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 Vendredi 5 novembre, p.4 Avant Genet,
  après Genet Inédits, témoignages, rééditions, colloques se conjuguent pour
  célébrer l’écrivain, à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance Que
  s’est-il passé avant? Que s’est-il passé après ? Ces deux questions, toute
  vie d’écrivain conduit à se les poser. Avant la première publication et après
  la mort. Dans le cas de Jean Genet, dont on fêtera le 19décembre le
  centenaire, les deux questions revêtent un sens particulier. Car l’identité
  de son père, récemment découverte –il se nommait Frédéric Blanc –, et l’existence
  d’un demi-frère cadet ne sont pas les seuls points obscurs de l’existence d’un
  écrivain qui aimait l’ambiguïté, après y avoir été contraint. Le mot «liberté
  » qui lui fut attaché par son encombrant parrain, Jean- Paul Sartre (dont on
  republie le monumental Saint Genet comédien et martyr, Gallimard, «Tel
  »), est probablement l’un des moins appropriés à son destin. Genet était le
  premier à le rappeler. En
  proposant une version amplifiée et rebaptisée de leur Essai de chronologie
  (BLFC, 1988), Albert Dichy et Pascal Fouché
  jettent sur la longue période qui s’étend entre l’enfance morvandelle et la publication
  du Condamné à mort( 1942)un éclairage déterminant. Edmund White, dans
  sa biographie (Gallimard, 1993), avait déjà bénéficié de ces recherches
  essentielles qui précisent et rectifient les informations, non pas inexactes,
  mais parfois sibyllines, qui étaient dispersées dans l’œuvre
  autobiographique( Journal du voleur, Notre-Dame des- Fleurs et Un
  captif amoureux) sur ces premières années. On
  savait que Jean Genet, fils de père inconnu, avait été abandonné, faute de
  moyens matériels – mais non d’amour semble-t-il –, par sa mère, Camille
  Gabrielle Genet. Mais on découvrait qu’il avait été recueilli dans une
  famille bourguignonne avec plus d’affection et de respect que ne le laissait
  entendre l’écrivain. Son adolescence, passée en grande partie en fugues
  répétées et en maisons de redressement, avait, en quelque sorte, effacé ou
  plutôt distordu l’enfance. Moins
  voleur qu’on ne le pensait, moins voyou surtout, Jean Genet avait très tôt
  manifesté des prédispositions pour la littérature. Son intelligence l’imposait
  dans un milieu villageois habitué à côtoyer des enfants abandonnés plus
  rustres. Remarqué pour son originalité et ses manières affectées( il en fallait
  certainement peu pour paraître maniéré dans le rude milieu du Morvan des
  années 1920), il a rapidement pris la poudre d’escampette. Et c’est le cycle
  infernal des fugues, des chapardages, des mises sous tutelle et de l’armée.
  Edmund White a longuement raconté ces épisodes. Plus
  nouvelle ici est la révélation de l’amitié de Jean Genet pour Ibis: la
  collection «L’arbalète» publie, avec des documents iconographiques rares,
  leur correspondance retrouvée (Lettres à Ibis, Gallimard, 120p.,
  17,50¤) sur laquelle Dichy et Fouché s’attardent
  dans les ajouts de leur livre. Ibis était le pseudonyme d’Andrée Plainemaison, qui plus tard devait publier sous le nom d’Andrée
  Pragane des contes pour enfants et le récit de sa conversion
  chrétienne (Ma peur est ma lumière, Mercure de France,1972).A travers elle,
  le jeune Genet (il a, comme elle, 22 ans, mais déjà une expérience de prisonnier
  et va s’engager dans l’armée) est intégré à un groupe d’étudiants exaltés qui
  fondent une revue littéraire, Jeunes. Genet,
  dans ces lettres, est déjà tout entier. Avec une pensée extraordinairement structurée,
  des amours masculines, une forte culpabilité et une forme de mysticisme esthétique,
  qui se développera dans ses grands livres, comme Miracle de la rose ou
  L’Atelier d’Alberto Giacometti, et son théâtre. Il «a les larmes
  aux yeux de n’être pas Valéry ». Il promet « des proses incandescentes
  », tout en se moquant de sa propre ferveur. Mais, surtout, on le voit s’enthousiasmer
  pour le récit du voyageur du Sahara, beau et mort jeune, Michel Vieuchange, Smara (1930, récemment republié par
  Phébus, «Libretto »),et donc pour l’appel du désert. Et, rétrospectivement,
  on s’étonne moins que, cinquante ans plus tard, Un captif amoureux fasse
  la part belle à Arthur Rimbaud et à T. E. Lawrence. Le désert, le monde arabe,
  la solitude, la dissolution de l’identité. Ils ont toujours été là. Et aussi «l’impression
  d’être un mort». Exil sans retour En
  miroir de cette jeunesse d’avant les livres, on doit lire les deux
  témoignages qu’offre Tahar Ben Jelloun sur une
  vieillesse moins muette qu’on ne l’avait cru: un récit, à la fois émouvant, chaleureux
  et cruel– car Genet ne s’accommode guère d’une hagiographie sirupeuse ou
  complaisante –, et une pièce de théâtre qui met Genet et son jeune admirateur
  Moha (double de Ben Jelloun) face à Samuel Beckett.
  C’est un Genet certes misanthrope, bougon, parfois presque clochardisé, qui
  soudain s’emporte sans cesser de raisonner, comme le prouve l’autre grand
  texte posthume, La Sentence. Mais aussi un homme généreux, qui
  précisément se tourne vers le jeune Tahar Ben Jelloun,
  écrivain débutant et étudiant qui va soutenir une thèse de sociologie sur la
  vie sexuelle des travailleurs immigrés. Alors
  qu’il s’est depuis longtemps éloigné du milieu intellectuel qui l’a porté aux
  nues, autour de Sartre et de Cocteau, alors que son propre théâtre semble lui
  être devenu indifférent, malgré les engouements et scandales qu’il a suscités
  à travers le monde, alors qu’il a abandonné ses projets de cinéma, pourtant
  nombreux, Genet cherche à faire entendre une voix humaine, politique, fidèle à
  des choix antisociaux, anti-institutionnels, et à résoudre, dans des amitiés
  amoureuses ou paternelles, le deuil de son grand amour, le funambule
  Abdallah. Il croit se reconnaître dans le combat des Noirs, des Palestiniens
  et des extrémistes allemands ou japonais. Et, en même temps, il tisse une
  sorte de tapisserie chiffrée, labyrinthique, dont les clés seraient le monde arabe,
  l’exil sans retour, la musique des sphères, la révolte infinie, l’énigme de
  la maternité, la disparition dans le ballet des spectres. René de Ceccatty 
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