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15 ans après l'avis consultatif de la Cour mondiale sur le mur de séparation israélien : un sinistre rappel que le peuple palestinien ne peut espérer obtenir justice ou faire valoir ses droits par des moyens pacifiques

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4 août 2019

 

 

Richard Falk est rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967. Il a publié cet article sur son blog le 10 juillet 2019.

 

 

Le 9 juillet 2004, la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye a rendu un avis consultatif par 14 voix contre 1, le juge américain étant le seul dissident, comme s'il pouvait y avoir le moindre doute sur cette identité même si elle n’était pas divulguée. La décision rendue en réponse à une question posée par une résolution de l’Assemblée générale déclarait que le mur de séparation était illégal, et que le respect du droit international nécessiterait son démantèlement et le dédommagement des communautés et des individus palestiniens. Comme pour l'identité du juge dissident, le non-respect par Israël de la décision était aussi prévisible que l'heure du lever du soleil demain.

 

15 ans après l'avis consultatif de la Cour mondiale sur le mur de séparation israélien : un sinistre rappel que le peuple palestinien ne peut espérer obtenir justice ou faire valoir ses droits par des moyens pacifiques

 

A peine moins prévisible fut la réponse du gouvernement américain, qui, adoptant son ton hégémonique coutumier, a indiqué aux parties que ces questions devaient être résolues par des négociations politiques, qui, même si elles étaient suivies, aboutiraient selon les vœux d’Israël, compte tenu de la relation hiérarchique entre Israël en tant qu'occupant et la Palestine en tant qu’occupée. Nul besoin de formation juridique pour rejeter l'argument américain comme étant au mieux stupide, au pire cynique. La question posée à la CIJ était essentiellement juridique, à savoir si la construction du mur de séparation sur le territoire palestinien occupé était ou non conforme à la quatrième convention de Genève régissant une occupation belligérante.

 

Bien que qualifiée d'"avis consultatif", la décision s'appuie sur un consensus pleinement motivé et documenté des plus éminents juristes du monde sur les exigences du droit international en ce qui concerne la construction de ce mur de 700 km, dont 85% est situé sur le territoire palestinien occupé. Le degré d'autorité de l'analyse juridique est renforcé par le caractère unilatéral de la décision. Il est rare qu’une contestation juridique devant la CIJ fasse l’unanimité à la lumière de la diversité des systèmes juridiques des 15 juges et des différences de civilisation et d’idéologie qui marquent l’ordre mondial en général.

 

Cette décision juridique à La Haye a été entérinée politiquement par l’Assemblée générale, qui a imposé à Israël le respect de ses obligations. Il est décevant que le mépris israélien à la fois de la CIJ, le plus haut tribunal juridique du monde, et de l'Assemblée générale, l'organe de l'ONU le plus représentatif des peuples du monde, ait suscité si peu de commentaires défavorables au fil des ans. C’est non seulement une confirmation supplémentaire que le système des Nations Unies et le droit international n’ont pas la capacité de rendre la justice même minimale au peuple palestinien, mais aussi que cette autorité institutionnelle est soumise à un droit de veto géopolitique, c’est-à-dire que le droit international sans soutien de la puissance concernée est paralysé en ce qui concerne la mise en œuvre.

 

Lorsqu’on examine le droit constitutionnel de veto accordé aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité, complété par le veto géopolitique informel permettant aux États dominants de se protéger, eux-mêmes et leurs amis, des contraintes du droit international, la dépendance du droit sur les priorités des puissants devient douloureusement évidente. Cela nous aide à comprendre de quelle manière perverse le monde est organisé.

 

Il est vraiment pathétique que seuls les faibles et les vulnérables soient soumis aux contraintes de la loi, tandis que les forts et ceux qui sont protégés par les forts sont les seigneurs sans lois de cette planète indisciplinée.

 

Le mur, symbole international notoire de séparation coercitive et d’exploitation, à l'image des structures de sécurité de l'apartheid imposées au peuple palestinien dans son ensemble, présente un modèle de mise en œuvre grotesque. Ses structures laides tranchent et fragmentent les communautés et les quartiers palestiniens, séparant les agriculteurs de leurs fermes et créant un rappel constant et inévitable de la nature de l'oppression israélienne.

