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LeMonde.fr

La fin de "l'attente" pour une famille palestinienne après la restitution du corps de son "fedaï" par Israël

Une ONG mène campagne pour récupérer les restes de 317 Palestiniens,
 détenus, parfois depuis les années 1970, par l'armée israélienne.
 Celle-ci vient de rendre un premier corps.

Ramallah

La dépouille mortelle numéro 5014 du cimetière du pont Adam repose enfin en paix. Trente- quatre ans après sa mort lors d'un accrochage avec des soldats israéliens, et son enterrement dans un terrain militaire de la vallée du Jourdain, Mashhour Saleh a été rendu aux siens.

Ses restes, que l'armée israélienne refusait de restituer, ont finalement été inhumés, jeudi 12 août, dans le petit cimetière d'Arura, le village de la famille, dans le nord de la Cisjordanie, au milieu d'une foule immense, émue aux larmes.

"C'est une première victoire, nous en espérons d'autres", assure Salem Khilleh, qui coordonne une campagne internationale destinée à obtenir la restitution de plus de trois cents corps de combattants palestiniens, détenus par l'Etat juif.

Quelques heures plus tôt, le cercueil de Mashhour Saleh, enveloppé dans un drapeau palestinien, avait défilé dans Ramallah, au son des tambours et des cornemuses d'une fanfare militaire, accompagné par des ministres, des députés et des centaines de militants du Front démocratique de la Palestine (FDLP), le petit parti de gauche dont il était membre. "Nous avons gagné, l'attente est terminée, explique Majed Saleh, son frère. Nous avons libéré son corps, c'est une libération pour toute la famille."

Mashhour Saleh était un fedaï, un soldat du mouvement de libération national palestinien. Recherché par Israël qui occupe la Cisjordanie depuis 1967, il est tué le 18 mai 1976 alors qu'il franchit le Jourdain les armes à la main. Il avait 20 ans.

Contactée, l'armée israélienne refuse de restituer le corps. La famille insiste, persiste et se voit même proposer un marché : "Vous collaborez et on vous rend votre fils."

Choqués par ce chantage, dans l'ignorance complète du lieu de l'enterrement, les parents s'enfoncent dans un deuil impossible.

Les années passent et finalement, en 2007, à l'âge de 83 ans, le père pousse la porte du Centre pour l'aide juridique et les droits de l'homme, une organisation non gouvernementale (ONG) de Ramallah. "Il ne voulait pas s'éteindre avant d'avoir donné une sépulture honorable à son fils bien-aimé", dit Essam Aruri, le directeur du centre, qui accepte d'aider le vieil homme.

Avec son collègue Salem Khilleh, il pressent très vite que ce dossier est l'arbre qui cache la forêt. Un appel à témoins est publié dans la presse et le téléphone se met à sonner. Dans les dossiers qui s'empilent jour après jour sur leurs bureaux, il y a les cas notoires, comme celui de Dalal Al-Mughrabi, la responsable du carnage de la route côtière en 1978 (trente-sept Israéliens et neuf Palestiniens tués dans le détournement d'un bus), dont Israël a longtemps conservé la dépouille mortelle dans l'idée de s'en servir comme monnaie d'échange. Il y a les kamikazes de la seconde Intifada dont l'Etat juif répugne à rendre les corps démembrés de peur d'entretenir le culte des martyrs et les attentats-suicides.

Et puis des dizaines d'autres histoires moins connues, moins controversées, de cadavres confisqués et de funérailles interdites, remontant à l'époque de la guérilla le long des frontières, dans les années 1970, ou à celle de la première Intifada, dans les années 1980. "Nous avons fini par recenser trois cent dix-sept cas, dit Salem Khilleh. Ce qui veut dire trois cent dix-sept familles empêchées de s'agenouiller sur une tombe. Pourquoi cette cruauté ? Les morts font-ils peur à Israël ?"

La campagne est lancée en 2008. Les avocats localisent Mashhour Saleh dans l'un des "cimetières de numéros" de la vallée du Jourdain. Un terrain vague où les combattants arabes sont ensevelis dans la terre. Une simple plaque numérotée en guise de pierre tombale. Avec l'érosion et les animaux sauvages, les ossements se sont mélangés, donnant à l'endroit des allures de fosse commune. Impossible d'identifier le défunt, dit l'armée israélienne, peu désireuse d'établir un précédent.

Le Centre des droits de l'homme présente une pétition à la Cour suprême israélienne. Non content de brandir les conventions de Genève, il plaide "la dignité du mort", un principe du droit israélien.

Fin décembre 2009, la Cour lui donne raison et ordonne à l'armée de restituer le corps. Il faudra huit mois supplémentaires ainsi qu'un test ADN payé par la famille pour que les restes de Mashhour Saleh parviennent finalement à l'hôpital de Ramallah.

Forts de cette première victoire, les responsables de la campagne se préparent à lancer de nouvelles procédures devant les tribunaux. Parmi les dossiers concernés figure celui d'Anis Doleh, mort en 1980, dans la prison d'Ashkelon, où il purgeait une peine à perpétuité. Agé de 36 ans, le jeune homme avait succombé à une crise cardiaque, à l'issue d'un mois et demi de grève de la faim. Son corps n'a jamais été rendu à sa famille. Il pourrait se trouver toujours dans la morgue de la prison. Comme si le mort continuait de purger la peine entamée par le vivant.

Benjamin Barthe

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