|   Il n'est pas sans
    risque de dresser un état des lieux dans le conflit qui oppose, depuis les
    lendemains de la guerre de 1967, Israël et les Palestiniens, chargé par
    l'hostilité constitutive de pays arabes ne reconnaissant pas l'Etat juif et
    celle de l'Iran des mollahs qui prétend vouloir sa disparition. Sur le plan de la
    géopolitique régionale, la situation, malgré l'isolement d'Israël, est
    moins médiocre qu'il n'y paraît. Certes, la volte-face récente de la
    Turquie a fait perdre à l'Etat juif un allié de taille qui, il y a quelques
    années encore, participait avec celui-ci et la Jordanie à des manoeuvres militaires communes. La nouvelle diplomatie
    turque cherche à occuper une place majeure dans l'Orient sunnite, renouant
    avec une politique qui fut la sienne depuis le XVIe siècle. L'Egypte d'Hosni
    Moubarak, si commode, n'est plus, mais la montée des Frères musulmans et
    d'autres courants islamistes serait plus redoutable si l'Egypte, le seul
    pays arabe ayant une tradition étatique, n'était dans une situation
    économique aussi précaire. La Jordanie, pour l'heure, bien que peuplée de
    70 % de Palestiniens, reste stable, l'Irak chiite a fort à faire avec ses
    problèmes intérieurs, la Syrie connaît une guerre civile en devenir qui
    devrait mener, à terme, à la chute du pouvoir alaouite allié à l'Iran et
    soutien du Hezbollah. La Turquie jouera un rôle sans doute décisif
    lorsqu'elle sera internationalement mandatée pour hâter la déstabilisation
    du régime syrien. Reste l'adversaire
    principal, l'Iran et son programme nucléaire, dont la coalition qui dirige
    Israël fait son cheval de bataille. Le discours, apocalyptique, de Benyamin
    Nétanyahou à l'ONU visait à mettre la pression à l'incandescence afin que
    les mesures de rétorsion à l'encontre de l'Iran soient renforcées. Elles
    ont porté leurs fruits. Les banques iraniennes voient leur liberté d'action
    réduite, et les mesures concernant le pétrole iranien vont frapper de plein
    fouet une économie déjà éprouvée par l'embargo en cours. Devant les
    réticences du président américain concernant l'option militaire sans délai,
    il est peu probable qu'Israël se décide, quelle que soit sa rhétorique, à
    frapper en premier. Ce dossier capital, chargé d'incertitudes, restera au
    centre des négociations internationales des mois à venir. Après avoir
    rencontré, à Jérusalem, toutes les formations politiques qui composent la
    coalition actuelle, l'observateur politique est amené à conclure qu'il n'y
    aura pas d'Etat palestinien dans un délai prévisible. La prise de
    possession se fait par la pierre. En 1967, Al-Qods
    (nom arabe pour Jérusalem) avait 6 km2 ; aujourd'hui, le Grand Jérusalem en
    compte 70 (y compris Jérusalem-Ouest). La Vieille Ville est enserrée en un
    premier cercle (Mont Scopus, French Hill, Augusta
    Victoria, Kamot). Le Grand Jérusalem écarte, par
    un second cercle, la présence palestinienne : bâtiments, portions du mur,
    système routier N1 et N443. Har Homa, bâti en
    1996 sous le gouvernement Nétanyahou, isole Jérusalem de Bethléem. Les bâtiments semble avoir été pensé dans la perspective d'une
    guérilla urbaine. Une troisième enceinte va de Maale
    Adumim (45 000 juifs, 5 000 Palestiniens) à Gush Etsion (60 000 juifs, 20
    000 Palestiniens). Un certain nombre de maisons palestiniennes ont été
    confisquées, ce qui s'ajoute aux centaines de familles ayant perdu leur
    " droit de résidence ". J'ai pu, en
    Cisjordanie septentrionale (dénommée ici Samarie), visiter Ariel, une cité
    de 28 000 habitants dont quelque 13 000 étudiants, avec sa municipalité,
    ses activités communales, son système de transport. Non loin sur la route
    n° 5, des implantations ont été bâties sans permis, postes avancés qu'on ne
    considère pas comme illégaux, comme Nofei Mekhemia ou Rechalim. Dans les
    implantations, on trouve surtout des jeunes couples avec enfants. Les
    femmes portent robes longues jusqu'aux chevilles et foulards, et les
    hommes, presque sans exception, la kipa. La sécurité est en principe
    assurée par l'implantation elle-même. Tous ceux qu'on rencontre sont
    confiants et ont le sentiment d'accomplir quelque chose d'important. A Barkan, village qui se revendique séculier, une zone
    industrielle emploie également des Palestiniens. Les salaires sont deux
    fois plus élevés que ceux versés par l'Autorité palestinienne (qui boycotte
    ce qui est fabriqué dans les implantations). Des hauteurs d'Itamar, on peut voir les " trois mers ", tant
    l'espace est exigu : la Méditerranée, la mer Morte et le lac de Tibériade.
