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      Lundi 11 août 2008

Mahmoud Darwich :
un grand poète et un grand Palestinien

Chantre de son pays perdu, Mahmoud Darwich est mort
loin des oliviers de son pays natal qu’il n’a cessé de chanter dans ses poèmes.

Mahmoud Darwich est mort, triste ironie du sort, loin de cette terre de Palestine qu’il n’a cessé de chanter dans ses poèmes. Cette terre dont il cultivait l’amour et la nostalgie, au temps de l’exil comme au temps du retour imparfait, incomplet, mutilé, qui, depuis 1995, le meurtrissait comme une absence. Cette terre et son peuple, qui furent sa famille et son plus grand amour, dont les rochers, les oliviers, le thym et les vignes l’avaient pétri, faisant de lui celui qui restera le poète de la Palestine. Fût-ce à son corps défendant, car ces dernières années, il souhaitait par-dessus tout être reconnu comme un poète universel, chantant aussi l’amour des femmes, des fleurs et de la vie.

un poète de l’exil

Il est mort aux États-Unis, comme ce grand autre écrivain et musicien palestinien qui était devenu, sur le tard, son ami, Edward Saïd. La dernière fois que j’avais vu Darwirch, c’était à Paris lors de l’hommage qui lui avait été rendu. Il avait lu un texte racontant leur rencontre. Là-bas. Dans l’exil.

Car Mahmoud Darwich est un poète de l’exil, dans la grande tradition de ceux qui l’ont précédé, de Nazim Hikmet à Victor Hugo. Un poète des exils, devrait-on plutôt dire. Le premier étant, à l’âge de sept ans, le grand exode palestinien de la Nakba (la catastrophe). Lors de l’établissement de l’État d’Israël en 1948, son village natal de Galilée, Al Birweh, fut rasé, comme des centaines d’au- tres. Sa famille fit partie de ces quel- ques 800 000 réfugiés jetés sur les routes et s’enfuit au Liban. Une fuite, non pas un exil, car elle revint clandestinement et le jeune Darwich grandit dans ce qui était devenu un autre pays : Israël. Expérience amère, dans laquelle il se forgea une âme solitaire et solidaire à la fois, en même temps qu’une identité de rebelle. Il la dit comme un défi dans le poè-me qui le fit connaître, Identité, écrit dès 1964. Il y proclame face à l’administration israélienne : « Inscris : je suis arabe », évoquant son « village isolé où tous les hommes, à la carrière comme au champ aiment bien le communisme ».

douloureux retour en palestine

Ce sera son premier engagement politique, suivi d’une année d’études à Moscou. Il n’a pas encore vingt ans. Viendront ensuite les exils successifs : Le Caire, Beyrouth, Tunis, Paris, puis, ces dernières années, Amman, après les accords d’Oslo qui l’avaient brouillé avec Yasser Arafat et l’OLP, car il les estimait « injustes » et y voyait un piège pour le peuple palestinien. 1993 marque ainsi la fin d’un engagement politique de plus de trente ans, au Parti communiste israélien puis à l’OLP. Avec ces dix années particulièrement ri- ches et productives qui furent celles passées à Beyrouth entre 1972 et 1982. Lui qui disait « ne pas savoir chanter » rencontre le grand compositeur et chanteur libanais Marcel Khalifé. Il met en musique les poèmes de Darwich qui vont faire, comme une lumineuse traînée de poudre, le tour du monde arabe et bien au-delà.

Après l’horreur du siège de Beyrouth, de Sabra et de Chatila commence une série de nouveaux exils, plus douloureux, plus déchirants les uns que les autres, jusqu’au retour à Ramallah, en 1995. Un rêve brisé que ce retour dans une Palestine qu’il reconnaissait à peine, morcelée, hérissée de barrages et de barbelés, défigurée par l’occupation militaire et les colons. Il craignait plus que tout, il me l’avait dit lors d’une rencontre à Paris, après la publication du Lit de l’étrangère, la déshumanisation dans laquelle la dureté de l’occupation entraînait son peuple. Et il en souffrait comme d’une blessure intime, personnelle, qui l’atteignait jusqu’au fond d’un coeur déjà fragile.

un homme habité par le doute

Jusqu’à la dernière déchirure, la pire qui fut à ses yeux, qu’il commentait il y a quel- ques semaines encore avec colère et amertume, la guerre entre les siens, entre Hamas et Fatah : « Nous avons triomphé. Nous avons deux États, deux prisons qui ne se saluent pas. Nous sommes des victimes habillées en bourreaux. »

Dans son dernier poème le Joueur de dés, il évoquait ce coeur fragile, cette « malformation des artères » dont il avait hérité, disait-il, comme de sa timidité maladive et du doute permanent qui l’habitait sur lui-même, son statut de poète, la pérennité de son oeuvre :

« L’inspiration est la chance des solitaires / Le poème est un coup de dés / Sur le damier de l’obscurité / Il rayonne ou ne rayonne pas / Qui suis-je pour vous dire / Ce que je vous dis ? Qui suis-je ? »

La réponse est évidente, Mahmoud : un grand, un très grand poète et un grand Palestinien

Françoise Germain-Robin

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