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http://pubs.lemonde.fr/0/default/empty.gifhttp://medias.lemonde.fr/mmpub/img/lgo/lemondefr_pet.gif Article paru dans l'édition du 26 février 2012

Izzeldin Abuelaish, au nom de ses filles

(Presque) Plus personne n'en parle

Trois ans après la mort de trois de ses enfants, tués à Gaza par un obus israélien, le médecin palestinien continue à oeuvrer pour la paix. Installé à Toronto, il a fondé une association pour l'éducation des jeunes filles au Proche-Orient

On n'a pas oublié le docteur Izzeldin Abuelaish, même si peu ont retenu son nom. Ce médecin de Gaza, qui avait perdu trois de ses filles et sa nièce, fauchées par un obus de tank israélien en pleine opération « Plomb durci », le 16 janvier 2009, avait ému le monde entier. Son cri de douleur, ses pleurs et ses supplications, en direct sur la chaîne 10 israélienne, avaient furtivement percé le mur d'indifférence de la grande majorité de l'opinion israélienne. Deux jours après la mort de Bessan, Mayar, Aya et Noor, l'armée israélienne cessait unilatéralement le feu.

Gynécologue à l'hôpital Tel-Hashomer, près de Tel-Aviv, Izzeldin Abuelaish était une figure connue du public israélien. Parce qu'il parle l'hébreu et parce qu'il a toujours tenu un discours de paix et d'humanité, malgré la violence et le chagrin. Les médias israéliens ne l'appellent plus, car Izzeldin Abuelaish a déménagé au Canada avec ses enfants. Il est parti, sans haine et sans regarder en arrière.

« Je n'ai pas émigré, explique le médecin, de passage à Paris pour faire la promotion de son livre (Je ne haïrai point - Un médecin de Gaza sur les chemins de la paix, Robert Laffont, 2011). Je déteste ce mot. Nous, Palestiniens, avons assez émigré comme ça. Nous avons perdu nos maisons, notre terre, c'est assez comme ça, assez. » Il n'a pas changé : l'oeil et le cheveu noirs, une énergie peu commune pour convaincre.

Après le drame, Izzeldin Abuelaish a fini par accepter l'offre renouvelée de l'université de Toronto, qui avait déjà proposé de l'accueillir en 2008, peu après la mort de sa femme des suites d'une leucémie aiguë. Il a déménagé avec ses cinq enfants : Dalal, 21 ans, Shatha, 19 ans, blessée dans l'attaque, Mohammed 16 ans, Rafah, 12 ans, et Abdallah, 9 ans. Les deux grandes suivent des études d'ingénieur ; les plus jeunes s'émerveillent de leur nouvelle école tout en se demandant pourquoi il n'est pas possible d'avoir les mêmes conditions de travail à Gaza.

Parfois, cette nouvelle vie ne va pas sans difficulté. Comme ce jour où sa fille Rafah a lancé : « Mais qu'est-ce qu'on va devenir si quelque chose t'arrive ici ? Qui s'occupera de nous ? Au moins, à Gaza, nous avons de la famille. Je veux rentrer », a-t-elle jeté à la figure de son père. Izzeldin Abuelaish a laissé passer l'orage avant de tenter de réconforter sa fille : « Tu es ici pour t'éduquer, lui a-t-il expliqué, pour être utile à ton peuple et mieux le défendre. Ce n'est pas où tu es qui compte, mais ce que tu fais. »

Bourses d'études

Le discours qu'il a tenu à Rafah, le médecin essaie de le mettre en oeuvre à travers l'ONG qu'il a fondée après le décès de ses filles. Daughters for Life (« Filles pour la vie ») est une fondation militant pour l'éducation des jeunes filles au Proche-Orient. En 2011, trente-cinq prix de 1 000 dollars chacun ont été décernés à des jeunes Palestiniennes, Jordaniennes et Israéliennes, élèves brillantes malgré des conditions de vie difficiles. Le Dr Abuelaish insiste sur le fait que sa fondation ne discrimine personne : « Nous avons tenu à récompenser des Israéliennes, juives comme arabes. »En 2012, sa fondation accordera huit bourses d'études supérieures au Canada à des jeunes femmes défavorisées du Proche-Orient.

Malgré sa nouvelle vie à Toronto, Abuelaish rentre régulièrement au pays. « C'est à Gaza qu'est mon coeur. C'est là que ma mère, ma femme, mes filles sont enterrées. J'y vais pour me sentir en colère parce que rien n'a changé. Au contraire, tout empire. » Israël aussi lui semble aller de mal en pis. « La société y est de plus en plus extrémiste et centrée sur elle-même. Le gouvernement actuel l'emmène vers des horizons inconnus et destructeurs. »

Il ne croit plus dans le processus de paix - « négocier est un moyen, pas une fin en soi » - et la coexistence de deux Etats, israélien et palestinien, lui paraît de plus en plus difficile : « Mais si la situation est devenue aussi inextricable, il faut dire pourquoi et à cause de qui. On ne peut pas faire l'économie de ça. Que veulent les Israéliens ? Deux Etats ? Alors, le droit international est clair. Un seul Etat ? Alors ils doivent en assumer les conséquences. Ou veulent-ils vivre indéfiniment dans la peur et nous maintenir indéfiniment dans ce no man'sland ? »

Christophe Ayad


En 2011, parution en France de son livre Je ne haïrai point (Robert Lafont)

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