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Mettre cette tribune du Ministre des affaires étrangères et européennes sur le site de l’AFPS 59/62 peut surprendre. D’autant plus que, au moins au premier abord, elle ne concerne en rien la Palestine. Ceci correspond au souci de connaître et faire connaître la pensée de ceux à qui nous sommes amenés à être confrontés. L’article de l’actuel titulaire du Quai d’Orsay a l’immense avantage d’indiquer les liens étroits, en cours de liaison entre Europe et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, et que l’on retrouve dans le traité de Lisbonne récemment ratifié à Versailles. Un côté « Atlantique » Kouchner le rappelle très bien où « notre pays est en même temps (…) un membre incontournable de l’OTAN, dont il a commandé les forces à plusieurs reprises,  au Kosovo et en Afghanistan ». La « rénovation de notre relation avec l’OTAN » dont fait état Kouchner en conclusion, alors que la France présidera l’Union européenne, « doit permettre de créer un véritable espace de sécurité et de défense , de lutte contre le terrorisme et la prolifération, de renforcer notre sécurité énergétique » (souligné par nous). L’on ne saurait mieux exprimer la stratégie européenne, de la France, avec les USA, au Moyen Orient dans le cadre de ce traité né de la guerre froide. Gardons ceci en mémoire au moment où l’on reparle à nouveau d’une force d’interposition pour un prétendu accord de paix pour la Palestine.
(voir à ce sujet : Daniel Vernet.- La spirale du Proche Orient.- Le Monde, mercredi 12 mars 2008, p.2)

 Au moment où c’est toute la région qui est menacée par une confrontation, les propos du ministre sont inquiétants. Ils recoupent le cri de guerre de septembre. Annapolis « une réunion de guerre » avait indiqué l’AFPS. Celle-ci est déjà menée contre le peuple palestinien, mais c’est à une toute autre échelle qu’elle est préparée.

JFL

Point de vue

Pour une défense européenne

Bernard Kouchner

Article paru dans l'édition du 11 mars 2008 - page 21

Il n'y a pas de compétition, mais au contraire libre complémentarité
entre l'Union européenne et l'OTA?

Pendant des mois, des années, nous nous sommes émus, impuissants, devant le drame du Darfour. Depuis quinze jours, en dépit des troubles au Tchad, l'Europe s'est donné les moyens de protéger les victimes et de reconstruire leurs villages dans l'est du Tchad. Sous l'impulsion de la France et grâce à l'effort de nos partenaires européens, l'Union européenne, en application d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies adoptée à l'unanimité, a lancé l'opération "Eufor".

Les femmes violées ou assassinées dès qu'elles s'éloignaient de leur campement, les enfants affamés seront enfin assistés, secourus. Ce n'est pas un mince résultat. Je reviens de Goz Beïda, dans l'est du Tchad, et je n'oublierai pas l'accueil enthousiaste que les personnes déplacées et les réfugiés ont réservé aux soldats européens. Ces derniers non plus, j'en suis certain, malgré les risques et la mort du sergent Polin, dont je salue le sacrifice.

Le lancement d'une opération autonome de l'Union, en Afrique, dirigée par un général irlandais assisté d'un adjoint polonais et regroupant les troupes d'une quinzaine de pays illustre le chemin que nous avons parcouru pour construire l'Europe de la défense.

Celle-ci est désormais souhaitée et soutenue par des Etats qui, hier encore, demeuraient sceptiques. Nous travaillons à l'Europe de la défense depuis les années 1990. Les Européens devaient avoir les moyens militaires de leurs ambitions politiques. Comment pouvions-nous espérer peser dans une crise ou une négociation si nous ne pouvions pas nous faire respecter ?

"L'Union doit avoir une capacité autonome d'action, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les utiliser et en étant prête à le faire afin de répondre aux crises internationales", avait conclu le sommet franco-britannique de Saint-Malo en 1998. La politique européenne de sécurité et de défense inscrite dans le traité de Lisbonne nous permet enfin de répondre à cette exigence.

