Conséquences
juridiques de l’édification d’un mur
dans
le territoire palestinien occupé
Avis
consultatif
La
Cour dit que l’édification d’un mur par Israël dans le
territoire palestinien occupé,
et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit
international; elle précise
les
conséquences juridiques résultant de cette illicéité
LA HAYE, le 9 juillet 2004. La Cour internationale de
Justice (CIJ), organe judiciaire principal de l’Organisation
des Nations Unies, a donné aujourd’hui son avis consultatif
en l’affaire des Conséquences juridiques de l’édification
d’un mur dans le territoire palestinien occupé (requête
pour avis consultatif).
Dans cet avis, la Cour dit à l’unanimité qu’elle est compétente
pour répondre à la demande d’avis consultatif soumise par
l’Assemblée générale des Nations Unies et décide par
quatorze voix contre une de donner suite à cette demande.
Elle y répond de la façon suivante :
¾
«A. Par quatorze voix contre une,
L’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est
en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y
compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem‑Est,
et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit
international»;
¾
«B. Par quatorze voix contre une,
Israël est dans l’obligation de mettre un terme aux
violations du droit international dont il est l’auteur; il est
tenu de cesser immédiatement les travaux d’édification du
mur qu’il est en train de construire dans le territoire
palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le
pourtour de Jérusalem‑Est, de démanteler immédiatement
l’ouvrage situé dans ce territoire et
d’abroger immédiatement ou de priver immédiatement d’effet
l’ensemble des actes législatifs et réglementaires qui s’y
rapportent, conformément au paragraphe 151 du présent
avis»;
¾
«C. Par quatorze voix contre une,
Israël est dans l’obligation de réparer tous les dommages
causés par la construction du mur dans le territoire
palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le
pourtour de Jérusalem‑Est»;
¾
«D. Par treize voix contre deux,
Tous les Etats sont dans l’obligation de ne pas reconnaître
la situation illicite découlant de la construction du mur et de
ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée
par cette construction; tous les Etats parties à la quatrième
convention de Genève relative à la protection des
personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949,
ont en outre l’obligation, dans le respect de la
Charte des Nations Unies et du droit international,
de faire respecter par Israël le droit international
humanitaire incorporé dans cette convention»;
¾
«E. Par quatorze voix contre une,
L’Organisation des Nations Unies, et spécialement l’Assemblée
générale et le Conseil de sécurité, doivent, en tenant dûment
compte du présent avis consultatif, examiner quelles nouvelles
mesures doivent être prises afin de mettre un terme à la
situation illicite découlant de la construction du mur et du régime
qui lui est associé.»
Raisonnement de la Cour
L’avis consultatif se divise en trois parties: compétence et
opportunité judiciaire, question de la licéité de l’édification
par Israël d’un mur dans le territoire palestinien occupé et
conséquences juridiques des violations constatées.
Compétence de la Cour et opportunité judiciaire
La Cour indique que lorsqu’elle est saisie d’une demande
d’avis consultatif, elle doit d’abord déterminer si elle a
compétence pour donner cet avis. Elle dit que l’Assemblée
générale, qui a sollicité l’avis par sa résolution
ES‑10/14 du 8 décembre 2003, est autorisée à le faire
en vertu du paragraphe 1 de l’article 96 de la
Charte.
La Cour, comme elle l’a parfois fait par le passé, donne
ensuite certaines indications quant à la relation entre la
question faisant l’objet de la demande d’avis et les activités
de l’Assemblée générale. Elle observe que l’Assemblée
générale, en demandant un avis à la Cour, n’a pas outrepassé
sa compétence telle que limitée par le paragraphe 1 de
l’article 12 de la Charte, aux termes duquel l’Assemblée ne
doit faire aucune recommandation à l’égard d’un différend
ou d’une situation pour lesquels le Conseil de sécurité
remplit ses fonctions, à moins que ce dernier ne lui en fasse
la demande.