    La séparation est sensible à l'échelle du réseau routier - en principe pour
    garantir la sécurité, mais aussi pour contrôler les passages obligés. Un
    système de tunnels permet de ne pas se croiser. En quoi consiste
    l'occupation ? Il s'agit, grâce aux implantations, d'assurer le contrôle
    spatial et de concourir à la séparation (Hafradah)
    des entités palestiniennes, à briser la continuité plus ou moins dense des
    villages ou des agglomérations. Séparer facilite le contrôle, qui est
    essentiel. Celui-ci est assuré par un rets serré de mesures : permis de
    déplacement, barrières de séparation pour les passages, restriction sur
    l'usage de routes proches des implantations pour prévenir le terrorisme.
    Celui-ci est sanctionné par des punitions collectives, comme dans toute
    occupation, mais non par l'exécution d'otages. Au cours des
    quarante-cinq dernières années, quelque 130 000 Palestiniens de Cisjordanie
    ont perdu leur " droit de résidence ". Dans l'ensemble,
    l'occupation israélienne est pénible, voire dure parfois, mais on est très
    loin des répressions menées naguère par des régimes semi-démocratiques (Sri
    Lanka, Turquie, Russie) ou dictatoriaux. Quelles que soient les mesures qui
    accentuent la séparation, il n'est pas pertinent de définir la condition
    des Palestiniens comme un apartheid. J'ai vécu plusieurs mois en Afrique du
    Sud, dans les années 1980, et mesure la différence. Le contrôle se
    double d'un arsenal légal qui cumule maintien de l'ordre et avancée
    territoriale. La présence israélienne se veut dissuasive. Des
    manifestations de réticences entraînent des confiscations. Dans cette démonstration
    de force, les colons sont partenaires de l'armée et des éléments de choc,
    surtout parmi les plus idéologisés, souvent provocateurs. Hébron
    (Cisjordanie méridionale, dénommée Judée) est un cas à part. Le lieu est
    chargé de symboles : le tombeau des Patriarches (Abraham et Sarah, Isaac et
    Rebecca...). Avec Safed, Tibérias et Jérusalem,
    Hébron est une des quatre cités saintes du judaïsme. Le tombeau des
    Patriarches est, pour les juifs, un lieu sacré, et l'on vous fait remarquer
    que les synagogues, autrefois nombreuses dans les pays arabes, sont
    aujourd'hui inaccessibles ou détruites, ce qui renforce à l'égard des lieux
    saints du judaïsme tel Hébron une vénération passionnée. En 1929, 67 juifs
    y étaient massacrés, et les Britanniques évacuèrent la petite communauté
    juive de la cité. En mai 1970, non loin, est créée l'implantation de Kiryat Arba, où vivent
    quelque 7 250 juifs. En 1979, des colons religieux entrent dans la ville et
    y occupent un bâtiment. L'année suivante, sept d'entre eux sont assassinés.
    Quatorze ans plus tard, un certain Goldstein tue 29 musulmans dans la
    mosquée du Caveau. En vertu du protocole d'Hébron, en 1997, la ville est
    divisée en deux : H1 et H2. J'ai pu, grâce à
    Elie Barnavi (ancien ambassadeur d'Israël en
    France) et avec lui, visiter la section fantôme du centre-ville (H2). Afin
    que moins de 900 colons ultra-religieux puissent
    y séjourner sous la protection de l'armée, parallèlement à 175 000
    Palestiniens, il a fallu, dans la période qui suivit l'affaire Goldstein et
    durant la seconde Intifada, procéder à la fermeture des marchés de la
    viande, des fruits et légumes, murer une série de sorties de la section H1,
    évacuer un millier de logements, fermer 1 800 boutiques. Des maisons
    palestiniennes ont leur porte d'entrée condamnée. Les habitants doivent
    sortir par les toits. Les fenêtres ont des avancées de protection contre
    les pierres jetées par des colons agressifs. Les Palestiniens peuvent aller
    à pied dans les rues de H2, mais pas en voiture. De nouvelles implantations
    se sont créées : Givat Haavot,
    Avraham Avinu, Beit Romano, Beit Hadassah, Tel Rumeida. Hébron
    montre le visage nu de l'occupation. Il est choquant de voir quelques
    centaines d'ultra-orthodoxes obliger des dizaines de milliers de
    Palestiniens à s'incliner de la sorte. Hébron est une flétrissure dans la
    démocratie israélienne. La situation est
    différente en zone A, celle de l'Autorité palestinienne, prospère et
    discrètement contrôlée, ce qui tend, suivant les classes sociales, à
    atomiser jusqu'à un certain point la société, cependant unie par un fort
    sentiment d'humiliation. Il est défendu aux Israéliens de se rendre en zone
    A, mais les Palestiniens d'Israël peuvent librement y entrer.
