Retour

 

L'espérance déçue des Palestiniens de Gaza, traqués par la police égyptienne à Al-Arich

par Michel Bôle-Richard

Article paru dans l'édition du 30 janvier 2008 - page 6

AL-ARICH (Egypte) ENVOYÉ SPÉCIAL

La chasse aux Palestiniens a commencé dans les rues du centre d'Al-Arich, cité balnéaire égyptienne. Dans le souk et les rues adjacentes, des forces de police en uniforme et en civil contrôlaient les identités et poursuivaient, lundi 28 janvier, les habitants de la bande de Gaza qui erraient en quête de nourriture et de logement depuis l'ouverture par la force de la frontière, le 23 janvier. Tous ont été embarqués dans des cars et des minibus pour être réexpédiés à la frontière. Difficile d'échapper aux rafles tant la présence policière est importante.

La plupart des magasins ont été fermés sur ordre des autorités afin d'essayer de tarir le flot continu de Palestiniens venus faire leurs emplettes. "C'était comme des sauterelles. Ils ont tout dévalisé. Certains produits sont devenus introuvables", fait remarquer un commerçant. La plupart des stations-service n'ont plus d'essence, et d'interminables queues s'allongent devant celles restées ouvertes. Les jerrycans sont interdits, et les pompistes sont passibles d'amende s'ils outrepassent les ordres de ne pas servir les Palestiniens.

"Même dans les boulangeries, on refuse de nous vendre du pain, dit l'un d'eux. Les Egyptiens veulent nous étrangler après que les Israéliens ont voulu nous étouffer."

Al-Arich est devenue la ville de l'angoisse pour les Palestiniens de Gaza. Après avoir échappé aux check-points qui jalonnent la route principale par les pistes du désert, ils se sont échoués dans cette ville en état de siège, transformée en port d'une espérance déçue. Impossible d'aller plus loin. Même les marchandises ne parviennent plus dans ce cul-de-sac du Sinaï, car elles sont bloquées à Ismaïlia par décision des autorités égyptiennes, afin de tenter de stopper l'exode d'un peuple aspirant à un peu d'oxygène et de denrées dont il est privé par le blocus israélien.

PASSAGE À TABAC

Certes, la frontière à Rafah est ouverte depuis le 23 janvier, mais elle a seulement reculé de 50 kilomètres. "Les murs de la prison ont été légèrement repoussés", comme le dit un étudiant qui déplore le manque de solidarité des Arabes. Impossible de trouver une chambre dans un hôtel ou les innombrables chalets du bord de mer, vides en cette saison. Des ordres ont été donnés de ne pas loger ceux qui se retrouvent une nouvelle fois comme des réfugiés. Ils dorment où ils peuvent et tentent d'échapper aux forces de sécurité en se cachant. Certains font état de passages à tabac. "Les habitants nous reprochent d'avoir fait monter les prix et d'avoir provoqué une pénurie, mais nous n'y sommes pour rien, protestent des Palestiniens exaspérés. Nous ne voulons que nous ravitailler. Les commerçants n'ont pas à se plaindre. Ce n'est pas une invasion !"

Al-Arich, porte de l'espoir, est devenue le cimetière des illusions. A l'entrée de la ville, plusieurs milliers de personnes ont trouvé refuge dans une rue, transformée en boulevard de l'attente, et dans deux mosquées, l'une pour les femmes et les enfants et l'autre pour les hommes, toutes deux encombrées de valises.

Il y a là des centaines de malades, d'étudiants, de résidents dans des pays étrangers bloqués dans la bande de Gaza depuis le coup de force du Hamas le 15 juin 2007, et qui ont cru qu'ils allaient pouvoir se faire soigner, poursuivre leurs études ou retrouver les leurs. Pas de tampon de sortie, pas de possibilités de se rendre au Caire. Alors, ils attendent, depuis le 23 janvier, que les autorités égyptiennes fassent un geste. Beaucoup ont des visas en règle, les documents médicaux appropriés, des cartes de séjour de pays étrangers valides. Ne manque qu'un coup de tampon égyptien, ce qui les classe parmi les illégaux.

"Je veux seulement aller à l'aéroport pour me rendre en Belgique, sinon je vais manquer le deuxième semestre après avoir manqué le premier. Pourquoi (le président égyptien) Hosni Moubarak ne nous donne-t-il pas cette permission ?", s'inquiète Mohammed.

Pour le moment, la police les tolère. Mais il n'y pas assez de couvertures pour tout le monde. Des malades ont dû être hospitalisés. "Faudra-t-il une révolte, un mort pour que l'on s'inquiète de notre sort", proteste Bassam, rongé par un cancer du pancréas.

Michel Bôle-Richard

Retour