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Le Monde 2 – 8 décembre 2008 – page 24

Pierre Assouline

Israël, combien d'écrivains ?

Israël à peine invité au prochain Salon du livre de Paris, un vif débat s'est ouvert à Tel-Aviv.
La délégation d'auteurs doit-elle inclure des Palestiniens et des Arabes israéliens ? Ou pas ?

 Les Israéliens sont ainsi faits :

     ils ont tellement l'habitude d'être la cible de reproches qu'ils les anticipent, au risque de créer la polémique chez eux avant même qu'elle n'advienne à l'étranger. Ainsi la qualité d'invité d'honneur au Salon du livre de Paris (du 14 au 19 mars 2008), attribuée cette année par les éditeurs à Israël, fait-elle déjà débat. A Tel-Aviv et non à Paris. Chez nous, il a fait long feu ; lorsque les membres du Syndicat national de l'édition ont voté pour élire le pays invité, deux éditeurs seulement n'étaient pas d'accord : l'un exprima une hostilité radicale tandis que l'autre, ne parvenant à faire inviter également la Palestine, préféra s'abstenir. Rien n'a transpiré de ce différend. Mais là-bas, il n'en est pas de même. Amos Oz, qui est probablement l'écrivain israélien le plus connu dans le monde, a mis le feu aux poudres en conditionnant dans un premier temps sa venue à Paris à la présence d'écrivains arabes israéliens et de Palestiniens au sein de la délégation, même s'ils n'écrivent qu'en arabe ; dans le même élan, Benny Ziffer, rédacteur en chef du supplément littéraire du quotidien Haaretz, a appelé à un boycott du Salon.

Or Israël doit également la richesse et le dynamisme de sa littérature à des auteurs qui n'écrivent aussi qu'en russe, en français, en polonais... Comment faire pour tous les inclure sans vexer personne quand la première liste de sélection, établie de concert par le Centre national du livre (CNL), l'ambassade d'Israël en France et l'ambassade de France en Israël, était déjà largement excédentaire ? Dans un premier temps furent donc exclus, outre les écrivains dont aucun livre n'est traduit en français, les essayistes, mais ça ne suffisait pas. Pour parvenir à n'inviter « que » trente-deux romanciers, huit poètes, deux auteurs « jeunesse » et deux auteurs de bandes dessinées, un critère a finalement été retenu : la langue. Ainsi fut-il décidé de n'inviter que des auteurs écrivant en hébreu, qui est tout de même la langue nationale du pays. Outre Amos Oz, on y retrouvera donc Aharon Appelfeld, David Grossman, A.B. Yehoshua, Zeruya Shalev, Etgar Keret, Orly Castel-Bloom, etc. Les absents remarquables ? Anton Shammas, un Arabe israélien chrétien originaire de Galilée, dont l'œuvre est écrite soit en hébreu (Arabesques, chez Actes Sud) soit en arabe, et qui échappe à ce charivari depuis son exil volontaire à l'université du Michigan ; on suppose qu'il aurait de toute façonrefusé, s'étant déjà rendu au Salon d'une délégation arabe. Il n'y en aura donc pas un ? Si, un : Sayed Kashua, un Arabe israélien qui vit à Jérusalem, écrit en hébreu et dont le dernier livre est paru en France aux éditions de l'Olivier. Nul doute qu'il sera l'un des plus sollicités de la délégation et pas uniquement par curiosité littéraire. En fait, depuis la mort d'Emile Habibi, ils sont peu nombreux à écrire en arabe car le choix de l'hébreu, leur autre langue, leur assure une bien meilleure diffusion même si c'est " la langue du conquérant » comme le dit Kashua.

« Cela illustre bien le niveau de ridicule qu'ont atteint ces histoires d'équilibre entre Israéliens et Palestiniens : quand va-t-on cesser de nous demander aux uns et aux autres de sortir accompagnés ? » s'interroge l'éditeur Dov Alfon. Le fait est que la polémique, typiquement israélienne, est vide. Car qui les connaît un peu devine que dans leur grande majorité les Arabes israéliens, et plus encore les Palestiniens, n'accepteraient jamais de se rendre à Paris au sein d'une délégation officielle d'écrivains d'Israël.

Photo d'Amos Oz avec cette légende :
"Amos Oz devrait être la tête d'affiche de la délégation israélienne au Salon du livre de Paris, en mars 2008".

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