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L'Europe doit faire pression contre l'embargo israélien

par Pierre Micheletti et Marie Rajablat

Article paru dans l'édition du 30 janvier 2008 - page 18

Plusieurs milliers de détenus ont réussi à s'évader, mercredi 23 janvier, d'une prison palestinienne. Les évadés, des hommes, des femmes et des enfants, se sont précipités à travers des brèches ouvertes à l'explosif dans le mur d'enceinte sud. Il s'agit pour la plupart d'entre eux de "prisonniers politiques" résidant dans ce qui constitue aujourd'hui le plus grand centre pénitentiaire au monde, puisqu'il accueille, sur une bande de 40 km sur 10 km, 1,4 million de personnes. Ce territoire se caractérise par un environnement où les armes sont omniprésentes, où le Fatah et le Hamas se disputent le pouvoir, alors même que bon nombre de leurs leaders sont emprisonnés. La question religieuse s'y radicalise en même temps que le monde arabo-musulman sacralise la question palestinienne pour en faire un théâtre emblématique de ses conflits avec l'Occident.

 

C'est la grande prison à ciel ouvert de Gaza. La population y purge une punition collective au motif que le rapport de force a basculé en faveur du Hamas. A la suite de la victoire de ce parti aux élections législatives de février 2006, un embargo économique et financier a été mis en place. La population gazaouie a été la première victime des mesures de restriction instaurées depuis cette date. L'Union européenne, au sein du Quartet (Russie, Nations unies, Etats-Unis et Union européenne), fait partie, avec Israël, des geôliers.

 

Durant l'été 2006, Médecins du monde avait publié un rapport à partir de deux enquêtes réalisées sur le terrain, montrant les difficultés d'accès à l'eau, à l'alimentation et aux soins des Gazaouis. Il décrivait en particulier l'omniprésence d'habitants souffrant de troubles psychologiques et de dépression. Nous insistions sur la nécessité de donner des gages à cette population, afin de lui permettre de reprendre espoir et de ne pas lui laisser comme seule solution la spirale de la violence.

Depuis cette époque, rien ne s'est amélioré, au contraire. La bande de Gaza s'enfonce dans le chaos. Sur le terrain, nos équipes sont les témoins de la dégradation des conditions sanitaires. Sur une liste de 400 médicaments dont l'usage est essentiel, 105 ne sont aujourd'hui plus disponibles, parmi lesquels des antibiotiques, des anesthésiques, des antidiabétiques et des psychotropes. Les laboratoires de biologie sont dans l'incapacité de fonctionner faute de réactifs. Les hôpitaux ne sont plus approvisionnés de façon continue et satisfaisante en électricité.

L'offre de services en matière de médecine générale est affectée. Les centres de santé primaire se trouvent conduits à interrompre certaines de leurs activités telles que les vaccinations ou le traitement des maladies chroniques par défaut d'approvisionnement en médicaments. Sur les 4 000 demandes d'autorisation de soins hors de Gaza, 713 ont été refusées, 62 patients sont morts de ces défauts de soin depuis juin 2007. Le prix des produits de base flambe. Le prix du pain et de la farine a ainsi augmenté de 60 % en six mois.

 

POUR QUE CESSE L'HYPOCRISIE

 

L'univers carcéral dans lequel vit la population de Gaza depuis trop longtemps n'est plus acceptable. Il est pourtant encore possible d'éviter le basculement de ces territoires dans une violence généralisée. Nous sommes en droit de penser que l'opinion internationale a pesé sur la fin du blocus total de ces derniers jours. De nombreuses associations s'organisent en Israël et aux Etats-Unis pour contrer le système de blocage récurrent. Il serait juste qu'en Europe, nous fassions de même. Pesons sur nos élus et nos diplomates pour que cesse l'hypocrisie actuelle.

L'Europe peut faire pression sur le gouvernement israélien afin de permettre le rétablissement de l'ensemble des flux économiques et financiers qui prévalaient avant l'embargo de 2006. L'UE peut amorcer un dialogue direct avec les représentants du Hamas, dialogue sur lequel reposent les seuls espoirs d'évolution des positions de ce parti. Elle pourrait ainsi négocier l'arrêt des tirs de roquettes sur le nord d'Israël. Ils entretiennent l'effroi de la population civile de ce pays et permettent à Israël de justifier sa stratégie actuelle.

Quelle est donc cette diplomatie européenne qui s'interdit la rencontre et la discussion ? Beaucoup de régimes aux pratiques nauséabondes font l'objet d'un traitement plus pragmatique. La volonté d'accès et de soutien aux populations civiles constitue alors la priorité. Après plusieurs heures d'escapade en Egypte, de nombreux évadés de Rafah sont revenus sur leur lieu de détention avec des provisions de première nécessité. Décidément, les détenus de Gaza restent attachés à leur prison...

Pierre Micheletti, président de Médecins du monde-France

Marie Rajablat, responsable des programmes dans les territoires palestiniens

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