La Cour se réfère en outre au fait que l’Assemblée générale
a adopté la résolution ES‑10/14 lors de sa dixième
session extraordinaire d’urgence, convoquée sur la base de la
résolution 377 A (V) ¾ qui
prévoit que lorsque le Conseil de sécurité manque à
s’acquitter de sa responsabilité principale dans le maintien
de la paix et de la sécurité internationales, l’Assemblée générale
peut immédiatement examiner la question afin de faire des
recommandations aux Etats Membres. La Cour dit que les
conditions prévues par cette résolution étaient remplies lors
de la convocation de la dixième session extraordinaire
d’urgence; elles l’étaient en particulier au moment où
l’Assemblée générale a décidé de lui demander un avis, le
Conseil de sécurité étant alors dans l’incapacité
d’adopter une résolution portant sur la construction du mur
du fait du vote négatif d’un membre permanent.
La Cour rejette encore l’argument selon lequel un avis ne
pourrait être donné en l’espèce, au motif que la demande ne
porterait pas sur une question juridique.
Ayant établi sa compétence, la Cour s’interroge sur
l’opportunité de rendre l’avis sollicité. Elle
rappelle que l’absence de consentement d’un Etat à sa
juridiction contentieuse est sans effet sur la compétence
qu’elle a de donner un avis consultatif. Elle ajoute que
rendre un avis n’aurait pas pour effet en l’espèce de
tourner le principe du consentement au règlement judiciaire, étant
donné que la question qui fait l’objet de la demande de l’Assemblée
générale s’inscrit dans un cadre plus large que celui du
différend bilatéral entre Israël et la Palestine, et
qu’elle intéresse directement l’Organisation des Nations
Unies. La Cour ne retient pas davantage l’argument selon
lequel elle devrait s’abstenir de donner l’avis consultatif
sollicité parce qu’il pourrait faire obstacle à un règlement
politique négocié du conflit israélo‑palestinien.
Elle affirme par ailleurs disposer de renseignements et d’éléments
de preuve suffisants pour lui permettre de donner l’avis et
souligne qu’il revient à l’Assemblée générale d’apprécier
l’utilité de ce dernier. La Cour conclut de ce qui précède
qu’il n’existe pas de raison décisive l’empêchant de
donner l’avis demandé.
Licéité de l’édification par Israël d’un mur dans le
territoire palestinien occupé
Avant de se pencher sur les conséquences juridiques de l’édification
du mur (terme qu’a choisi d’utiliser l’Assemblée générale
et qui est repris dans l’avis, dans la mesure où d’autres
mots parfois employés, pris dans leur acception physique, ne
sont pas plus exacts), la Cour examine si l’édification du
mur est ou non contraire au droit international.
Elle détermine les règles et principes de droit international
applicables pour répondre à la question posée par l’Assemblée
générale. La Cour mentionne tout d’abord, en se référant
au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des
Nations Unies et à la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée
générale, les principes de l’interdiction de la menace ou de
l’emploi de la force et de l’illicéité de toute
acquisition de territoire par ces moyens, qui reflètent le
droit international coutumier. Elle cite également le
principe du droit des peuples à disposer d’eux‑mêmes,
qui a été consacré dans la Charte et réaffirmé par la résolution
2625 (XXV). S’agissant du droit international
humanitaire, la Cour mentionne les dispositions du règlement de
La Haye de 1907, qui ont acquis un caractère coutumier, ainsi
que celles de la quatrième convention de Genève relative à la
protection des personnes civiles en temps de guerre de 1949, qui
est applicable dans les territoires palestiniens qui étaient
avant le conflit armé de 1967 à l’est de la ligne de démarcation
de l’armistice de 1949 (ou «Ligne verte») et qui ont à
l’occasion de ce conflit été occupés par Israël. La Cour
relève encore que des instruments relatifs aux droits de
l’homme (pacte international relatif aux droits civils et
politiques, pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels et convention des Nations Unies relative
aux droits de l’enfant) s’appliquent dans le territoire
palestinien occupé.