 

On peut aborder la question du mur de séparation dans une perspective historique et retrouver certaines caractéristiques du mur de Berlin. Pendant la guerre froide, l'oppression en Allemagne de l'Est et plus généralement en Europe de l'Est en est un exemple. Si le gouvernement de l'Allemagne de l'Est avait osé prolonger le mur de quelques mètres jusqu'à Berlin-Ouest, cela aurait signifié la guerre et peut-être même la troisième guerre mondiale. Enfin, lorsque le mur est tombé, ce fut l’occasion de joyeuses célébrations et un moment décisif de la dynamique historique qui a permis au monde de savoir que la guerre froide était terminée. Il est utile de comprendre que le mur de Berlin a été conçu pour maintenir les gens à l'intérieur, alors que le mur israélien est censé empêcher les gens d'entrer.

 

Il y a aussi la question de la motivation. Comme beaucoup l'ont souligné, le mur reste inachevé plus de 15 ans après avoir été déclaré nécessaire pour la sécurité israélienne, ce qui tend à donner raison aux critiques qui ont dit que si la sécurité était le véritable motif, il aurait été achevé depuis longtemps. Même si l’argument sécuritaire est en partie sincère, cela illustre l‘impact injuste du "dilemme sécuritaire" : de petites augmentations de la sécurité des Israéliens sont obtenues en créant des augmentations beaucoup plus importantes de l'insécurité des Palestiniens. Au-delà de la sécurité, il est évident qu’il s’agit d’une tactique supplémentaire d’appropriation de terres par Israël, ce qui fait partie de la stratégie israélienne plus large consistant à traiter ‘l’occupation’, en particulier en Cisjordanie , comme l’occasion ‘d’annexer’ des terres. De manière encore plus insidieuse, l’intention apparente d’Israël de rendre la vie palestinienne près du mur si insupportable que les Palestiniens abandonnent leur lieu de résidence est un ‘nettoyage ethnique’, peu importe quel autre nom on emploie.

 

Quels messages cette occasion d'anniversaire transmet-elle au peuple palestinien et au monde ? C’est un sinistre rappel que le peuple palestinien ne peut espérer obtenir justice ou faire valoir ses droits par des moyens pacifiques. Un tel rappel est particulièrement instructif, car il intervient à un moment où des initiatives intergouvernementales pour trouver un compromis politique entre les attentes israéliennes et les aspirations palestiniennes se révèlent être un échec. Cet échec, là encore sans surprise, a représenté un changement radical d'approche de la ‘paix’ et une ‘solution’ de la diplomatie à la géopolitique, du cadre diplomatique critiquable d'Oslo au ‘pacte du siècle’ de Trump ou à la reformulation de Kushner, ‘de la paix à la prospérité’. Ou plus clairement, c’est ‘le caucus de la victoire’ que Daniel Pipes et le Forum pour le Moyen-Orient qu’il préside ont promu avec tant de succès ces derniers mois, plaidant en effet pour une dernière trahison des droits du peuple palestinien, approche qui a manifestement trouvé un public réceptif à la fois au Congrès américain/Maison Blanche et à la Knesset israélienne.

 

Cette stratégie géopolitique est une tentative à peine déguisée de satisfaire les exigences d’Israël en matière de frontières, de réfugiés, de colonies de peuplement, d’eau et de Jérusalem, tout en rejetant les droits reconnus par le droit international aux Palestiniens, y compris leur droit le plus fondamental à l’autodétermination, censé être un droit légal pour tous les peuples dans l'ère post-coloniale.

 

La question qui reste est "combien de temps le projet sioniste peut-il nager à contre-courant historique de l'anticolonialisme?"

 

A mon avis, la réponse dépend de si le mouvement de solidarité mondial, avec la résistance palestinienne, peut atteindre un point de basculement qui conduise les dirigeants israéliens à reconsidérer leur ‘sécurité’ et leur avenir. Un tel point a été atteint en Afrique du Sud, certes dans des conditions très différentes, mais avec un sentiment analogue que les dirigeants afrikaners n'abandonneraient jamais le contrôle sans être vaincus dans une lutte sanglante pour le pouvoir.

 

 

 

Source : richardfalk.wordpress.com/

Traduction : MR pour ISM

 

 

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