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http://medias.lemonde.fr/mmpub/img/lgo/lemondefr_pet.gif   Article paru dans l'édition du 13 juillet 2010

Reportage

La Jordanie s'inquiète de la panne du
processus de paix israélo-palestinien

Amman Envoyé spécial

Le roi est inquiet. En avril, Abdallah II avait averti que, faute d'avancée significative du processus de paix israélo-palestinien avant la fin de l'été, le risque d'une guerre régionale était réel. En ce début juillet, le souverain hachémite, à en croire son entourage, n'a pas changé d'avis. Ce n'est pas la rencontre à Washington, le 6 juillet, entre le président Barack Obama et le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, pauvre en résultats concrets, qui pourrait l'inciter à changer d'avis.

Si le royaume jordanien est en première ligne, ce n'est pas seulement parce que le mince cours d'eau du Jourdain sépare son territoire de celui d'Israël : tout règlement de paix aura une profonde incidence sur l'équilibre communautaire et politique de ce petit pays de 6,2 millions d'habitants. Dès lors, tout pourrissement mine le consensus fragile sur lequel règne le fils de feu le roi Hussein. Il y a aujourd'hui beaucoup de lassitude, presque un fatalisme, en Jordanie, qui fait écho au constat souvent entendu à Ramallah, en Cisjordanie : la perspective d'un Etat palestinien indépendant est aujourd'hui presque mort-née.

"Israël continue sa politique du "fait accompli" sur le terrain (la colonisation), et nous sommes proches du point où la solution de deux Etats deviendra impossible, estime-t-on au palais. Or cette situation affaiblit la crédibilité des régimes modérés, aux yeux de la "rue arabe", ce qui fait le lit des extrémistes." Apparemment, il n'y a aujourd'hui guère de raison de s'alarmer : le royaume est stable, et la situation sécuritaire en Cisjordanie est sous contrôle.

Le passage de la frontière, au pont Allenby, reste un marathon éprouvant pour les familles palestiniennes, mais les deux pays sont étonnamment perméables, dépendants et solidaires. "Les liens émotionnels, familiaux, avec la Cisjordanie sont étroits, constants", constate l'ambassadeur d'un pays proche. "Quand il y a un mort en Cisjordanie, confirme Nawaf Tell, directeur du Centre jordanien des études stratégiques, il y a de grandes chances que des Palestiniens d'Amman reçoivent un faire-part." Bien des Palestiniens de Cisjordanie, à commencer par les responsables de l'Autorité palestinienne, possèdent une maison dans la capitale jordanienne.

La "question palestinienne" est donc sensible, potentiellement explosive, et c'est pour cela que, officiellement, elle ne se pose pas. Le pourcentage des Jordaniens d'origine palestinienne, par opposition aux "Transjordaniens" ou Jordaniens "de souche", relève peu ou prou du secret d'Etat. La politique du diwan royal (le cabinet du roi) est d'en rester à cette statistique officielle de 2002 : les Jordaniens d'origine palestinienne seraient 43 %. Tous les sociologues et experts indépendants estiment cependant qu'il faut relever la barre d'au moins 7 %.

"Nous ne devons pas dire que nous sommes plus de la moitié de la population jordanienne, explique un haut responsable né sur la rive occidentale du Jourdain, parce que nous sommes tous des Jordaniens. Mais c'est vrai que les "Palestiniens" représentent au moins la moitié de la population." En 2008, le royaume hachémite comptait plus de 1,9 million de réfugiés palestiniens, inscrits comme tels auprès de l'Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA). Outre les illégaux, il faut ajouter à ce chiffre quelque 240 000 Palestiniens (et leurs descendants) qui ont été déplacés par la guerre de 1967.

D'autres groupes, venus de Cisjordanie après les deux Intifada, ont trouvé refuge sur la rive orientale du fleuve. Mais il y a des limites, politiques, à cette hospitalité. Le roi Abdallah II sait que nombre de responsables israéliens caressent le rêve d'inciter, ou de forcer, le plus grand nombre possible de Palestiniens de Cisjordanie à franchir le fleuve. Il n'ignore pas que les partis israéliens de droite et d'extrême droite, dénoncent l'inanité du processus de paix, "puisque les Palestiniens ont déjà leur Etat, la Jordanie"...

En 1988, la Jordanie a rompu tous les liens légaux et administratifs qui la liaient à la Cisjordanie. Amman n'accorde plus aujourd'hui aucune citoyenneté jordanienne aux Palestiniens. Au contraire : selon les organisations humanitaires, plus de 3 000 Jordaniens d'origine palestinienne ont perdu celle-ci depuis 2004. Les campagnes sur le thème "la Jordanie, c'est la Jordanie, la Palestine, c'est la Palestine" sont récurrentes.

Un système complexe de passeports et de cartes d'identité vertes et jaunes, de permis de résidence et de laissez-passer est en vigueur, en fonction des statuts, et certains réfugiés sont tolérés sans pour autant disposer de document officiel : c'est le cas des quelque 300 000 réfugiés en provenance de Gaza, véritables apatrides qui vivent en grand nombre près de Jerash, au nord d'Amman.

Le régime jordanien est très attentif à la question du "droit au retour", principe cardinal de la cause palestinienne. En Jordanie comme en Palestine, chacun sait qu'il s'agit désormais d'un vœu pieux : un règlement de paix israélo-palestinien ne prévoira rien d'autre qu'un retour symbolique des réfugiés palestiniens. "Il y a une différence entre reconnaître un droit au retour et l'exercer", observe un habitué du diwan. Pas question pour autant d'abandonner cette revendication, qui peut servir de monnaie d'échange dans les négociations avec Israël : "Les Israéliens auraient alors beau jeu d'expliquer que la question des réfugiés est réglée, en Jordanie", ajoute-t-il.

Le régime hachémite surveille avec une certaine anxiété l'évolution du processus de paix. Le roi craint qu'une nouvelle explosion de violence en Cisjordanie, nourrie de la frustration face à une absence totale de perspective, se traduirait par un nouvel afflux de réfugiés. "Sans compter, estime ce haut responsable du royaume qui demande l'anonymat, que les Israéliens pourraient en profiter pour expulser plusieurs milliers de Palestiniens de Cisjordanie. Après tout, ils l'ont fait en 1948 et en 1967..."

 

Laurent Zecchini


Un bateau affrété par la Libye se dirige vers Gaza

La marine israélienne était de nouveau en alerte, lundi 12 juillet, après avoir reçu confirmation que le cargo Amalthea, battant pavillon moldave mais affrété par une association libyenne, avait quitté, samedi, un port grec à destination de Gaza. Le navire transporterait quelque 2 000 tonnes d'aide humanitaire ainsi qu'une quinzaine de militants déterminés à forcer le blocus maritime de Gaza. L'Amalthea a été affrété par une fondation dirigée par Seif Al-Islam, fils du président libyen, Mouammar Kadhafi. Israël a réaffirmé son intention de ne pas laisser le navire arriver jusqu'à Gaza. - (Corresp.)

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