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logohuma-small.gif                        Article paru le 19  Décembre 2009 – Page 12

 

Contre un monde strié de murs et de barbelés

PAR FRANÇOIS NICOLAS, COMPOSITEUR.

http://www.humanite.fr/2009-12-19_Idees-Tribune-libre-Histoire_Contre-un-monde-strie-de-murs-et-de-barbeles

 

Comment des musiciens agissent pour la fin du blocus de Gaza

Des dizaines de musiciens, de tous horizons – de la musique contemporaine au rap, en passant par le jazz et la chanson française – ont décidé de contribuer à la levée du blocus de Gaza. Regroupés autour d’un appel auquel ils invitent tout musicien à s’associer (1), ils soutiennent la prochaine Gaza Freedom March (2) et certains iront rendre visite aux musiciens gazaouis. Une rencontre est ainsi prévue le 29 décembre au Centre culturel français de Gaza, le 30, des ateliers musicaux se tiendront dans la Gaza Music School, puis un concert dans le Qattan Center for the Child. En retour, nous inviterons les musiciens gazaouis en Europe au printemps prochain, lors de Galas pour Gaza.

L’association de musiciens classiques et de rappeurs, de rockeurs et de compositeurs, de musiciens théoriciens et de musiciens de rue constitue une première dans un milieu plus habitué à la séparation des acteurs et des publics. Ces musiciens se retrouvent autour d’une cause : le blocus israélien de Gaza. L’emprisonnement de tout un peuple, la persécution de femmes et d’hommes, d’enfants et de vieillards jusqu’à ce qu’ils renoncent à leur droit de résister à l’occupation coloniale par Israël est inacceptable. Les Musiciens avec Gaza se retrouvent sur ce point aux côtés de milliers de personnes de toutes professions qui ont décidé de passer le réveillon avec les gazaouis, sur le terrain même où, un an plus tôt, la barbare opération « Plomb durci » s’est engagée.

Les musiciens cependant ont une raison supplémentaire – s’il en fallait ! – pour ne pas accepter le blocus : la musique est une, elle circule d’un continent à l’autre dans ce qui constitue à nos yeux un seul monde. Comment les musiciens qui sillonnent cet unique monde pour promouvoir leur art pourraient ils accepter que ce monde soit strié de murs et de barbelés interdisant à certains hommes d’y circuler pacifiquement ? S’agit-il pour autant de récuser les spécificités musicales qui font le sel même des différents types de musique que chacun de nous pratique ? S’agirait-il, parce que nous manifesterons ensemble le 31 décembre vers le check point israélien d’Erez, de mixer nos musiques lors d’un même concert ? Nullement. À ce titre, il nous revient d’éviter deux écueils. Le premier serait de croire que faire ensemble de la musique permettrait de lever des désaccords politiques. Qu’il suffise de mentionner le récent documentaire « D’une seule voix » pour mesurer l’imposture d’une prétention à substituer la musique à la politique : les musiciens, qui y apparaissent divisés face au colonialisme israélien, s’avèrent ne jamais jouer ensemble et même ne jamais s’écouter ! Prétendre que l’accord musical pourrait effacer la discorde quant au thème hypocrite de la « paix », qu’il s’agirait de pleurnicher d’une seule voix, c’est une escroquerie non seulement politique mais tout autant musicale. Le second écueil, inverse, serait de sous-estimer à quelles conditions il est possible que des gens faisant ensemble de la politique puissent également faire ensemble une musique qui ne soit pas indigne, c’est-à-dire qui ne se réduise pas à la niaiserie et à l’insipidité d’un dénominateur mélodique commun. L’expérience musicale conduite par Daniel Barenboïm est ici éclairante : il y faut un travail musical spécifique, aussi exigeant dans son propre registre que le travail politique peut l’être dans le sien. On ne fait pas de la bonne musique avec de bonnes idées politiques mais avec de bonnes idées musicales !

Les Galas pour Gaza seront donc composés de moments musicaux successifs où les musiciens s’attacheront à écouter avec une attention bienveillante les musiques des autres intervenants. Agissons collectivement pour une cause commune, tout en écoutant les singularités de nos musiques respectives – la musique seule sait ce que le mot écouter veut vraiment dire –, peut-être qu’en cette « synthèse disjonctive » s’expérimente quelque chose de fécond pour le XXIe siècle.

(1)            www.egalite68/musiciens

(2)            www.europalestine.com/MarchePourGaza

 

 

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