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  Analyse

Le "discours arabe" de Nicolas Sarkozy

par Gilles Paris

Article paru dans l'édition du 19 janvier 2008 - page 2
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-1000941,0.html

Après une visite au Caire, le 30 décembre 2007, puis une tournée en Arabie saoudite et dans le Golfe, entre le 13 et le 15 janvier, il est d'ores et déjà possible de discerner les contours de la "politique arabe" de Nicolas Sarkozy, qui se rendra au printemps en Israël et dans les territoires palestiniens. En 2001, à l'occasion de la publication de Libre (Pocket), M. Sarkozy avait fait part à la fois de son attachement à la cause israélienne et de son "incompréhension", voire de son "indifférence", vis-à-vis d'un "univers (celui des pays arabes) que je connais si mal" et qui lui était alors "étranger". Cinq ans plus tard, dans son livre-programme Témoignage (XO Editions), le candidat à la présidence de la République récusait le terme même de "politique arabe". C'est un "non-sens", écrivait-il, "ce monde n'est pas unique". "Nous devons concevoir et mettre en oeuvre une politique adaptée à chacune des régions de ce monde et ne pas nous laisser aveugler par une unité qui n'est que virtuelle", ajoutait-il.

Sans remettre en cause ce postulat de base, entretenu parfois dans son entourage, au nom de la "rupture", par la dénonciation d'un Quai d'Orsay, largement fantasmé, soumis au joug d'une très incertaine "rue arabe", le chef de l'Etat n'en développe pas moins aujourd'hui un discours très largement transversal. Ce discours tient compte, au moins au Proche et au Moyen-Orient, d'une réalité dont il serait hasardeux de vouloir s'affranchir : l'imbrication des crises qui fait que la route de Téhéran passe par Beyrouth et Bagdad comme par Jérusalem. S'y ajoute un élément également transnational privilégié par M. Sarkozy, à la différence de ses prédécesseurs, le facteur religieux, en l'occurrence l'islam. Autant d'éléments qui conduisent le chef de l'Etat à formuler sinon une "politique arabe", du moins un "discours arabe".

 

Par nature comme par nécessité, M. Sarkozy n'envisage pas de se tenir à la lisière d'une zone dont les fractures multiples - Irak, Iran, Liban, sort des Palestiniens - sont susceptibles de déstabiliser l'Occident ou à tout le moins de ravager son économie parce qu'elle concentre une bonne partie des réserves mondiales d'énergie. Son approche est prudente. Pas question d'asséner des leçons de démocratie à des pays régis, pour l'écrasante majorité d'entre eux, par des régimes autoritaires.

Cette approche centrée sur les droits de l'homme récupérée par les néoconservateurs américains est jugée contre-productive car elle s'attire la réaction suivante, selon M. Sarkozy, comme il l'a estimé lors de sa conférence de presse du 8 janvier : "Postcolonial ! vous voulez nous imposer le système qui est le vôtre." En prônant "la diversité" pour balayer les soupçons selon lesquels l'Occident veut "imposer un modèle unique de civilisation", il veut éviter, comme il l'a indiqué à Riyad le 14 janvier, "la guerre et le terrorisme, car rien n'est plus dangereux qu'une identité blessée, qu'une identité humiliée qui est une identité radicalisée".

Pas question non plus de s'en tenir à un réalisme pragmatique qui fut la marque de fabrique de la diplomatie des républicains américains ni à un relativisme culturel poussé jusqu'à la caricature par le prédécesseur de M. Sarkozy, Jacques Chirac, lors d'une visite à Tunis, le 3 novembre 2003. "Le premier des droits de l'homme, c'est d'avoir à manger", avait-il déclaré, suscitant la colère des militants tunisiens pourchassés par le régime de Zine Al-Abidine Ben Ali. Au nom de la diversité, le président de la République a ainsi plaidé à Riyad, le 14 janvier, pour "ceux qui oeuvrent pour un islam ouvert, qui se souvient des siècles où il était le symbole de l'ouverture d'esprit et de la tolérance", dans une formule qui, en creux, indique que M. Sarkozy juge que cet islam-là est tombé en désuétude.

 

"L'INJUSTICE NOURRIT LA HAINE"

 

Pour ramener et installer la paix au Proche et au Moyen-Orient, Nicolas Sarkozy esquisse deux pistes : tout d'abord la prospérité économique comme rempart au chaos social nourrissant l'extrémisme. Ce point est l'occasion pour le commis voyageur des intérêts de la République de plaider, avec une régularité de métronome, à chacune de ses étapes, en faveur de l'énergie de l'avenir, le nucléaire civil, filière dans laquelle accessoirement les entreprises françaises excellent. Il fixe également comme priorité "une politique de justice, car le sentiment de l'injustice nourrit la haine", le conflit israélo-palestinien en étant à ses yeux une forme de paradigme. "C'est parce qu'elle veut oeuvrer pour la justice que la France veut parler à tout le monde. Comment faire progresser la justice si l'on ne parle pas à ceux qui commettent des injustices ?", a même assuré le président de la République à Riyad.

Alors que la politique française au Proche et au Moyen-Orient, à l'exception de l'ouverture ratée vers la Syrie, n'a pas varié d'un pouce depuis l'arrivée de M. Sarkozy, son discours en direction des pays arabes débouche cependant, pour l'instant, sur une position d'un plat classicisme : le soutien apporté aux "Pinochet arabes", selon la formule polémiste du chercheur français François Burgat dans la réédition de son ouvrage L'Islamisme en face (La Découverte, 2007), ou plus précisément dans le cas de M. Sarkozy la confiance affichée qu'ils sont les mieux à même de répondre aux défis qu'il a énoncés, de conclure la paix, de moderniser leur économie, voire d'aider à la réforme de l'islam dans le sens d'un retour à des années d'or. A deux reprises, lors de sa visite au Caire puis lors de sa conférence de presse du 8 janvier, M. Sarkozy a estimé qu'il fallait "aider M. Moubarak". "Qu'est-ce que l'on veut là-bas, les Frères musulmans ?", s'est-il interrogé.

On peut faire confiance à la dictature molle égyptienne pour écarter durablement du pouvoir, comme de la rente qu'il octroie, les islamistes qu'il embastille à chaque instant, tout comme à la monarchie saoudienne pour conserver le contrôle d'une manne pétrolière qui lui permet d'acheter la paix sociale quand le baril est au sommet. Si l'islamisme est cependant le symptôme plutôt que la cause des malheurs arabes, ce soutien volontariste risque d'être tout aussi contre-productif que les admonestations adressées au nom des droits de l'homme. Au nom très précisément de la "diversité", qu'il encense et pour donner un véritable contenu, au Proche et au Moyen-Orient, à la "politique de civilisation" qu'il souhaite promouvoir, M. Sarkozy n'aurait-il pas plus de profit à forger pour la diplomatie française une autre voie ?

Gilles Paris

Article paru dans l'édition du 19 janvier 2008

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