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Le Monde.fr                                    Article paru dans l’édition du 13 Janvier 2010

 

Le Hamas palestinien, incité à se réconcilier avec le Fatah, réexamine ses alliances

Par Laurent Zecchini

 

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2010/01/12/le-hamas-palestinien-incite-a-se-reconcilier-avec-le-fatah-reexamine-ses-alliances_1290583_3218.html

 

 

Depuis sa prise de pouvoir à Gaza en juin 2007, le Hamas n'a jamais été aussi isolé. Sa férule sur la bande de terre n'est pas en cause, les autres partis politiques palestiniens, comme le Fatah et le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), en témoignent. De Jabaliya au nord, à Rafah au sud, les drapeaux verts du Mouvement de la résistance islamique (Hamas), omniprésents, ne laissent que de rares apparitions aux couleurs palestiniennes.

Il en est de même des libertés politiques : "Le Hamas, jusqu'à présent, ne nous attaque pas. Nos activités sont libres dans les limites qu'il nous a imposées. Nos militants gardent donc leurs armes chez eux", résume Rabah Mohanna, chef du bureau politique du FPLP. Les nuages ne viennent donc pas du front intérieur, même si les commentaires des Gazaouis tendent à dresser le tableau d'une nette érosion de la popularité du Hamas.

Ce qui est en cause, c'est sa stratégie et ses alliances. Le Mouvement de la résistance islamique est en difficulté sur au moins quatre fronts : les négociations piétinent pour un accord avec Israël à propos de la libération du soldat franco-israélien Gilad Shalit, détenu à Gaza depuis 2006, alors qu'il table sur un accord pour affaiblir le Fatah ; contrairement au parti de Mahmoud Abbas, le Hamas refuse toujours de signer le document égyptien devant servir de base à la réconciliation palestinienne.

La décision du Caire de construire une barrière métallique souterraine le long du "couloir de Philadelphie", pour lutter contre les tunnels creusés sous la frontière égyptienne, constitue une menace économique vitale ; enfin, l'aggravation de la crise politique en Iran, parrain financier et militaire traditionnel du Hamas, ouvre une période aléatoire. "Israël continuera son blocus tant que le Hamas sera seul au pouvoir à Gaza", estime Ahmed Youssef, conseiller politique d'Ismaïl Haniyeh, premier ministre du gouvernement du Hamas.

L'Etat juif, poursuit-il, ne conclura pas d'accord sur Gilad Shalit, "parce que ce serait perdre un argument pour poursuivre le blocus. De toute façon, nous n'accepterons pas l'exil des prisonniers palestiniens (qu'Israël exige pour au moins cent vingt d'entre eux hors de la Cisjordanie), donc je ne pense pas qu'il y aura bientôt un accord sur Shalit." Les négociations palestiniennes représentent, d'autre part, un risque politique pour un Hamas en perte de vitesse.

Il y a au moins trois raisons à cette désillusion populaire : le chômage et la pauvreté s'accentuent ; l'aura du Hamas comme seul parti de la résistance à l'"occupant sioniste" est en passe de s'effacer avec la prolongation de la trêve militaire de fait qui se prolonge avec Israël ; enfin, n'ayant pas réussi à muer en parti de gouvernement, le Hamas gère la vie quotidienne de 1,4 million de Gazaouis comme un parti islamique qui a surtout recours au harcèlement policier.

"Le Hamas, résume un diplomate européen, ne veut pas signer la "feuille de route" égyptienne, parce qu'il ne souhaite pas affronter les élections palestiniennes en position de faiblesse." Homme d'affaires et éditorialiste, Sami Abdel Chafi constate que, sur ce point, il y a un consensus non avoué : "Les Américains, comme les Israéliens, ne poussent pas en faveur de cette réconciliation, parce qu'ils ne veulent pas d'un gouvernement d'union nationale palestinien qui comprendrait des ministres du Hamas."

Le Caire incite-t-il, à sa manière, le Hamas à accepter un compromis avec le Fatah ? Selon cette logique, si le terminal de Rafah, seul point de passage officiel avec l'Egypte, était grand ouvert, le parti islamique serait encore moins enclin au compromis avec le Fatah. De là à resserrer progressivement l'étau sur Gaza, comme le souhaitent les Etats-Unis, il y a une marge. Car si l'"économie des tunnels" périclite, ce n'est pas l'appareil politique du Hamas qui en souffrira, mais plus certainement la population gazaouie.

Le Hamas a réagi en appelant à la solidarité arabe. Khaled Mechaal, le chef du bureau politique réfugié à Damas, s'est rendu le 5 janvier, à Riyad, pour rencontrer les dirigeants saoudiens. Ce voyage avait un double but : obtenir du royaume qu'il intervienne auprès du président égyptien Hosni Moubarak, afin que celui-ci renonce à "murer" Gaza ; se rapprocher de l'Arabie saoudite au moment où l'Iran est entré dans un processus politique incertain.

"J'ai demandé à Khaled Mechaal si son mouvement se tenait aux côtés des Arabes ou aux côtés d'autres", a indiqué le ministre saoudien des affaires étrangères, Saoud Al-Fayçal, en faisant allusion à l'Iran. L'Arabie saoudite ne refuserait pas de verser une aide financière au Hamas, explique Rabah Mohanna, mais elle y met deux conditions : que le Mouvement de la résistance islamique accepte la réconciliation palestinienne, et qu'il use de son influence supposée au Yémen pour contribuer à désamorcer la rébellion houthiste du nord qui inquiète Riyad.

Rien n'indique que Khaled Mechaal ait eu gain de cause. "L'Iran nous apporte un soutien important, financier, moral et politique, ce qui n'est pas le cas de pays arabes, victimes de leur alliance avec les Etats-Unis", rappelle le Ahmed Youssef. Il n'empêche : avec l'Iran victime de convulsions politiques, et l'Egypte qui privilégie son alliance américaine à sa solidarité arabe, l'avenir de Gaza et du Hamas sont incertains.

 

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