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http://medias.lemonde.fr/mmpub/img/lgo/lemondefr_pet.gif Article paru dans l'édition du 17 décembre 2010

Reportage

A Gaza, le Hamas tente de concilier son discours radical avec les impératifs de la gestion

Sur la place centrale de Gaza, les dizaines de milliers de chaises en plastique soigneusement disposées par les militants du Hamas pour la célébration du 23e anniversaire de la création de leur mouvement ont été empilées et rangées. De la gigantesque kermesse islamiste organisée mardi 14 décembre, il reste une image, diffusée en boucle sur tous les écrans du Proche-Orient : celle d'Ismaïl Haniyeh, le chef du gouvernement de Gaza, en train de proclamer sur un ton rageur que le Hamas ne reconnaîtra jamais Israël, avec, en arrière-plan, une maquette géante du Dôme du rocher, la mosquée au bulbe doré de la vieille ville de Jérusalem. "L'occupation n'a aucun avenir sur notre terre, et quand je dis notre terre, je parle de la Palestine de la mer au fleuve et de Rafah jusqu'à Naqoura", a ajouté le premier ministre, pour mieux signifier que l'exercice du pouvoir et le blocus de Gaza n'ont pas changé le Hamas et qu'il reste fidèle à son dogme fondateur, celui d'une Palestine musulmane, débarrassée de "l'entité sioniste".

Cette rhétorique inflexible a ravi l'immense foule de sympathisants agglutinés sur la place. "Il ne faut pas renoncer à la résistance, il ne faut pas oublier nos principes", a dit Abdel Hamid Yassine, le fils de cheikh Ahmed Yassine, le guide spirituel du mouvement islamiste, tué par Israël en 2004. "Quand mon père a fondé le Hamas, il n'avait que quelques dizaines de personnes avec lui. Aujourd'hui, une marée humaine est venue le soutenir." Bien décidé à contredire les sondages qui le donnent en perte de vitesse, le Hamas avait préparé ce jour longtemps à l'avance.

Durant l'automne, ses cadres ont mené une campagne de porte-à-porte baptisée "Amitié et communication", dans le but de propager la bonne parole du parti. Munis de corbeilles de bonbons et de chocolats, certains d'entre eux sont même allés saluer les familles de quelques célèbres martyrs du Fatah, tués durant la miniguerre civile du printemps 2007 soldée par la prise de contrôle de Gaza.

Cette opération de séduction, qui démontre combien le Hamas est attentif à l'humeur de la rue, visait autant à dissiper les inquiétudes générées par les pratiques musclées de ses services de sécurité qu'à rassurer les radicaux, frustrés par la tactique d'apaisement du gouvernement Haniyeh, qui interdit les tirs de roquettes sur Israël.

OFFRE DE COMPROMIS

Ces efforts ont-ils payé ? Difficile à dire. Observée depuis un toit de Gaza, l'affluence, quoique imposante, semblait en deçà de ce qu'a pu rassembler le Hamas par le passé, notamment en 2007, au lendemain de sa prise de pouvoir. La propension de nombreux Gazaouis à venir manifester uniquement par peur de se voir priver des précieux coupons de ravitaillement que les islamistes distribuent dans les mosquées ne facilite pas non plus la lecture de l'événement. "Le nombre exact de participants n'a pas vraiment d'importance, relativise Omar Sha'ban, un analyste politique indépendant. La réalité est que le Hamas s'enracine, s'institutionnalise et se diversifie. C'est vrai que la trêve en vigueur avec Israël a poussé certains cadres de niveaux intermédiaires à s'éloigner. Mais d'autres militants, plus jeunes souvent, ont rejoint le mouvement."

Le message en forme de défi envoyé par Ismaïl Haniyeh atteste d'ailleurs de la confiance du Hamas. Lors d'une conférence de presse au début du mois, le premier ministre avait adopté un ton beaucoup plus conciliant, affirmant que son parti ne s'opposerait pas à la création d'un Etat palestinien dans les frontières de 1967, ce qui est l'objectif des parrains occidentaux du processus de paix. Mais cette offre de compromis, que le Hamas réitère à intervalles réguliers depuis sa victoire électorale en 2006, n'a jamais suscité de réactions de ces pays qui continuent d'exiger une reconnaissance formelle d'Israël avant tout dialogue avec les islamistes. "Tant que la communauté internationale ne bougera pas, le Hamas ne bougera pas non plus, dit M. Sha'ban. Les diplomates occidentaux devraient lire le coran. Il y est écrit que celui qui fait un mètre vers Dieu, Dieu fera cent mètres vers lui."

Benjamin Barthe

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