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Edition du 30 juillet 2008

Reportage

Un entrepreneur du BTP offre un musée des antiquités à la bande de Gaza

GAZA ENVOYÉ SPÉCIAL - Benjamin Barthe

La bande de Gaza n'a ni port ni aéroport, plus d'économie et presque pas de gouvernement, mais elle a un musée. D'ici à quelques semaines, la première exposition permanente d'antiquités gazawies ouvrira ses portes en lisière du camp de réfugiés de Shati, face à la mer. Couvercles de sarcophages philistins, figurines hellénistiques, amphores chypriotes, chapiteaux byzantins... Une centaine de pièces attendent les visiteurs dans une belle galerie aux teintes ocre, bâtie au sein d'un luxueux complexe, comprenant hôtel et restaurant et baptisé, comme il se doit, Al-Mathaf (Le Musée, en arabe).

Faute de jouir du présent ou de se projeter dans l'avenir, deux dimensions de l'existence bannies par le blocus israélien, les habitants de la miséreuse bande côtière palestinienne peuvent désormais se plonger dans leur florissant passé. C'était l'époque où Gaza était le phare de la Palestine, un tampon stratégique entre l'Afrique et l'Asie, au débouché des routes de la soie et de l'encens. "Les Israéliens veulent nous réduire au stéréotype du terroriste, explique Jawdat Al-Khodari, 48 ans, le père de ce projet. Moi, je veux montrer le véritable visage de Gaza. Je veux redonner le goût du beau à mes compatriotes, leur insuffler de l'espoir et prouver à la face du monde que nous sommes bel et bien vivants."

Rien ne prédestinait ce prospère entrepreneur en bâtiment et travaux publics (BTP), l'un des rares survivants du régime sec israélien, à se transformer en mécène. Rien, sinon une passion sourde pour la terre de Gaza où il est né et l'habitude, prise adolescent, de recueillir les vieilles pièces de monnaie dénichées dans les sables de son quartier. A l'âge de 26 ans, alors qu'il signe ses premiers contrats, il se met à amasser sans but précis des antiquités, entreposant sous son toit aussi bien des vieilleries que des joyaux.

Peu à peu, la nouvelle se répand parmi les ouvriers de Gaza qu'un des fils Al-Khodari achète pour quelques billets ces fragments de colonnade ou ces jarres en argile que les bulldozers exhument sur les chantiers. Les pêcheurs aussi prennent l'habitude de venir lui vendre les morceaux d'ancres romaines qu'ils remontent dans leurs filets.

En 1995, c'est le tournant. Le dilettante se mue en collectionneur conscient sous l'influence du Père Jean-Baptiste Humbert, pilier de l'Ecole biblique de Jérusalem, venu inaugurer la mission archéologique française à Gaza. "C'est lui qui m'a rendu fier de ce que j'avais fait et qui m'a encouragé à continuer", dit-il. Entre les deux hommes, une solide amitié se noue. "Jawdat, en bon Gazawi de souche, a été touché par la grâce de son pays, explique le Père Humbert, joint par téléphone. Il a saisi l'importance scientifique du travail qu'il avait réalisé jusque-là sans trop y croire. C'est l'histoire d'une véritable conversion."

LE CIMENT PROVIDENTIEL

Aussitôt, l'idée du musée s'impose. Mais pour le régime d'Yasser Arafat, alors balbutiant, les antiquités ne sont pas la priorité. Ce n'est qu'en 2005 qu'un décret présidentiel officialise le projet, avant que la victoire du Hamas et le boycottage de la communauté internationale l'enterrent à nouveau. Incapable d'attendre plus longtemps, Jawdat Al-Khodari s'empare du dossier. Son entregent et son tonus desserrent le garrot israélien. Un autre archéologue français, Alain Chambon, guide ses pas. A la faveur du dynamitage de la frontière de Rafah par le Hamas au début de l'année, un chargement de ciment providentiel parvient au chantier. Six mois plus tard, Al-Mathaf est sur pied. Blocus oblige, le restaurant n'est pas encore opérationnel. "Impossible de trouver des assiettes, des fourchettes et des tasses à café à Gaza, dit M. Al-Khodari. Même les bouteilles d'eau minérale manquent. La machine à faire des glaces est toujours bloquée à la frontière. Visiblement, elle constitue une menace pour la sécurité d'Israël."

Qu'importe. Pour Jawdat le tenace, l'achèvement de sa grande oeuvre éclipse ces tracasseries. L'histoire de la région, trop souvent confisquée à son goût par l'occupant israélien, va désormais s'écrire aussi dans son musée. Une belle revanche sur l'époque où le général Moshé Dayan, héros de la guerre des Six-Jours, venait piller les sépultures antiques de Deir Al-Balah, au centre de la bande Gaza. "Le siège qui nous est imposé n'est pas le premier de notre histoire, raconte l'heureux patron. Alexandre le Grand, les Perses et les Anglais ont tous voulu détruire Gaza. Mais ils sont partis alors que nous sommes toujours là. Le bouclage israélien connaîtra le même sort."

Benjamin Barthe

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