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http://medias.lemonde.fr/mmpub/img/lgo/lemondefr_pet.gif                            Article paru dans l'édition du 8 Août 2010

A Cheikh-Jarrah, le camp de la paix israélien cherche un second souffle

Ce n'est pas la place Rabin, cette esplanade en plein coeur de Tel-Aviv qui fut, dans les années 1980 et 1990, le temple de la gauche israélienne. C'est une placette anonyme, avec quelques bancs de pierre en face d'un concessionnaire automobile, dans le quartier de Cheikh-Jarrah, à Jérusalem-Est. Il est 16 heures et, comme chaque vendredi depuis un an, les pacifistes israéliens affluent, emmenés par des joueurs de tam-tam et de tambourin. Deux cents, trois cents, cinq cents peut-être... Avner, un trentenaire rouquin et barbu, exulte. "Avec la canicule et les vacances, c'est un score impressionnant, dit-il. Si la gauche a encore un avenir dans ce pays, il commence ici."

 En août 2009, Avner et quelques dizaines d'autres habitants de Jérusalem s'étaient retrouvés sur cette même place, rouges de colère et d'indignation. Quelques jours plus tôt, deux familles palestiniennes avaient été traînées hors de leur maisonnette par la police israélienne, laissant le champ libre à une association de colons juifs qui investit aussitôt les lieux. L'expulsion concluait une longue procédure, à l'issue de laquelle la Haute Cour de justice israélienne avait statué, sur la foi de documents ottomans, que ladite association était propriétaire des deux bâtiments, dans lesquels des juifs avaient habité avant 1948, date de la création d'Israël.

Le jugement, valide en apparence, repose sur une béance du droit israélien : le fait que les juifs peuvent récupérer des habitations abandonnées durant la guerre de 1948 qui se trouvent aujourd'hui en territoire palestinien, alors que les Arabes, chassés en masse de ce qui allait devenir Israël, n'ont pas le droit d'y faire valoir leurs titres de propriété. Révoltés par cette injustice, anxieux à l'idée que la machine à judaïser Jérusalem-Est ne passe la vitesse supérieure, Avner et ses compagnons décidaient de revenir manifester le vendredi suivant. Le mouvement de solidarité avec Cheikh-Jarrah était né.

Très vite, il installe son style (festif et musical), sa méthode (partenariat avec les Palestiniens) et son slogan ("Il n'y a pas de sainteté dans une ville sous occupation"). Au noyau initial, composé de trentenaires souvent vierges de tout engagement militant, s'ajoutent, semaine après semaine, les militants des différentes familles de la gauche israélienne, et même les totems du camp de la paix, comme l'écrivain David Grossman.

Parfois, des tiraillements se produisent. A Shalom Arshav ("La Paix maintenant"), le grand mouvement pacifiste des années 1980-1990, en perte de vitesse, on ne voit pas toujours d'un bon oeil la présence de drapeaux palestiniens. "Le futur du camp de la paix est sur le terrain, aux côtés des Palestiniens, insiste Chaïm, un professeur de sociologie, et non pas dans ces grand-messes israélo-israéliennes, que Shalom Arshav a organisées pendant des années à Tel-Aviv."

L'affluence reste cependant modeste. Hors événement exceptionnel, le rituel du vendredi n'attire que deux cents à trois cents personnes. "L'intifada et les attentats-suicides sont passés par là, dit Avner. La propagande de l'Etat maintient les gens dans la peur. Il faut tout recommencer à zéro."

Moshé, un élégant sexagénaire, qui milita dans les années 1960 au Matzpen, un groupuscule antisioniste, fait la moue. "Israël est une société fasciste, incapable de produire un événement comme Mai 68, dit-il. Cette manif, c'est une goutte d'eau dans l'océan."

Au bout d'une heure et demie sous le soleil, les militants replient leurs banderoles, et rejoignent leur bus. Sur les bancs de pierre, des membres des familles palestiniennes évacuées il y a un an discutent entre eux. Certains dorment toujours dans la rue, sous une tente installée en face de leur ancien foyer.

"Ces rassemblements, ça donne de la force, dit Khaled. Quand il y a 500 personnes avec toi, tu te sens moins seul." Son voisin, Maher, renchérit : "S'il n'y avait pas ces manifs chaque vendredi, les Israéliens se seraient déjà emparés de tout le quartier." Une victoire en forme de sursis. Au moins trois autres familles de Cheikh-Jarrah vivent sous la menace d'une expulsion.

 

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