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Israël veut-il la paix ?

Amos Shocken

 

La paix selon Sharon "isolerait les Palestiniens et permettrait plus facilement à Israël de façonner ses relations avec eux selon son bon vouloir."

Le premier ministre Ariel Sharon a récemment exprimé son désappointement sur la paix entre Israël et certains de ses voisins arabes : "Considérons les relations, a-t-il dit dans un entretien à Haaretz le soir de Passover [Pâque juive]. La paix qui existe aujourd’hui est une paix entre dirigeants. Les peuples la boycottent. En Egypte, les milieux universitaires et commerciaux, les syndicats boycottent Israël.... C’est la même chose en Jordanie. "

L’aspiration à la paix avec les Arabes est sûrement souhaitable, mais étant données les relations entre Israël et les Palestiniens, il y a peut-être un intérêt israélien supplémentaire pour la paix entre les peuples et pas seulement entre les dirigeants : cette paix isolerait les Palestiniens et permettrait plus facilement à Israël de façonner ses relations avec eux selon son bon vouloir.

Peut-être est-ce aussi pour cette raison que les Arabes refusent d’avoir des relations pacifiques avec Israël, gardant ainsi la pression sur les dirigeants. Ce faisant, ils apportent leur soutien aux Palestiniens en influençant leurs relations avec Israël. Pour Israël, qui se voit comme gardien du bien-être des Juifs où qu’ils soient, il ne devrait pas être surprenant que dans les pays arabes les gens se sentent aussi concernés par les intérêts des Palestiniens dans les territoires et en Israël.

L’amendement à la Loi de citoyenneté - qui empêche un citoyen israélien, et en particulier un arabe israélien, d’épouser quelqu’un qui est né dans les territoires occupés et de vivre avec cette personne en Israël - est une source de grave discrimination et exacerbera le boycott d’Israël par la population arabe. Un décret similaire, imposé aux Juifs dans n’importe quel pays, aurait déclenché une sévère réaction israélienne, et avec raison.

Israël ne doit pas être un état juif qui n’est pas démocratique. Cela signifierait l’échec du sionisme. Israël doit tout mettre en œuvre pour s’assurer d’une majorité juive, et en même temps il doit aussi s’assurer que tous ses citoyens ont des droits égaux. Apparemment, l’amendement à la Loi de Citoyenneté est égalitaire. Il empêche un jeune homme de Haïfa d’épouser une jeune femme de Ramallah et de vivre avec elle à Haïfa, qu’elle soit juive ou arabe. Mais il est clair qu’elle n’est pas égalitaire : les Juifs épousent rarement des Palestiniennes, et si ces mariages se produisent, ils sont très peu nombreux. Si bien que l’amendement à la loi constitue une grave discrimination et une violation des droits civils des Arabes israélien(ne)s, pour qui le réservoir naturel de partenaires pour le mariage inclut les Palestinien(ne)s des territoires.

Lorsque cet amendement a été introduit, ses partisans ont soutenu qu’il était destiné à prévenir l’infiltration de terroristes en Israël sous couvert de mariage. C’est un piètre argument : la responsabilité du service de sécurité du Shin Bet, pour empêcher l’infiltration de terroristes, demande une action spécifique et non générale, et le Shin Bet devrait être le garant des droits civils en Israël - et non les violer. De plus, c’est une fausse affirmation : presque aucun acte terroriste n’aurait été évité si la loi avait été en application.

Avec le gouvernement et la Knesset sur le point d’étendre l’applicabilité de la loi et de la formuler de manière à accroître ses chances de résister à une examen minutieux de la Haute Cour de justice, le secret a été révélé : l’idée essentielle qui est derrière cette législation n’est pas d’empêcher la terreur, mais plutôt d’empêcher l’entrée des Palestiniens en Israël, pour que l’équilibre démographique entre les Juifs et les Arabes ne soit pas bouleversé.

