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Réforme n°3336 du 24 Septembre 2009

Actualité – Cimade

 

70 ans d'actions citoyennes

Pour son anniversaire, la Cimade revient sur son histoire et envisage ses prochains défis, lors d’un colloque, samedi, à Strasbourg.

 

par Laure Salamon

 

Des camps d’internement pendant la Seconde Guerre mondiale aux actuels centres de rétention administrative, en passant par les camps de regroupement en Algérie, la Cimade s’est toujours mobilisée pour accompagner les opprimés, les démunis, les réfugiés… À l’occasion de ses 70 ans, l’association organise, à partir de ce week-end, des manifestations et des expositions pendant un an.

À l’origine, le Comité Intermouvement auprès des réfugiés, impulsé par Suzanne de Dietrich, accompagne les évacués d’Alsace-Lorraine vers le sud de la France. Fin 1939, ce mouvement prend le nom de Cimade. Le pasteur Boegner, président de la Fédération protestante de France, fait appel à Madeleine Barot pour la diriger. La Cimade naît de l’influence de l’Église confessante grâce à l’impulsion des mouvements de jeunesse protestante, essentiellement composés de femmes. « J’ai toujours eu une grande admiration pour ces dames de la Cimade », témoigne Roger Parmentier, quatre-vingt-onze ans aujourd’hui. Mobilisé dans l’armée au début de la Seconde Guerre mondiale, il venait passer es permissions auprès de sa tante, Isabelle Peloux, équipière dans des camps.

 

« La Cimade m’a fait »

 

« Elle gérait l’infirmerie et surtout une entreprise de remontage de moral. Les femmes juives d’origine allemande venaient la saluer et la remercier avant d’être déportées. En 1940, Madeleine Barot m’a demandé d’apporter de l’argent et des correspondances à des personnes de la Cimade dans le maquis près de Limoges. En 1942, j’ai délivré un enfant juif en partance pour Drancy et l’ai remis à la Cimade. » Pour réaliser ces actes de résistance, Roger Parmentier justifie sa motivation par « la conviction qu’on ne peut pas se déroger à ce genre d’appel même si, à l’époque, on ne réfléchissait pas beaucoup au risque que l’on prenait. À beaucoup d’égards, la Cimade m’a fait, elle m’a encouragé dans mes convictions et mes engagements ».

L’association a continué son action après la guerre, elle est restée dans les camps auprès des détenus accusés de trahison, de collaboration ou de crimes de guerre. Puis, elle s’est développée en Algérie. Mireille Desrez, jeune infirmière sensibilisée à travers ses activités à la Fédération française des Éclaireuses et par les prises de position de l’ERF, part installer un camp-école pour enfants en Algérie en 1957. Quelques années plus tard, la Cimade lui propose d’ouvrir un centre aéré à Médéa, au sud-ouest d’Alger. « Sur le terrain, raconte-telle, la Cimade est intervenue à la demande des Églises d’Algérie pour venir en aide dans les camps de regroupement. Au début des années 1960, des jeunes partaient pour l’Algérie dans des camps oecuméniques de travail pour rencontrer la population et se rendre utiles. » Après l’indépendance du pays et la signature des accords d’Évian en 1962, Mireille Desrez est retournée en Algérie pour diriger l’école des cadres-infirmiers de Constantine pendant quatre ans dans le cadre de la Cimade. « C’est une démarche spirituelle et de solidarité qui m’a poussée à revenir après l’Indépendance. C’était important d’aider les Algériens à se former pour qu’ils puissent former à leur tour. » En France, pendant la même période, des accueils étaient organisés pour les rapatriés, puis pour les harkis jusque dans les années 1970.

