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Le poète engagé palestinien Mahmoud Darwich est mort

Article paru dans l'édition du 12 août 2008

Sa voix était écoutée avec ferveur dans l’ensemble du monde arabe. Le poète palestinien Mahmoud Darwich, dont la vie entière fut marquée par l’exil, est mort samedi 9 août, à l’âge de 67 ans, loin de sa terre natale, à l’hôpital de Houston (Texas). L’oeuvre de l’auteur d’Etat de siège (2004) est riche d’une trentaine de volumes. Elle a été traduite dans de nombreuses langues. Même si elle est aussi lyrique, la poésie de Darwich est surtout marquée par la situation dramatique de son peuple et par l’engagement politique de l’écrivain, notamment au sein du Parti communiste et de l’OLP.


Disparitions (page 14)

Mahmoud Darwich

Auteur d’une trentaine de recueils, traduit dans une quarantaine de langues, il était l’un des plus grands poètes arabes contemporains. L’Autorité palestinienne a décrété un deuil officiel de trois jours

Le Palestinien Mahmoud Darwich, l’un des plus grands poètes arabes contemporains, est mort samedi 9 août, à l’âge de 67 ans, dans un hôpital de Houston,des suites de complications consécutives à une intervention chirurgicale sur un anévrisme de l’aorte. L’Autorité palestinienne a décrété un deuil officiel de trois jours. A travers son oeuvre–près de trente recueils traduits en une quarantaine de langues – Darwich touchait les fibres les plus sensibles de ses lecteurs et de son auditoire, qu’il s’agisse de l’interminable tragédie palestinienne, de l’amour,du désir,de l’espoir,en un mot de la vie.

Depuis 1998, date à laquelle il avait été opéré à Paris d’un anévrisme de l’aorte, Mahmoud Darwich vivait dans un dialogue lyrique constant avec la mort. « Mort je t’ai vaincue », avait-il alors écrit dans Murale, magistrale méditation sur la mort, qui inaugurait le cycle de ce que certains considèrent comme les plus beaux de ses recueils. Il avait confié en juillet qu’il espérait « avoir le temps de terminer son dernier recueil ». Darwich savait en effet que son corps risquait de le lâcher. Et c’est bien pour l’en empêcher qu’il s’était rendu aux Etats-Unis pour se faire opérer. Il avait écrit un jour : « Si je devais mourir, j’aurais honte de faire pleurer ma mère. »

L’exil forcé, les souffrances et« l’injustice » faites à son peuple étaient une blessure profonde jamais cicatrisée. « On ne peut vivre avec la blessure de la disparition de la patrie, a-t-il déclaré un jour au Monde, que si une cohabitation équilibrée s’instaure entre les “deux réalités”, juive israélienne et arabe palestinienne, dont aucune ne peut éradiquer l’autre. » « L’espoir, assurait-il, est une maladie incurable chez les Palestiniens, l’espoir d’une vie normale où nous ne serions ni héros ni victimes. » L’espoir donc, malgré une occupation israélienne qui est « une déclaration permanente de guerre contre nos corps et nos rêves, nos maisons et nos arbres ». Né le 13 mars 1941 dans le village d’Al-Birweh, Mahmoud Darwich est forcé à l’exil, en même temps que les siens, en 1948. Leurs habitations ont été entièrement détruites et leur localité rasée au moment de la création de l’Etat d’Israël. Un an plus tard, ils retournent clandestinement dans ce qui était devenu l’Etat juif et s’établissent à Jdeidet Akka. A l’âge de 20 ans, Darwich adhère au Parti communiste judéo-arabe. Arrêté à plusieurs reprises et assigné à résidence, il finit par opter pour l’exil, qui le conduira à Moscou, puis au Caire et à Beyrouth.

Avec l’invasion israélienne du Liban en 1982, Mahmoud Darwich reprend la route. Ce sera le Caire, Tunis, Paris, avant Gaza et Ramallah en 1995, deux ans après la signature des accords d’Oslo. Accords dont il avait d’entrée de jeu perçu les immenses lacunes et qui avaient entraîné sa démission du Comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine. A deux reprises, les autorités israéliennes l’autorisent à se rendre à Haïfa : en 1996, pour les obsèques de l’écrivain arabo-israélien Emile Habibi, et en 2007, pour une lecture de ses poèmes devant une foule considérable. Il n’est pas étonnant que l’une des oeuvres – Etat de siège (Sindbad/Actes Sud, 2004) – de ce poète si sensible aux rythmes et aux sonorités, ait été mise en musique par le compositeur Garett List en janvier 2005.

Pour un Palestinien, « la politique est existentielle », estimait Mahmoud Darwich. « Mais la poésie est rusée, ajoutait- il. Elle permet de circuler entre plusieurs probabilités. Elle est fondée sur la métaphore, la cadence et le souci de voir derrière les apparences », de voir « la vie, les rêves, les illusions…, le meilleur, le beau (…). Son seul véritable ennemi, c’est la haine. » Aussi n’était-ce pas un hasard si le personnage du Christ, « ce Palestinien », l’avait touché par« son discours d’amour et de clémence, par cette idée qu’il est le Verbe ». Pour Mahmoud Darwich, la cécité d’Israël, son entreprise d’affaiblissement systématique de l’Autorité palestinienne, l’incurie de cette dernière, le « despotisme universel » des Etats-Unis, les despotes locaux et l’exception dont bénéficie l’Etat juif en matière de droit international, étaient les causes des régressions intégristes « passéistes » de mouvements tels que le Hamas palestinien. Dans le monde arabe, et plus généralement musulman, comme en Occident, « des forces concourent à exacerber le choc des identités », estimait-il. « C’est une période transitoire, mais le présent se noie dans la tragédie ».

Mahmoud Darwich vivait ces dernières années entre Amman, en Jordanie, et Ramallah, en Cisjordanie, où il publiait la revue Al-Karmel, fondée à Beyrouth et attentive aux courants culturels internationaux. Son corps devait être rapatrié à Ramallah via Amman. L’Autorité palestinienne s’emploie à obtenir le feu vert d’Israël pour qu’il soit enterré à Jdeidet Akka, où vivent encore sa mère et ses frères et soeurs. L’écrivain israélien Avraham B. Yehoshua a rendu hommage à son « ami et adversaire » qui « était aussi un voisin, un Arabe israélien qui connaissait l’hébreu et les codes juifs de la société israélienne ». De même, le poète israélien Haïm Gouri a déclaré : « Son décès me fait beaucoup de peine car il incarnait une personnalité tragique, un homme en exil permanent, éloigné à jamais de son village. »

De nombreux livres de Darwich ont été traduits en français, notamment chez Actes Sud, à partir de 1994 ; dernier titre paru : Ne t’excuse pas (2006). Notons également une anthologie des « Poèmes 1966-1982 », Rien qu’une année (éd. de Minuit) et un volume de la collection « Poésie/Gallimard », La terre nous est étroite et autres poèmes.

Mouna Naïm

13 mars 1941 : Naissance en Palestine
1948 : Exil à la création d’Israël
1961 : Adhésion au Parti communiste judéo-arabe
9 août 2008 : Mort à Houston

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