Les partisans de la loi ont attiré l’attention sur les amendements législatifs qui ont été adoptés récemment au Danemark et en Hollande. Au Danemark, l’amendement à la loi empêche quiconque n’a pas de réels liens au Danemark de devenir citoyen du pays ou même d’y vivre, et cela affecte principalement, mais pas seulement, les musulmans. En Hollande, l’amendement empêche la naturalisation ou la résidence permanente des personnes qui ne sont pas intégrées à la culture et au mode de vie hollandais. Là aussi, le but principal de la loi est d’empêcher la naturalisation des musulmans dans le cadre de la réunification familiale, bien que la législation s’applique également à d’autres. Dans les deux cas, la nouvelle législation risque d’empêcher les citoyens danois ou hollandais de faire venir leurs conjoints qui ne sont pas danois ou hollandais dans le pays et d’y vivre avec eux.

Les Israéliens aiment s’assimiler aux « pays les plus civilisés du monde », et renoncer à tout examen critique de leur conduite. Quel pays est plus civilisé que ces deux-là ? Bien sûr, si c’est bien pour eux, c’est certainement bien pour nous. Mais il y a quelque chose de complètement différent qu’Israël devrait apprendre des politiques de résidence et de citoyenneté du Danemark et de la Hollande. Contrairement à ces deux pays, Israël a une mission, et le premier ministre l’a bien définie : la paix entre les peuples, pas seulement entre les dirigeants. Ce devrait être le but dans nos relations avec les pays arabes et avec les Palestiniens - et encore plus avec les arabes israéliens.

Quelle paix plus grande peut-il y avoir entre les peuples que des milliers d’étudiants égyptiens, jordaniens et palestiniens dans les universités israéliennes, et des milliers d’étudiants israéliens dans les universités des états arabes et en Palestine ? Et quelle paix plus grande peut-il y avoir entre les peuples que ce qui en découlera : des mariages entre des jeunes israéliens, à la fois juifs et arabes, et des jeunes gens des pays voisins et de Palestine ?

Dans cette aspiration à la paix est gravé l’intérêt réel à ce que les Arabes israéliens deviennent une partie intégrante et intégrée de la société israélienne (et non un « secteur »), et que des Palestiniens, des Egyptiens et des Jordaniens vivent en Israël. Cela peut être dans des familles arabes, mais même des familles mixtes (un conjoint juif et un conjoint arabe) ne peuvent pas être exclues, et des Israéliens pourraient peut-être vivre de la même manière en Palestine,en Egypte, en Jordanie ou dans tout pays arabe avec lequel nous signons un accord de paix.

La préservation d’une majorité juive en Israël nécessitera de faire une distinction entre citoyenneté et résidence. Cependant, quiconque aspire vraiment à la paix entre les peuples doit examiner le modèle du Danemark et de la Hollande dans le contexte de leur appartenance à l’Union européenne. Les citoyens de l’Union européenne peuvent vivre et travailler dans n’importe quel pays de l’Union. Les époux des différents pays de l’Union européenne peuvent se marier et vivre avec leur conjoint dans le pays du conjoint qu’ils choisissent. La citoyenneté de chacun des époux reste la même, celle du pays dont il ou elle était citoyen avant son mariage.

Quiconque aspire à la paix entre nous et les Palestiniens et les peuples arabes doit comprendre que ceci, dans une large mesure, est le sens d’une telle paix. L’amendement à la Loi de Citoyenneté est discriminatoire, non démocratique, et transforme Israël en un état d’apartheid.

Il sape aussi l’aspiration à établir cette sorte de paix entre Juifs et Arabes en Israël, et entre nous et les Palestiniens et les peuples arabes de la région. Par-dessus tout, il soulève la question de savoir si Israël veut vraiment le type de paix dont le premier ministre a parlé.

 

Amos Shocken*, Haaretz, 7 mai 2005

*Propriétaire du quotidien Haaretz


Source : AFPS
http://www.france-palestine.org/article1631.html


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