Deux ans avant, une jeune étudiante en mathématiques découvre les cours d’alphabétisation de la Cimade à Marseille près de son université. « J’ai renonctré un groupe qui agissait concrètement, réfléchissait à ce qu’il faisait, aux causes, témoignait, avec des convictions fortes, que certains trouvaient dans l’Évangile, dont moi, et d’autres qui partageaient ces mêmes valeurs. Cela m’a plu. » Geneviève Jacques s’engage dans l’association en 1968, au service des réfugiés comme bénévole, puis devient, entre 1988 et 1996, secrétaire générale de l’association. Pour elle, un des grands tournants fut 1973-1974 avec le choc pétrolier et la fermeture des frontières à l’immigration de travailleurs. « La seule solution pour venir en France se faisait via le regroupement familial ou la demande d’asile. Beaucoup ont été refoulés. Les déboutés du droit d’asile sont devenus les sans-papiers. La marche pour l’égalité en 1983 et l’obtention de la carte de résident de dix ans ont été de belles avancées. » Pour aider ces étrangers à faire valoir leurs droits, la Cimade s’est spécialisée. En 1984, lors de la création des centres de rétention administrative, Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur, et Georgina Dufoix, secrétaire d’État en charge des travailleurs immigrés, ont demandé à la Cimade d’assurer une présence dans ces lieux d’enfermement. « Les groupes de bénévoles se sont alors développés partout en France », rappelle l’ancienne secrétaire générale. Un seul regret peut-être au cours de cette période, celui de « ne pas avoir dénoncé ce qui se passait dans les pays du bloc socialiste pendant la guerre froide, on a sans doute été aveuglés. »

 

L’action de terrain

 

Aujourd’hui, la Cimade a l’air de déranger à tel point que la mission en rétention va être partagée en plusieurs associations. Car ses membres témoignent régulièrement dans les médias de ce qui se vit dans ces centres et dans les permanences juridiques. Ainsi, Elisabeth Stehly, vingt-six ans, est bénévole à la permanence de Toulouse depuis trois ans. Elle reçoit des personnes, les écoute et les accompagne dans leurs démarches administratives. « J’ai suivi un Congolais qui avait fait une demande d’asile. Pour quelques jours de retard, sa demande n’avait pas été prise en considération. On s’est bagarré à la préfecture pour obtenir un autre dossier. Après un recours, il a obtenu le statut de réfugié. » Cette jeune femme a choisi de s’engager à la Cimade car elle voulait « [s’]investir dans le social, poussée par des valeurs familiales, peut-être protestantes, un certain sens de l’engagement appris dans le scoutisme. J’aime la manière de travailler, d’être encadrée avec une véritable autonomie. Je voulais être dans l’action de terrain et la problématique des étrangers m’intéressait car c’est un domaine menacé, très politisé. » Agir concrètement sur le terrain, s’engager politiquement sur les causes et témoigner : la même formule depuis 70 ans.

 

Quels défis pour demain ?

 

À l’heure de l’anniversaire de sa création, des membres de l’association et des spécialistes s’interrogent sur l’avenir de la Cimade.

 

« Les combats de demain rejoindront largement ceux d’aujourd’hui, explique Jean-Marc Dupeux, ancien secrétaire général de la Cimade entre 1996 et 2004. Le mouvement citoyen ne s’arrêtera pas. Le travail va se poursuivre auprès des étrangers sans-papiers et demandeurs d’asile. » L’avenir de l’action en rétention est incertain. Ce qui est sûr, c’est qu’elle va devoir se réduire dans les centres de rétention administrative. « Il va falloir inventer la suite, poursuit Jean-Marc Dupeux. On peut imaginer que certains services comme celui de l’asile vont prendre plus d’importance ou que celui de la formation au français pourra être mis en avant. » Pour Patrick Peugeot, l’actuel président, « même si nous ne sommes plus présents en rétention, nous maintiendrons une vigilance et nous continuerons à accompagner les étrangers à travers nos permanences juridiques ».

