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lemondefr_pet.gif  Article paru dans l'édition du 21 décembre 2008

Analyse

Le pari israélien de l'Union européenne

par Michel Bôle-Richard

A l'unanimité, les vingt-sept ministres des affaires étrangères de l'Union européenne ont décidé, le 8 décembre, de renforcer les liens avec Israël. Pourtant, le 3 décembre, le Parlement européen avait estimé qu'il n'était pas opportun de procéder à un approfondissement des relations avec l'Etat juif et avait lié ce "rehaussement" à l'amélioration de la situation sur le terrain et aux progrès accomplis dans le processus de paix. En cela, les députés européens n'avaient fait qu'appliquer la consigne édictée le 16 juin - date à laquelle ont été lancées les négociations - selon laquelle cette évolution devait s'effectuer "en tenant compte des intérêts des deux parties, et dans le contexte de la résolution du conflit israélo-palestinien", selon les propos tenus à l'époque par Benita Ferrero-Waldner, commissaire européen aux relations extérieures.

Six mois plus tard, bien qu'il n'y ait eu aucune avancée dans le processus de paix et aucune amélioration sur le terrain, les Vingt-Sept ont voté comme un seul homme un rapprochement avec Israël qui va permettre à l'Etat juif d'être associé beaucoup plus étroitement aux travaux et aux décisions de Bruxelles. Les Etats membres n'ont pas entendu les cris d'alarme lancés par le premier ministre palestinien, Salam Fayyad, qui avait demandé aux Européens d'"attendre avant de relever le niveau de représentation d'Israël à l'UE". "L'UE, avait-il dit, est un groupement fondé sur des valeurs et des idéaux qui sont incompatibles avec les violations du droit international et des droits de l'homme commis par Israël." "Le processus politique dans lequel l'UE souhaite être un acteur-clé a pour objectif la création d'un Etat palestinien, avait ajouté M. Fayyad. Comment un tel Etat peut-il voir le jour avec la poursuite de la colonisation ?"

Le 1er décembre, soit juste un an après la conférence d'Annapolis (Maryland) du 27 novembre 2007, le département des négociations de l'Autorité palestinienne a publié un rapport dressant un bilan de la situation. Plutôt éloquent ! Les appels d'offres pour les constructions dans les colonies ont augmenté de 1 678 % depuis Annapolis. Le nombre de permis de construire a été multiplié par plus de trois. Aucune des 110 colonies sauvages n'a été démantelée ? et selon Peace Now, une ONG israélienne qui lutte contre la colonisation, "125 nouvelles structures dont 30 maisons permanentes" ont été construites. Enfin, 498 Palestiniens ont été tués et 2 148 ont été blessés au cours des onze mois qui ont suivi Annapolis. Tout cela fait dire à Saeb Erekat, principal responsable palestinien des négociations, qu'"Israël a concentré ses efforts pour accroître son contrôle et la colonisation de la Cisjordanie... Israël doit décider s'il veut poursuivre le chemin de la paix et de la sécurité ou s'il veut continuer le conflit à travers la punition collective, la dépossession et la destruction".

Malgré ce bilan négatif, le Conseil européen a décidé qu'à partir d'avril 2009 Israël gravirait un nouvel échelon dans le cadre de la politique de "voisinage" de l'UE passant du statut d'associé établi en 1995, et entré en vigueur en 2000, à celui de partenaire privilégié qui, souligne le texte, "doit être basé sur des valeurs communes pour les deux parties, particulièrement de démocratie, de respect des droits de l'homme, d'application de la loi et des libertés fondamentales, de bonne gouvernance et de lois humanitaires internationales". Ce renforcement se traduira par trois réunions annuelles au niveau des ministres des affaires étrangères, une coopération plus étroite en matière de sécurité, un dialogue sur les questions stratégiques, la possibilité d'organiser des sommets de chefs d'Etat et de gouvernements sur des questions spécifiques, une intensification du dialogue ministériel et parlementaire. Ce rapprochement permettra à Israël d'être associé beaucoup plus étroitement au fonctionnement des institutions européennes.

RAPPROCHEMENT SANS CONDITIONS

Afin de faire taire les critiques dans le monde arabe, des hauts responsables européens ont fait valoir que ce rapprochement permettrait à l'UE d'influer sur le cours du processus de paix. L'avenir le dira. Pour le moment, la décision des Vingt-Sept a été considérée comme "un cadeau" à Israël. Tzipi Livni, ministre des affaires étrangères, y a vu l'aboutissement d'efforts entrepris depuis avril. Selon le quotidien Haaretz, lors d'une visite à Bruxelles avant le Conseil européen, Mme Livni a obtenu de Bernard Kouchner, ministre français des affaires étrangères, qu'il n'y ait aucun lien entre le renforcement des relations avec Israël et les négociations de paix, mais seulement une déclaration parallèle.

D'autre part, le plan d'action concocté par la France permettant de matérialiser certains progrès a été réduit à une simple proposition. M. Kouchner n'a pas démenti ces informations. Il s'est contenté de dire que la décision prise par les ministres des affaires étrangères de l'Union n'avait pas "de signification politique" et que "le rehaussement des relations avec la Palestine allait suivre". "Ce qui sera plus difficile, a toutefois reconnu M. Kouchner, car les Palestiniens n'ont pas d'Etat."

La France, qui assure la présidence de l'UE jusqu'à la fin de l'année, avait précisé qu'il n'était pas question d'imposer des conditions à Israël pour pouvoir bénéficier de ce rapprochement. M. Fayyad n'a pas réagi officiellement à cet échec diplomatique. Il a trop besoin de l'aide européenne pour maintenir sous perfusion l'Autorité palestinienne. Mais, officieusement, le premier ministre palestinien n'a pas caché sa déception. Sur le conflit israélo-palestinien, l'Union européenne semble incapable de préserver un juste équilibre entre les deux parties. Elle s'est rangée derrière les Etats-Unis pour imposer des sanctions économiques à l'Autorité palestinienne après la victoire démocratique du Hamas aux élections de janvier 2006. Elle n'a pas su saisir la chance de la constitution d'un gouvernement d'union nationale en avril 2007 pour rattraper son erreur.

L'Europe continue de choisir une politique de petits pas alors que l'urgence est à la porte. Elle continue de se donner bonne conscience en fournissant une aide importante à l'Autorité palestinienne sans rien exiger véritablement des Israéliens en contrepartie, ce qui revient à financer l'occupation. Et si un jour prochain, l'Europe invitait avec plus de fermeté Israël, conformément aux résolutions des Nations unies, de quitter les territoires qui sont occupés désormais depuis plus de quarante et un ans ?

Michel Bôle-Richard Correspondant à Jérusalem  bole.richard@lemonde.fr

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