La Cour vérifie si la construction du mur a violé les règles
et principes susmentionnés. Elle fait d’abord observer
que le tracé du mur tel qu’il a été fixé par le
Gouvernement israélien incorpore dans la «zone fermée»
(c’est‑à‑dire située entre le mur et la «Ligne
verte») environ 80 % des colons installés dans le
territoire palestinien occupé. Rappelant que le Conseil
de sécurité a qualifié la politique d’Israël consistant à
établir des colonies de peuplement dans ce territoire de «violation
flagrante» de la quatrième convention de Genève, la Cour dit
que ces colonies ont été installées en méconnaissance du
droit international. Elle fait en outre état de certaines
craintes exprimées devant elle que le tracé du mur préjuge la
frontière future entre Israël et la Palestine; elle estime que
la construction du mur et le régime qui lui est associé «créent
sur le terrain un «fait accompli» qui pourrait fort bien
devenir permanent, auquel cas, … la construction [du mur]
équivaudrait à une annexion de facto». La Cour
relève que le tracé choisi pour le mur consacre sur le terrain
les mesures illégales prises par Israël et déplorées par le
Conseil de sécurité en ce qui concerne Jérusalem et les
colonies de peuplement, et conduit à de nouvelles modifications
dans la composition démographique du territoire palestinien
occupé. Elle dit que la «construction du mur,
s’ajoutant aux mesures prises antérieurement, dresse …
un obstacle grave à l’exercice par le peuple palestinien de
son droit à l’autodétermination et viole de ce fait
l’obligation incombant à Israël de respecter ce droit».
La Cour examine ensuite les informations qui lui ont été
fournies quant à l’impact de la construction du mur sur la
vie quotidienne des habitants du territoire palestinien occupé
(destruction ou réquisition de biens privés, restrictions à
la liberté de circulation, confiscation de terres
agricoles, blocage de l’accès aux points d’eau importants,
etc.). Elle dit que la construction du mur et le régime
qui lui est associé sont contraires aux dispositions
pertinentes du règlement de La Haye de 1907 et de la
quatrième convention de Genève; qu’ils entravent la liberté
de circulation des habitants du territoire telle que garantie
par le pacte international relatif aux droits civils et
politiques; et qu’ils entravent l’exercice par les intéressés
des droits au travail, à la santé, à l’éducation et à un
niveau de vie suffisant tels que proclamés par le pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels et la convention relative aux droits de l’enfant.
Enfin, la Cour dit que cette construction et ce régime, combinés
à l’établissement des colonies de peuplement, tendent à
modifier la composition démographique du territoire palestinien
occupé et qu’ils sont de ce fait contraires à la quatrième
convention de Genève et aux résolutions pertinentes du Conseil
de sécurité.
La Cour relève que certains instruments du droit humanitaire et
des droits de l’homme contiennent des clauses de limitation ou
de dérogation pouvant être invoquées par les Etats parties,
notamment lorsque des impératifs militaires ou des nécessités
de sécurité nationale ou d’ordre public l’exigent.
Elle indique ne pas être convaincue que la poursuite des
objectifs de sécurité avancés par Israël nécessitait
l’adoption du tracé choisi pour le mur et, ne retenant aucune
de ces clauses, dit que la construction du mur constitue «une
violation par Israël de diverses obligations qui lui incombent
en vertu des instruments applicables de droit international
humanitaire et des droits de l’homme».
La Cour estime enfin qu’Israël ne saurait se prévaloir du
droit de légitime défense ou de l’état de nécessité,
comme excluant l’illicéité de la construction du mur.
Elle en conclut que la construction du mur et le régime qui lui
est associé sont contraires au droit international.
Conséquences juridiques des violations constatées
La Cour distingue les conséquences juridiques de ces violations
pour Israël et pour les autres Etats.
