ministre des affaires stratégiques, chef du parti d'extrême droite Israël Beitenou. "Cette route doit lui permettre de rejoindre son bureau d'une seule traite, sans croiser le moindre indigène", raille l'avocat israélien Dany Seideman, fondateur de l'association Ir Amim, qui travaille à une meilleure entente entre Juifs et Arabes dans la Ville sainte.

 

Les plans du ministère des transports prévoient également l'élargissement de la route d'accès à Ariel, l'une des colonies les plus peuplées de Cisjordanie, ainsi que de l'artère Jérusalem-Jéricho, fréquentée par les colons de la vallée du Jourdain. Les nouveaux ouvrages ainsi créés s'ajouteront à la trentaine de routes préexistantes, d'une longueur de 350 km, interdites de façon partielle ou intégrale aux Palestiniens.

La version officielle, selon laquelle ces investissements ne sont motivés que par des questions de sécurité, est contestée par le géographe palestinien Khalil Toufakji. "Le gouvernement israélien veut créer deux Etats à l'intérieur de la seule Cisjordanie, affirme-t-il : un pour les colons qui disposeront d'infrastructures leur permettant d'être de facto assimilés à Israël ; et un autre pour les Palestiniens qui sera constitué de cantons isolés les uns des autres. Comme durant le processus de paix, les belles paroles prononcées devant les médias sont en décalage complet avec la réalité sur le terrain."

 

COUPURE NORD-SUD

 

En réponse à cette critique, l'Etat juif dit travailler également à la "continuité" territoriale dont le président américain George Bush a fait l'un des prérequis du futur Etat palestinien. De fait, divers chantiers ont été lancés pour désenclaver au moyen de ponts ou de tunnels les poches d'habitations créées par la barrière de séparation. A l'est de Jérusalem, une rocade est également en cours de construction dans le but d'accélérer le trafic entre Ramallah et Bethléem. L'un des tronçons sera ouvert aux automobilistes israéliens, qui seront séparés de leurs homologues palestiniens par un mur érigé au milieu de la chaussée.

Signe que la viabilité du futur Etat palestinien n'est pas le principal souci des planificateurs, l'échangeur pour accéder à Jérusalem ne sera ouvert qu'aux Israéliens. Un choix éloquent, selon Dany Seideman : "Olmert poursuit l'oeuvre de Sharon, qui avait imaginé le concept de continuité par les transports pour répondre aux inquiétudes de la Maison Blanche, tout en continuant à construire des colonies."

A l'est de Jérusalem, en l'occurrence, le gouvernement espère pouvoir bâtir la zone dite "E1", un ensemble de collines pelées qui s'étendent entre la partie arabe de la Ville sainte et l'immense bloc de colonies de Maale Adoumim. Pour les Palestiniens, la mise en oeuvre de ce projet sonnerait le glas de leur rêve d'Etat, car il promet d'accentuer la coupure nord-sud de la Cisjordanie et d'isoler celle-ci de Jérusalem-Est, dont ils veulent faire leur capitale.

"La route Ramallah-Bethléem est la réponse du gouvernement à ces critiques, dit Dany Seideman. Elle lui permet de dire aux Américains : "Regardez, même avec E1, les Palestiniens circulent librement." La continuité nord-sud ainsi créée aura la largeur de la route : 16 mètres, ni plus ni moins. Abba Eban (un ex-diplomate israélien) disait que les hommes politiques ne se mettent à agir intelligemment que lorsqu'ils ont épuisé toutes les alternatives, conclut Dany Seideman. Visiblement, nous n'y sommes pas encore."

Benjamin Barthe

Article paru dans l'édition du 1er septembre 2007

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