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http://medias.lemonde.fr/mmpub/img/lgo/lemonde_pet.gif   mardi 13 août 2013

ANALYSE

par Laurent Zecchini  -  Correspondant à Jérusalem

Les dividendes pour la paix du gaz israélien

Il n'y a pas que les monarchies pétrolières qui disposent d'une puissance économique au Proche-Orient. Israël a désormais les moyens de les rejoindre, en mettant ses ressources gazières au service de la coopération régionale, et in fine de la paix. Dans le grand jeu énergétique proche-oriental, Israël possède deux atouts maîtres : Tamar et Léviathan. Encore faut-il que le gouvernement de Benyamin Nétanyahou fasse preuve de vision pour jouer le jeu de cette " diplomatie du gaz ".

Les deux gisements sont situés au large d'Haïfa, dans cette partie orientale de la Méditerranée où au moins quatre pays - Israël, Liban, Egypte, Chypre - disposent de bassins gaziers dans leur zone économique exclusive. Pour Israël, la découverte de Tamar et Léviathan a représenté une divine surprise, dont - et ce n'est pas la moindre - celle de pouvoir rompre une dépendance énergétique avec l'Egypte, qui a fourni près de 50 % du gaz israélien jusqu'en 2010.

Avec Tamar (282 milliards de m3), Israël couvrirait ses besoins pour les vingt-cinq prochaines années. Et il reste Léviathan : 540 milliards de m3, sans compter d'autres gisements prometteurs ! Que faire de ce pactole ? Le débat entre partisans de la sauvegarde de l'héritage énergétique des générations futures et défenseurs d'exportations susceptibles de remplir les caisses de l'Etat se poursuit. Mais le gouvernement a tranché le 23 juin : environ 540 milliards de m3 seront consacrés à un usage domestique, le reste (40 %) pouvant être exporté.

Au-delà des aspects mercantiles, la dimension géopolitique du gaz israélien est importante. " Il peut influencer le jeu régional, voire exercer un impact sur les marchés européen et asiatique, y compris en Inde et en Russie ", confirme Oded Eran, expert à l'Institut d'études stratégiques (INSS) de Tel-Aviv. Parmi les pays candidats au gaz israélien, la Jordanie se détache comme le client le plus naturel.

Le royaume hachémite a un urgent besoin de combustible pour faire tourner ses centrales électriques. L'Egypte lui fournissait 80 % de sa consommation jusqu'à la quasi-interruption de cet approvisionnement à cause d'attentats à répétition contre le gazoduc du Sinaï. Le gouvernement israélien a pris la décision de principe de fournir du gaz à son voisin d'outre-Jourdain, mais le roi Abdallah II, pour ne pas donner des arguments aux islamistes à l'affût de toute coopération avec l'" entité sioniste ", reste discret.

L'important étant de ne pas laisser de " signature israélienne " sur un accord gazier, des exportations indirectes, via une compagnie intermédiaire, pourraient intervenir assez vite. L'autre partenaire potentiel est la Turquie, ex-allié stratégique d'Israël et gros consommateur de gaz naturel (48 milliards de m3 en 2012). La découverte de Léviathan cadrerait avec la volonté d'Ankara de réduire sa dépendance de la Russie, qui lui fournit 70 % de ses besoins.

La Turquie dans les starting-blocks

Même si les relations bilatérales se sont fortement dégradées depuis l'assaut lancé en mai 2010 par la marine israélienne contre le paquebot turc Mavi-Marmara en route vers Gaza, les hommes d'affaires turcs du secteur gazier sont dans les starting-blocks. Les deux pays ont été longtemps liés par une importante coopération militaire et touristique, et leurs relations commerciales ont été peu altérées par les vicissitudes diplomatiques.

Aujourd'hui, 80 % du pétrole importé par Israël (de Russie et d'Azerbaïdjan) transite par la Turquie, via l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan. Chypre, compte tenu de son gisement Aphrodite, n'a pas besoin du gaz israélien, mais pourrait servir de point de transit pour son exportation vers l'Europe. Sauf que c'est une pomme de discorde potentielle avec la Russie, qui ne verra pas d'un bon oeil la concurrence israélienne.

Restent les voisins immédiats, l'Egypte, et surtout la Palestine. La première, qui a géré imprudemment sa ressource gazière, pourrait à l'avenir importer du gaz israélien. Michael Lotem, expert énergétique au ministère israélien des affaires étrangères, tempère les effets attendus de la " diplomatie du gaz " : " Israël a importé longtemps du gaz égyptien, sans que cela change fondamentalement la nature de nos relations. " " Mais, ajoute-t-il, cela peut être une brique de plus dans l'édifice bilatéral. "

Ce principe vaut pour les Palestiniens. Les réserves de Gaza marine, gisement situé au large de l'enclave palestinienne, sont estimées à environ 38 milliards de m3, soit un patrimoine financier conséquent pour une Autorité palestinienne menacée de faillite. Sauf que les responsables israéliens ont des exigences : que le Hamas ne profite pas de cette manne ; que le gaz palestinien " bénéficie ", lui, du pipeline sur Ashkelon pour être amené à terre ; et qu'Israël soit le principal client, à un prix inférieur à celui du marché...

Sans compter ce préalable : tant que la Palestine sera divisée en deux gouvernements, l'un à Gaza, l'autre en Cisjordanie, l'eldorado du gaz palestinien demeurera une chimère. Le gaz israélien a indéniablement vocation à générer des dividendes pour la paix régionale. A condition qu'Israël manifeste clairement sa volonté de nouer des partenariats avec ses voisins, et qu'il impose celle-ci aux compagnies gazières, dont les intérêts ne coïncident pas forcément avec les siens.

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