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Critique de livres

  • LES ARABES D'ISRAËL : ENTRE INTÉGRATION ET RUPTURE de Jacques Bendelac.
    Autrement, 194 pages, 19 €.

  • LE MEILLEUR DES MONDES N° 6. SPÉCIAL ISRAËL. Denoël, 152 pages, 15 €.


Israël, une "normalisation" inachevée

Michel Bôle-Richard

Article paru dans l'édition du 12 avril 2008

Lors de la création de l'Etat d'Israël le 14 mai 1948, plus de 700 000 Palestiniens fuient ou sont expulsés de chez eux par les forces armées juives. A l'époque, les Arabes israéliens restés sur place représentaient 14 % de la population. Aujourd'hui, ils en totalisent 20 %, soit 1,4 million sur 7,2 millions d'habitants. En raison d'un taux de croissance démographique de 3 % (le double du taux chez les Juifs, qui est de 1,5 %), les Arabes d'Israël représenteront 2,320 millions d'individus d'ici à 2025, soit 25 % de la population totale du pays selon le bureau central des statistiques. Une véritable "bombe démographique", d'autant plus que près de la moitié a moins de 15 ans.

Docteur en économie et chercheur en sciences sociales à Jérusalem, Jacques Bendelac se livre à une étude détaillée de ceux que l'on appelle soit les Arabes israéliens, soit les Palestiniens d'Israël. Bien que citoyens israéliens à part entière, ils sont souvent considérés comme une "cinquième colonne" qui menace le caractère juif de l'Etat. De ce fait, ils sont réduits au rang de citoyens de seconde zone, victimes de discriminations et de racisme de la part notamment des représentants de la droite pure et dure et des religieux orthodoxes. Récemment, Effie Etam, député nationaliste religieux, a lancé à la Knesset : "Un jour nous vous expulserons de ce bâtiment et de la terre du peuple juif." Avigdor Lieberman, autre parlementaire de la droite nationaliste, les a accusés d'"abuser de la démocratie".

 

Même s'ils sont beaucoup mieux lotis que leurs frères palestiniens de Cisjordanie avec un niveau de vie nettement supérieur, le taux de pauvreté s'élevait à 51,6 % en 2005 contre 17,1 % chez les juifs. Ce pourcentage grimpe à 59 % si l'on prend en compte les enfants. Ces laissés-pour-compte du boom économique ne veulent pas pour autant renoncer à leur passeport israélien, mais dénoncent le caractère juif de l'Etat d'Israël et estiment que leurs chances ne sont pas égales, ce qui provoque souvent des tensions et des conflits. Les Arabes israéliens n'ont notamment jamais accepté que les policiers qui ont tué treize des leurs au début de la seconde Intifada n'aient pas été inculpés et jugés.

Tiraillés entre leur solidarité avec leurs frères palestiniens de Cisjordanie et leur volonté de préserver les avantages que leur offre leur citoyenneté, ils sont assis entre deux chaises. "Les Arabes, conclut M. Bendelac, se voient encore refuser l'accès à de nombreux domaines d'activité, ils souffrent d'une pénurie de logements et de terrains à construire, ils sont sous-représentés dans la fonction publique et les entreprises d'Etat (...). Les Arabes israéliens aspirent à la pleine reconnaissance de leurs droits civiques, avec les mêmes chances d'ascension sociale, économique et politique que les citoyens juifs."

Dans le florilège d'ouvrages publiés à l'occasion du 60e anniversaire de la création d'Israël, la revue Le Meilleur des mondes publie un numéro spécial dans lequel des historiens, des économistes, des journalistes, des sociologues se penchent sur les différentes facettes de cet Etat qui, depuis sa naissance, s'est considérablement modifié. Tsahal, les kibboutz, le sionisme, les Palestiniens, la société, la littérature, le cinéma, les colons, les pacifistes, les hommes politiques, ont bien changé. Il est difficile de résumer cette multitude de contributions (36 au total), d'un caractère inégal. Il en ressort que, soixante ans après, Israël suscite toujours beaucoup de questions et d'interrogations. Sa légitimité est toujours contestée, ses agissements critiqués, sa normalité inachevée. Combien de temps faudra-t-il encore pour que l'on puisse parler de ce pays sans que cela soulève des polémiques ?

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