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Tribune libre - Article paru le 19 juillet 2008

Une traversée géographique et poétique du vieux monde musulman avec Muqaddassi

Un Palestinien sur la route,
 Le monde musulman en l’an mil,
de Muqaddassi,

avec la complicité d’André Miquel.

Éditions Sindbad/Actes Sud, 2008,
254 pages, 23 euros.

C’est une idée superbe et réjouissante, et le résultat l’est tout autant : André Miquel, qui enseigna pendant tant d’années la langue et la littérature arabe au Collège de France et transcrivit tant de grands poètes du monde musulman, s’est laissé convaincre d’entreprendre une traduction de l’oeuvre majeure de l’écrivain-géographe palestinien Al Muqaddasi. Né à Jérusalem en 944, il parcourut le monde musulman du Magreb à l’Irak, la Perse et l’Asie centrale, jusqu’aux confins de l’Afghanistan, son carnet de notes à la main, pour établir « la meilleure façon de répartir les pays pour mieux les connaître ». André Miquel a simplifié ce titre savant comme il l’a fait aussi du texte, éliminant les répétitions et les lourdeurs, mais préservant la précision de descriptions non exemptes de poésie. On se promène avec Al Muqaddasi dans une Afrique du Nord opulente et une Égypte où se côtoient déjà richesse et grande misère. On goûte la description des villes, mais aussi ce qu’il appelle des « tableaux de rue », avec celle des gens, des métiers, des produits et même de la cuisine. On constate avec surprise que certaines choses ont peu changé : on mange mal en Égypte, délicieusement à Sham - le nom que portait alors la Syrie, dont la Palestine était une région avec comme capitale Ramallah. « Pays le plus glorieux au monde, le rêve de tout esprit porté au bien », dit l’auteur, un tantinet chauvin. Faisant preuve d’une grande ouverture d’esprit, il s’attache à décrire les régimes politiques, les différentes formes de l’islam et les débats religieux qui habitent alors le monde musulman. Il n’oublie pas chrétiens et juifs, alors nombreux et fort actifs dans tout l’Orient arabe. En refermant ce beau livre, on répond sans hésiter à la question que pose l’auteur : « Aurais-je été poète si Dieu ne m’avait poussé à parcourir le monde ? » Sans doute, mais la science et la géographie humaine eussent beaucoup perdu et nous aussi. Son dernier mot, le regret de ne pas revoir son pays natal, la Palestine, résonne aussi d’une étrange actualité : « Je ne me plaindrai pas, cet exil, je l’ai voulu. Mais les autres, tous ces autres à qui fut refusée la liberté de rester ? »

Françoise Germain-Robin

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