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Le livre du jour

"Un enfant est mort",
de Charles Enderlin

Autopsie d'une calomnie

Il est des livres que l'on écrit pour se défendre contre la diffamation, tenter de rétablir sa vérité et laver son honneur. Tel est l'objet d'Un enfant est mort. C'est peu dire que Charles Enderlin, correspondant permanent de France 2 à Jérusalem depuis 1981, a été meurtri par la campagne de dénigrement qui le poursuit depuis dix ans à propos de l'affaire du petit Mohammed Al-Dura.

Peut-être aurait-il pu choisir le silence, afin de permettre aux passions de s'apaiser, pour que s'éteigne cette polémique vipérine. Y aurait-il gagné en sérénité ? Il ne le croit pas : "Avec ou sans ce livre, cette campagne va continuer, parce que c'est mon travail, mes livres, c'est moi, qu'ils visent."

Rappel des faits : le 30 septembre 2000, au carrefour de Netzarim, au centre de la bande de Gaza, un violent accrochage oppose de jeunes Palestiniens à l'armée israélienne. La seconde Intifada a commencé deux jours plus tôt. La caméra enregistre une scène dramatique : Jamal et son fils âgé de 12 ans, Mohammed, sont pris au piège, au milieu des tirs. Le père, atteint de plusieurs balles, est gravement blessé. Il tente de protéger son fils, en l'entourant de ses bras. Les rafales crépitent, et bientôt l'enfant ne bouge plus.

C'est une mort en direct. Les tirs, commentera Charles Enderlin, "sont venus de la position israélienne". Le 3 octobre, interrogé par la BBC, le général israélien Giora Eiland, chef des opérations de l'armée, dressera un constat similaire, puis il se rétractera. Le cameraman de France 2, Talal Abou Rahmeh, ne sait pas alors que ses images vont faire le tour du monde, exacerber la tension israélo-palestinienne, semer les germes d'une intense controverse, toujours vivace.

Théorie du complot

Pour l'opinion arabe et musulmane, Tsahal, l'armée israélienne, a assassiné un enfant. Mais un puissant lobby pro-israélien s'est mis en branle, visant à délégitimer le journaliste (il n'était pas présent sur les lieux du tournage), et instrumentaliser une théorie du complot : le film serait un "montage", une "mise en scène", une "manipulation" et une "imposture".

La campagne contre Charles Enderlin, en Israël et au sein de la communauté juive de France, va devenir haineuse, insultante, parfois menaçante. Talal Abou Rahmeh est qualifié de militant actif de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), ce que les services secrets israéliens, le Shin Beth, démentiront. France 2 renouvellera sa confiance à son correspondant, dont la réputation professionnelle est indéniable, et la profession journalistique lui apportera un très large soutien. Rien n'y fait. La mécanique de la diffamation est en marche, elle ne s'arrêtera plus.

Elle dispose d'avocats déterminés et influents. A sa tête, Philippe Karsenty, pour qui l'affaire Al-Dura est devenue, depuis dix ans, un véritable fonds de commerce. Il est rejoint par l'ancien journaliste Luc Rosenzweig, l'ancien ambassadeur d'Israël à Paris, Elie Barnavi, Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France, l'écrivain Alain Finkielkraut, parmi d'autres.

Le livre de Charles Enderlin n'est pas un règlement de comptes, mais une démonstration : il décrit minutieusement, faits et citations à l'appui, la trame et la progression d'une campagne de calomnies. Si Un enfant est mort est d'abord le récit de l'acharnement contre un journaliste, c'est aussi un livre sur le conflit israélo-palestinien, en ce sens qu'il illustre l'intensité des haines dont celui-ci se nourrit.


UN ENFANT EST MORT de Charles Enderlin.
Don Quichotte, 204 p., 18 euros.

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