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Article de « Le Soir », mardi 21 février 2012

 

Israël veut des arbres à la place des Bédouins

Par Serge Dumont à KHAN EL AKHMA (CISJORDANIE)

 

Il fut un temps pas si lointain où Eid Abou Khamis, chef du village bédouin de Khan el-Akhma situé à la sortie de Jérusalem-Est, possédait une cinquantaine de chèvres et sept chameaux. Mais cette époque est révolue car ce lieu-dit sans électricité ni eau courante est appelé à disparaître.

Pour permettre, dans cette zone baptisée « E1 » par  l’administration israélienne, de créer une immense zone verte reliant les colonies juives de Kfar Adoumim et de Maaleh Adoumim. Un gros bloc d’implantations qui scinderait la Cisjordanie en deux et couperait définitivement la partie arabe de Jérusalem de son hinterland.

Le problème, c’est que plusieurs villages bédouins se trouvent sur ces terres appelées à se transformer en nouveau poumon vert de la ville sainte et que l’Etat hébreu tente depuis des mois de les en expulser. « Nous avons déjà reçu des mises en garde, des officiers de Tsahal (l’armée) nous mettent quotidiennement la pression », affirme Eid Abou Khamis dont le frère est l’un des leaders de la tribu de Jehalin, un immense clan familial dont les vingt mille membres résident autant dans le désert du Neguev (Israël) qu’en Cisjordanie et en Jordanie.

Lorsqu’il a été approuvé en 1995 par Itzhak Rabin, le plan « E1 » prévoyait la création d’une nouvelle implantation baptisée Mevasseret Adoumim. Or, vers 2002, la mise en chantier du projet a suscité une telle indignation que la construction a été gelée. Le terrain est devenu un « espace naturel » de 1.215 hectares. Certes, les autorités israéliennes promettent de reloger les habitants de Khan el-Akhma, mais au pied d’une décharge d’ordures. Celle de Mizbeleh où s’accumulent les déchets de Jérusalem. Là, ils retrouveront leurs cousins de Ras-el-Baba, un autre village bédouin auquel des soldats ont délivré des avis d’expulsion la veille de notre passage sur place. « Puisqu’Israël ne peut plus construire dans ses implantations sans soulever un tollé international, il pratique une colonisation rampante en surfant sur l’air du temps : il grappille des hectares de notre terre au nom du retour à la nature », lâche Atalleh Nazareh, le mukhtar (chef) de Ras-el-Baba. « Nous, avec nos chèvres, nos chameaux et nos maisons faites de bric et de broc, nous ne faisons évidemment pas le poids ».

Pour l’heure, une série d’ONG israéliennes tentent de défendre les Bédouins sur le terrain juridique. Mais elles font difficilement le poids. Entre autres parce que cinq députés – dont Arieh Eldad, le ténor du parti d’extrême droite « Union nationale » – ainsi que de hauts gradés de Tsahal résident à Kfar Adoumim, l’une des colonies qui bénéficiera du nouvel« espace vert ».

A six kilomètres de là, les villages palestiniens d’Issawieyh et d’A-Tur, deux bourgs de 15.000 habitants annexés en 1967 et intégrés d’office dans le« Grand Jérusalem », se heurtent eux aussi à la nouvelle forme de colonisation mise en place par l’Etat hébreu. Une partie de leurs terres a été intégrée dans « E1 » et une autre a été offerte à l’université de Jérusalem qui y a agrandi son campus du mont Scopus. Quant au reste (74 hectares), il est « gelé ». Il servira à établir un nouveau parc national aux dépens des villageois palestiniens auxquels la municipalité de Jérusalem n’accorde plus aucun permis de bâtir. « En prétextant vouloir protéger la nature et planter des arbres, les Israéliens organisent le fameux « transfert » dont rêve leur extrême droite. Ils nous poussent à vider la place », s’insurge Mohamad Abou Houmous, un habitant d’Issawiyeh qui nous transporte dans sa vieille camionnette cabossée.

 Les travaux du parc national n’en sont qu’aux prémices. Ils ont débuté la semaine dernière par du terrassement. Des dizaines de jeunes gens ont accueilli les bulldozers à coups de pierre. Une bataille de six heures s’en est suivie avec les soldats israéliens. Pris à partie, le maire de Jérusalem Nir Erekat a dû battre en retraite pour éviter le lynchage. « C’était épique mais on n’en a parlé nulle part, raconte Haani, le membre le plus âgé du Comité contre le parc. « Avec le printemps arabe, nous n’intéressons plus personne ».

 

CONTEXTE :

 Le problème :

 Faute de pouvoir développer ses implantations sans provoquer l’indignation internationale, Israël poursuit la colonisation en gelant des territoires palestiniens pour y créer des parcs nationaux et autres« zones vertes protégées ».

L’enjeu :

 Cette colonisation rampante et discrète vise à couper la Cisjordanie en plusieurs parties et à empêcher le développement de la population palestinienne. En tout cas, elle hypothèque davantage la viabilité d’un Etat palestinien indépendant.

A suivre :

Les travaux du parc national du mont Scopus focalisent l’attention de l’opinion palestinienne. Ils risquent de se transformer en abcès de fixation et de susciter des incidents violents.  

 

http://lesoir.be

www.jahalin.org

 

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