Sur le premier point, elle dit qu’Israël doit respecter le
droit à l’autodétermination du peuple palestinien et les
obligations auxquelles il est tenu en vertu du droit humanitaire
et des droits de l’homme. Israël doit également mettre
un terme à la violation de ses obligations internationales,
telle qu’elle résulte de la construction du mur en territoire
palestinien occupé, et doit en conséquence cesser immédiatement
les travaux d’édification du mur, démanteler immédiatement
les portions de l’ouvrage situées dans le territoire
palestinien occupé et abroger immédiatement ou priver immédiatement
d’effet l’ensemble des actes législatifs et réglementaires
adoptés en vue de l’édification du mur et de la mise en
place du régime qui lui est associé, sauf dans la mesure où
de tels actes demeurent pertinents dans le contexte du respect,
par Israël, de ses obligations en matière de réparation.
Israël doit en outre réparer tous les dommages causés à
toutes les personnes physiques ou morales affectées par la
construction du mur.
S’agissant des conséquences juridiques pour les autres Etats,
la Cour dit que tous les Etats sont dans l’obligation de ne
pas reconnaître la situation illicite découlant de la
construction du mur et de ne pas prêter aide ou assistance au
maintien de la situation créée par cette construction.
Elle dit par ailleurs qu’il appartient à tous les Etats de
veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et
du droit international, à ce qu’il soit mis fin aux entraves,
résultant de la construction du mur, à l’exercice par le
peuple palestinien de son droit à l’autodétermination.
Elle ajoute que tous les Etats parties à la quatrième
convention de Genève ont l’obligation, dans le respect de la
Charte et du droit international, de faire respecter par Israël
le droit international humanitaire incorporé dans cette
convention.
Enfin, la Cour estime que l’ONU, et spécialement l’Assemblée
générale et le Conseil de sécurité, doivent, en tenant
compte de l’avis consultatif, examiner quelles nouvelles
mesures doivent être prises afin de mettre un terme à la
situation illicite découlant de la construction du mur et du régime
qui lui est associé.
La Cour conclut en disant que la construction du mur doit être
replacée dans un contexte plus général. A cet égard,
elle relève qu’Israël et la Palestine ont «l’obligation
de respecter de manière scrupuleuse le droit international
humanitaire». Selon la Cour, seule la mise en œuvre de
bonne foi de toutes les résolutions pertinentes du
Conseil de sécurité est susceptible de mettre un terme à la
situation tragique dans la région. La Cour appelle également
l’attention de l’Assemblée générale sur la «nécessité
d’encourager [l]es efforts en vue d’aboutir le plus tôt
possible, sur la base du droit international, à une solution négociée
des problèmes pendants et à la constitution d’un Etat
palestinien vivant côte à côte avec Israël et ses autres
voisins, et d’assurer à chacun dans la région paix et sécurité».
Composition de la Cour
La Cour était composée comme suit : M. Shi, président;
M. Ranjeva, vice‑président; MM. Guillaume,
Koroma, Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra‑Aranguren,
Kooijmans, Rezek, Al‑Khasawneh, Buergenthal, Elaraby,
Owada, Simma et Tomka; M. Couvreur, greffier.
M. Koroma, Mme Higgins et MM. Kooijmans et Al‑Khasawneh, juges,
joignent à l’avis consultatif les exposés de leur opinion
individuelle. M. Buergenthal, juge, y joint une déclaration.
MM. Elaraby et Owada, juges, joignent à l’avis les
exposés de leur opinion individuelle.
___________
Un résumé de l’avis consultatif est fourni dans le document
intitulé «Résumé no 2004/2» auquel sont
annexés les résumés de la déclaration et des opinions
individuelles qui y sont jointes. Le présent
communiqué de presse, le résumé de l’avis consultatif,
ainsi que le texte intégral de celui‑ci, figurent également
sur le site Internet de la Cour sous les rubriques «Rôle» et
«Décisions» (www.icj‑cij.org).
___________
Département de l’information :
M. Arthur Th. Witteveen, premier secrétaire
de la Cour (+ 31 70 302 23 36)
Mme Laurence Blairon et M. Boris Heim, attachés d’information
(+ 31 70 302 23 37)
Adresse de courrier électronique : information@icj‑cij.org
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