Retour

http://medias.lemonde.fr/mmpub/img/lgo/lemondefr_pet.gif   Article paru dans l'édition du 30 avril 2010

Analyse

Israël et Proche-Orient : les menaces s'accumulent

Par Laurent Zecchini (Jérusalem, correspondant)

Ce furent des réjouissances moroses : l'anniversaire de l'indépendance d'Israël a été célébré, le 20 avril, dans une atmosphère festive mêlée d'une sourde inquiétude. Comme si, soixante-deux ans après sa création en 1948, l'existence de l'Etat juif était de nouveau menacée. Le spectacle des rues de Jérusalem et de Tel-Aviv a fait illusion : des milliers de drapeaux israéliens ont été fixés aux balcons et sur les voitures, et les feux d'artifice ont illuminé le ciel.

Si le ton des discours est resté alarmiste, c'est qu'Israël n'a jamais été aussi fort et aussi vulnérable à la fois. Les Israéliens sont 7,59 millions (75,5 % sont juifs), la population croît au rythme singulier de 1,8 % par an, et la croissance économique pourrait atteindre 3,7 % en 2010. Les frontières sont pour l'essentiel calmes, preuve que la capacité de dissuasion d'Israël reste forte. D'où vient alors ce sentiment que l'environnement géopolitique d'Israël se caractérise par une accumulation de menaces, et qu'il faut s'y préparer ?

Comme en 2003, lors de l'invasion américaine en Irak, une distribution nationale de masques à gaz a été entreprise ; la psychose terroriste reste latente, et il ne se passe pas de jour sans que la presse livre des informations sur le programme nucléaire iranien ou l'arsenal du Hezbollah.

L'Iran est devenu une obsession nationale et existentielle, mais ce n'est pas la seule explication de cette inquiétude latente. Celle-ci est justifiée par une succession de défis stratégiques, qu'accentue une propension à en exagérer l'importance. Il y a en Israël un syndrome permanent de tension, et peut-être aussi une stratégie : l'Etat juif doit rester sur ses gardes.

Soixante-deux ans après son indépendance, Israël se vit comme une forteresse assiégée, qui ne doit compter que sur elle-même, et qui reste hantée par la menace d'une suprématie démographique arabe. Un faisceau de raisons alimente cet état d'esprit. L'Etat juif traverse une crise diplomatique inusitée avec les Etats-Unis, pays dont le soutien stratégique pourrait se révéler crucial en cas de confrontation militaire avec Téhéran.

L'isolement international d'Israël, dû à l'opprobre que lui a valu le comportement de son armée lors de la guerre de Gaza, et à son intransigeance pour faire avancer le processus de paix avec les Palestiniens, est sans précédent. Son environnement régional bruisse de manière récurrente mais croissante de rumeurs de conflits, avec la Syrie et le Hezbollah notamment.

Le récent épisode des missiles Scud, qui auraient été livrés par Damas au mouvement chiite libanais, est de ceux qui peuvent mettre le feu aux poudres. Comme pareille "révélation" tomberait à pic si Israël cherchait un prétexte pour prendre sa revanche de l'été 2006 sur le "Parti de Dieu", Benyamin Nétanyahou a démenti "les rumeurs selon lesquelles Israël prépare une attaque contre la Syrie".

Celle-ci demeure pour Israël un voisin intraitable : Damas ne renoncera pas à son alliance avec l'Iran et le Hezbollah pour obtenir la récupération du Golan. L'isolement régional d'Israël s'est accru avec la décision de l'ex-allié stratégique turc de se rapprocher des pays musulmans : son premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, vient de qualifier Israël de "principale menace pour la paix régionale", et d'annoncer des exercices communs avec l'armée syrienne.

L'Etat juif a signé des traités de paix avec l'Egypte (1979) et la Jordanie (1994), mais il s'agit de "paix froides", n'ayant donné lieu à aucun rapprochement sur les plans politique, économique ou culturel.

Trois décennies plus tard, la relation égypto-israélienne est symbolisée par des murs : celui qu'Israël a décidé d'édifier sur la frontière avec son voisin du sud, et la barrière souterraine que Le Caire construit le long de la bande de Gaza, afin d'accentuer le blocus imposé par Israël au Hamas.

Son économie étranglée, son ravitaillement militaire menacé, confronté à la surenchère des groupes radicaux, le Hamas, pris au piège, peut redevenir belliciste. Parallèlement, les autorités israéliennes s'inquiètent des progrès de l'"Intifada blanche" (non violente) en Cisjordanie, parce qu'il n'est pas sûr que l'Autorité palestinienne soit en mesure de contrôler un nouveau mouvement populaire palestinien.

Les généraux de Tsahal se disent convaincus de pouvoir mener de front une guerre contre le Hezbollah et le Hamas, mais ils reconnaissent qu'un conflit avec l'Iran aurait de dangereuses conséquences régionales. Or, il ne s'agit plus d'une perspective lointaine. Spécialiste de l'Iran à l'Institut pour les études de sécurité nationale (INSS) de Tel-Aviv, Ephraim Kam estime que, "du point de vue technique et dans des conditions optimales", Téhéran serait capable de produire une bombe d'ici fin 2010.

Il reconnaît que rien ne permet d'affirmer que l'Iran a pris la décision de passer au stade de la fabrication de l'arme atomique, et qu'il pourrait en rester au "seuil" nucléaire. Si ce pas était franchi, les Iraniens seraient-ils tentés d'utiliser une telle arme ? "C'est une question théorique, souligne-t-il, et un premier ministre ne peut baser la politique de défense de l'Etat d'Israël sur une théorie."

Les Israéliens estiment que, confrontés aux guerres d'Afghanistan et d'Irak, les Etats-Unis n'ouvriront pas un troisième front avec un pays musulman. La perspective d'une attaque israélienne pour retarder le programme nucléaire iranien est donc ouvertement débattue. Avec un sentiment d'urgence : si l'Iran se dote d'une seule bombe, il devient de facto intouchable.

Certains experts défendent la thèse d'un équilibre de la terreur qui permettrait à Israël de vivre aux côtés d'un Iran nucléaire, mais Ephraim Kam n'y croit pas : "Peut-on imaginer la coexistence au Proche-Orient de deux puissances nucléaires qui ne se parlent pas ?"

Le roi Abdallah II de Jordanie a récemment alerté sur le risque d'une guerre régionale si le processus de paix israélo-palestinien n'est pas remis sur les rails d'ici l'été. L'Iran, Israël, la Syrie, le Hezbollah, le Hamas, une troisième Intifada... Comme les boutefeux potentiels ne manquent pas, ce n'est pas jouer les Cassandre de craindre un nouveau conflit au Proche-Orient d'ici fin 2011.


Retour