    L'observateur, au terme de ce tour d'horizon, constate qu'il s'agit d'une
    occupation doublée d'une avancée territoriale pensée et qu'elle reste, pour
    l'Autre, une dépossession. Les Palestiniens
    comptent cependant sur leur présence obstinée, le temps et la démographie
    (en 2030, pourtant, la population juive constituera encore près de la
    moitié du territoire contrôlé par Israël). Un prochain sursaut ne peut
    manquer de se produire. Confiantes, les autorités israéliennes pensent
    pouvoir le juguler et jouent sur la non-résolution du conflit. Les élites
    politiques israéliennes sont inégalement partagées entre ceux qui estiment
    nécessaire et bénéfique de déboucher sur un accord et une majorité qui
    préfère poursuivre le processus en cours et pense le maîtriser. Grâce à
    l'accord surprise passé avec le nouveau dirigeant du parti Kadima, qui s'était déclaré partisan d'un Etat
    palestinien, M. Nétanyahou jouit d'une nouvelle marge de manoeuvre. Il peut en faire usage pour marginaliser
    certains des partis des petites formations religieuses. Il est par contre
    douteux, malgré les effets d'annonce, qu'il négocie pour aboutir sur le
    dossier palestinien. © Gérard Chaliand Répartition territoriale 
     
      | TERRE TROP
      PROMISE, la Palestine du mandat, aujourd'hui divisée entre Israël et les
      territoires occupés, est l'espace exigu où il est question que cohabitent
      deux Etats que la communauté internationale et les parties concernées
      appellent de leurs voeux depuis bientôt vingt
      ans. Ce conflit concerne des juifs qui ont payé le prix le plus élevé
      pour le droit de survivre, un monde arabe humilié et des Palestiniens dépossédés
      et contraints. Rappelons qu'il
      s'agit d'un affrontement dont le nombre des victimes, de part et d'autre,
      est modeste comparé, par exemple, à celui du Sri Lanka, ou des millions
      de morts en République démocratique du Congo qui ne mobilisent guère les
      opinions publiques et que la Cisjordanie et Gaza (5 500 km2) étaient,
      entre 1949 et 1967, sous le contrôle de la Jordanie et de l'Egypte
      respectivement. Pour
      l'observateur sensible aux problèmes stratégiques et à la géographie,
      Israël est un cas d'école. L'Etat d'Israël s'étend sur 78 % de la
      Palestine du mandat (environ 20 000km2). La bande de Gaza (1,3 %),
      évacuée et dirigée par le Hamas, est (sur) peuplée d'environ 1,6 million
      d'habitants. Dans l'Etat d'Israël, on décompte quelque 5 500 000 juifs et
      environ 1 800 000 " Arabes israéliens ". La Cisjordanie, soit
      20,3 % de la Palestine du mandat, à peine plus de 5 000 km² est divisée
      en zones A, B, C. On y compte (Jérusalem compris) environ 3 millions de
      Palestiniens et 650 000 juifs, dont 320 000 dans le Grand Jérusalem. La
      zone A est dévolue à l'Autorité palestinienne, la B est sous
      administration palestinienne, mais la sécurité est contrôlée par Israël,
      la C concerne le reste de la Cisjordanie, dont les colonies. Les
      Palestiniens occupent environ un tiers des 22 % des territoires occupés. Les partis
      séculiers et leurs élites, qui avaient réussi, jadis, à créer l'Etat,
      objectif essentiel des sionistes, sont dépassés. La dynamique pionnière
      n'est guère plus insufflée que par les partis religieux. Les religieux
      orthodoxes font beaucoup d'enfants, mais les hommes ne travaillent pas et
      accomplissent rarement le service militaire. Tandis que leur proportion
      augmente, ils tendent à vouloir régenter les comportements, pour tous,
      notamment le jour du shabbat et maintiennent les femmes en position
      d'infériorité. Afin de justifier les implantations, les ultras religieux
      en appellent aux Ecritures. Les droits historiques l'emportent désormais
      sur le maître mot des débuts d'Israël : la sécurité. De facto,
      l'espace sous contrôle militaire israélien est un puzzle complexe dont
      l'enchevêtrement, calculé grâce aux implantations, au système routier et
      à la division en trois zones, " cantonalise
      " les Palestiniens de Cisjordanie. © Le Monde |  |