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LogoLeMonde.jpg du 25 novembre 2012

 

Mirage d'un retour en Palestine...

Par Laurent Zecchini

 

C'est peu dire que Mahmoud Abbas n'est pas populaire dans le " camp de Gaza ". Dans l'enclave palestinienne que les Israéliens considèrent comme une écharde enfoncée dans leur Etat, cela va sans dire. Mais il s'agit en l'occurrence d'un camp de réfugiés aux portes de Jerash, l'antique cité fondée à la fin du IVe siècle avant J.-C., située au nord-ouest d'Amman, la capitale du royaume hachémite.

Le " crime " du président de l'Autorité palestinienne ? Avoir osé une vérité dérangeante : originaire de la ville de Safed, dans le nord d'Israël, il aimerait y revenir un jour, mais en simple touriste. " Je suis un réfugié, mais je vis à Ramallah et je pense que la Cisjordanie et Gaza sont la Palestine. Et les autres parties, Israël. " Une remarque de bon sens ? Pas pour les 5 millions de réfugiés palestiniens disséminés en Jordanie, au Liban, en Syrie, à Gaza et en Cisjordanie, pour qui le " droit au retour " dans la Palestine historique est cardinal.

Le hourvari dans les territoires palestiniens occupés et les camps gérés par l'UNRWA, l'Agence des Nations unies chargée de venir en aide aux réfugiés palestiniens, a été tel que M. Abbas a fait une piteuse mise au point : " Jamais " bien sûr, il ne renoncera au droit au retour... Une bonne partie des 25 000 réfugiés du " camp de Gaza ", qui n'avaient pas une grande confiance dans une Autorité palestinienne fort lointaine, ne l'ont pas cru.

Si les autorités municipales de Jerash n'insistent pas pour que les circuits touristiques s'y arrêtent, c'est que le lieu n'est pas reluisant. On dit même que c'est le pire des cinquante-huit camps de réfugiés palestiniens gérés par l'UNRWA. S'ils n'ont pas d'identité, c'est que ses résidents viennent de Gaza. Enfin, historiquement, de Beersheva, la grande ville du Néguev, avant d'émigrer vers Gaza.

Au moment de la guerre de 1967, les choses se sont compliquées. Fuyant un territoire sous mandat égyptien, ils se sont réfugiés en Jordanie, qui a refusé de leur accorder le statut des Cisjordaniens. Laissés-pour-compte de l'Histoire, ils sont citoyens de nulle part : non reconnus par l'Autorité palestinienne, la Jordanie leur accorde avec réticence une carte d'identité temporaire, sur laquelle il est mentionné " habitant de Gaza "...

Paradoxalement, ce statut précaire et ses avanies - pas d'emploi dans la fonction publique et dans l'armée, pas de mandat électif, une couverture sociale tronquée, etc. -, ils ne veulent pas y renoncer : " Nous ne voulons pas être considérés comme des citoyens jordaniens, mais comme des Palestiniens réfugiés qui attendent leur retour ", assure Marwan, un responsable du camp, qui, comme tous nos interlocuteurs, préfère garder l'anonymat. Le mirage du retour donc, depuis quarante-cinq ans...

Leurs rêves, leurs frustrations et leur colère illustrent ceux de millions de réfugiés palestiniens. Un rapide tour de leur horizon s'impose : ce qui frappe dans le " camp de Gaza ", ce sont les égouts. Ils sont à ciel ouvert, canalisations béantes débordant d'eaux saumâtres et infectées qui ruissellent dans les ruelles grimpantes, en terre battue. Les enfants y jouent, et aussi dans les décharges qui pullulent et brûlent sur place, faute de ramassage des ordures. Misère, situation sanitaire effarante et précarité. Un espoir pourtant, s'agissant des égouts : la Suisse a accepté de financer, à hauteur de 7,6 millions d'euros, la réhabilitation du réseau, à partir de 2013. Quant au reste, les écoles, la santé, la nourriture, les infrastructures, l'emploi ? L'UNRWA n'y suffit pas, loin de là, et de toute façon les financements de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (928 millions d'euros par an) sont menacés.

En Israël et aux Etats-Unis, la campagne pour dénoncer la pérennité de la prise en charge - depuis plus de six décennies - des réfugiés historiques et de leurs descendants, c'est-à-dire pour contester la définition même de " réfugié palestinien ", prend de l'ampleur. La thèse ? Au-delà des quelque 30 000 réfugiés de 1948 encore vivants, leurs enfants et petits-enfants ne devraient pas être subventionnés ad vitam aeternam par la communauté internationale.

Le sujet fait bouillir les sangs des " responsables de la communauté "que sont Marwan, Imad, Ziad et Mukhimar. " Abbas ne représente plus le peuple palestinien, ce qu'il dit n'engage que lui ", fulmine Marwan. " Même Abou Mazen - surnom de M. Abbas - ne peut nier que l'ONU nous garantit ce droit, d'ailleurs aucun pays arabe ne le remet en cause ", renchérit Imad. Mais tous se retrouvent pour approuver la démarche de M. Abbas visant à obtenir de l'ONU, le 29 novembre, la reconnaissance de la Palestine comme " Etat observateur permanent ". Ziad pense que c'est " une initiative légitime et nécessaire, même si ses conséquences seront négatives ". Imad est fataliste - " les sanctions des Israéliens et des Américains ? La situation des Palestiniens, et particulièrement la nôtre, est déjà misérable, donc cela ne changera rien " -, mais Mukhimar s'inquiète de la conjonction entre la remise en cause du droit au retour et un Etat palestinien réduit à la portion congrue (en tout état de cause, moins de 22 % de la Palestine historique) : " Que devenons-nous dans un tel scénario ? ",demande-t-il.

C'est aussi la hantise des gouvernements des pays d'accueil, du Liban à la Jordanie. A Amman, on est mécontent de la franchise de l'" homme de Safed ". Car des réfugiés palestiniens définitivement privés d'espoir du retour demanderont l'égalité des droits avec les Jordaniens des tribus. Vu le fragile équilibre ethnique qui est la marque du royaume hachémite, c'est une recette assurée pour la déstabilisation de la monarchie.

 

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