Demain, si nous le voulons, l'Union européenne pourra pleinement assumer son rôle sur la scène internationale. Nul ne contestera que c'est un atout majeur pour la paix dans le monde. La quinzaine d'opérations, civiles et militaires, que l'Europe a déjà conduites, depuis 2003, dans les Balkans, en Afrique, au Moyen-Orient, en Afghanistan et jusqu'en Indonésie, en atteste largement.

Dans chacune d'elles, l'Union a été guidée par un seul idéal : sauver les milliers de vies menacées par des conflits, prévenir des guerres meurtrières, travailler à la reconstruction et à la réconciliation quand la communauté internationale n'avait pu les empêcher. Avec, à chaque fois, le souci de l'efficacité et du pragmatisme, avec ou sans le soutien direct des Américains.

Ce même pragmatisme conditionne les rapports de l'Union européenne avec l'OTAN (l'Organisation du traité de l'Atlantique nord). Dans certains cas, elle a utilisé ses moyens militaires propres, comme au Congo hier ou au Tchad et en RCA aujourd'hui. Dans d'autres, elle a eu recours au soutien de l'Alliance, en Bosnie par exemple. Désormais, d'ailleurs, dans un nombre croissant de crises, l'Union européenne et l'OTAN sont déployées ensemble sur le terrain.

Cela suffit à démontrer qu'il n'y a pas compétition, mais au contraire complémentarité entre les deux structures. Comment pourrait-il en être autrement quand 21 des 26 alliés de l'OTAN sont membres de l'Union et que 21 des 27 partenaires de l'Union européenne sont membres de l'OTAN ? Qui plus est, ce sont les Etats qui décident au cas par cas du cadre le plus approprié pour leur action. Et ce sont eux qui fournissent troupes et équipements : il n'y a donc pas d'armée de l'Union européenne, pas plus qu'il n'y a une armée de l'OTAN. Et chacun reste libre.

Cette vérité toute simple signifie que la défense européenne dépend de l'engagement de chaque Etat et que tous peuvent en prendre leur part. Cela suppose que l'ensemble des pays européens fasse les efforts nécessaires pour que la sécurité de tous ne soit plus seulement assurée ni financée par quelques-uns d'entre eux.

La France étant l'un des principaux contributeurs aux opérations de l'Union européenne comme de l'OTAN, elle a plus que d'autres intérêt à ce que les deux organisations travaillent mieux ensemble. Les positions exprimées par le président Sarkozy à l'automne 2007 sont sans ambiguïté : promoteur infatigable de la défense européenne, notre pays est en même temps, nul ne saurait l'oublier, un membre incontournable de l'OTAN, dont il a commandé les forces à plusieurs reprises, au Kosovo et en Afghanistan en particulier. Notre nouvelle approche de l'OTAN n'est pas un alignement, mais une dynamique européenne renforcée.

Certains prétendent que les Etats-Unis resteraient opposés à l'Europe de la défense, car celle-ci affaiblirait l'OTAN. Cela ne semble plus vrai. Les récentes déclarations de hauts responsables américains, à Paris et à Londres, indiquent que Washington, conscient des défis que nous devons affronter ensemble, reconnaît la nécessaire complémentarité des deux organisations. La confiance se construit sur la durée et dans la réciprocité : notre ouverture à l'égard des Etats-Unis et le soutien américain à une Union européenne assumant ses responsabilités de manière autonome avancent de pair.

L'Europe de la défense et l'ancrage atlantique sont les deux volets d'une même politique de défense et de sécurité. Au nom des valeurs que nous avons en partage. La présidence de l'Union européenne, que la France exercera à partir du 1er juillet, doit permettre de créer un véritable espace de sécurité et de défense, de lutter contre le terrorisme et la prolifération, de renforcer notre sécurité énergétique et de préparer la mise en place des coopérations permanentes ouvertes aux Vingt-Sept prévues par le traité. Nous nous y emploierons avec détermination. Nous nous y préparons sous la présidence de nos amis slovènes. Ces progrès donneront tout leur sens à la rénovation de notre relation avec l'OTAN.

Bernard Kouchner est ministre des affaires étrangères et européennes.

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