Depuis toujours, la mission de la Cimade est d’accueillir, accompagner, défendre et témoigner et être solidaire ici et là-bas. Pour certains spécialistes interrogés, l’avenir de la Cimade se jouera aussi dans les pays d’émigration. « On observe que certaines ONG françaises se sont développées mondialement comme le Secours catholique et le réseau Caritas. Pourquoi ne pas imaginer que la Cimade puisse faire de même et peut-être s’appuyer sur des réseaux protestants comme le font les grandes ONG anglo-saxonnes ? », interroge Philippe Ryfman, avocat et spécialiste de droit international humanitaire. La Cimade a été une des premières associations en France à créer des partenariats dans des pays du Sud, en partant des revendications qui émergeaient sur place. « À la demande de la paroisse réformée de Dakar, au Sénégal, raconte Geneviève Jacques, deux infirmières ont été envoyées dans les bidonvilles auprès des populations locales en 1955, avant l’indépendance du pays. À partir de là est née l’idée que le développement est l’affaire des populations elles-mêmes. En 1967, le service développement s’est étendu dans l’association. Le Conseil oecuménique a demandé à la Cimade de s’engager, ce qu’elle a fait avec le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), et a développé son soutien aux partenaires locaux et non à des projets, en Afrique, en Amérique latine. »

 

Soutenir les populations locales

 

Pour Gustave Massiah, ancien président du Centre de recherche et d’information sur le développement (CRID), plate-forme qui regroupe plus de cinquante associations de solidarité internationale, « la Cimade a construit un rapport d’égalité avec ses partenaires du Sud. Elle a suivi les expulsés à Kayes au Mali. Mais, au lieu d’apporter une aide paternaliste, elle a préféré soutenir les associations locales, les sociétés civiles dans leur capacité à définir leur autonomie. Je me souviens d’une réunion à Paris avec des migrants du Sénégal et des représentants des villageois. »

La Cimade avait fait venir des interprètes de wolof, de soninké… Alors que les financeurs parlaient entre eux de ce qu’ils allaient faire dans ces villages, les représentants sénégalais avaient pu s’exprimer et participer aux débats. » Puis, le service développement s’est enrichi, transformé, devenant en 1990 le service des Solidarités internationales. Dans les années 1990, il intervenait dans 25 pays auprès de 80 partenaires. Après une remise en question, il a été recentré sur les questions de migrations internationales et sur des partenariats dans les pays de migrations.

 

Négociations internationales

 

« Les questions des migrations, c’est un des sujets d’avenir de l’association, alerte Gustave Massiah qui est également membre du Conseil international du Forum social mondial. La preuve, elle a déjà commencé à travaillersur le sujet. La Cimade fait partie du collectif Des Ponts Pas des Murs qui s’est réuni l’an dernier à Paris. Elle est également présente dans les forums sociaux mondiaux ou dans les grandes réunions sur les migrations. C’est dans ces lieux que se construisent de nouvelles sociétés car les migrations sont devenues un élément structurant de l’avenir du monde. La Cimade continuera à prendre toute sa place dans cette évolution. »

Une position confortée par son président, Patrick Peugeot : « Après l’adoption de la directive retour par l’Union européenne, on s’est rendu compte que c’était un échec pour nous, car nous n’avions pas réussi à mobiliser et à trouver des soutiens dans les autres pays européens. La Cimade n’y arrivera pas toute seule. Elle va devoir s’associer et trouver des appuis sur le plan européen et mondial pour travailler les questions de migrations et aussi pour faire changer l’opinion envers les migrants. »

 

L. S.

 

À venir

Colloque à Strasbourg : « Inventer une politique européenne d’hospitalité » samedi 26 septembre.

Festival Migrant’scène partout en France : Une fête pour la mémoire des migrations, du 14 au 29 novembre.

Exposition à Gurs/Pau : « Contre l’enfermement administratif : l’histoire d’une solidarité hier, aujourd’hui, demain » 29-31 janvier 2010.

Exposition au Chambon-sur-Lignon:« Enfants cachés d’hier, enfants menacés d’expulsion aujourd’hui : quels adultes pour demain?» 10 avril 2010.

Événement à Paris : « La Cimade et l’accueil des réfugiés 1939-1994 » 6-7 mai 2010.

 

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