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Une semaine de dupes
Denis Sieffert
 
" Un proverbe arabe dit joliment qu’il faut « suivre le menteur jusqu’à sa porte ». Autrement dit, feindre de le croire jusqu’à ce que la vérité éclate, et ne lui fournir aucun prétexte qui lui permette d’échapper à ses responsabilités."

Ce proverbe, nul doute que Mahmoud Abbas le connaisse et s’en inspire. Depuis son élection, au mois de janvier, le président de l’Autorité palestinienne semble suivre pas à pas Ariel Sharon. Il se garde de tout jugement définitif sur le vague processus en cours, veille surtout à n’instruire aucun procès d’intention à l’encontre du Premier ministre israélien. Et, dans la mesure du possible, cède aux conditions de son puissant adversaire.

Tout se passe donc comme si la paix était au bout du chemin. Sur le pas de la porte en somme. La paix, chacun au Proche-Orient en connaît le prix. Elle ne peut être fondée que sur le droit. Et il y a belle lurette que le droit a tracé les contours de ces deux États, Israël et la Palestine, vivant côte à côte « dans des frontières sûres et reconnues », selon la vieille formule onusienne.

La solution à ce conflit séculaire, qui n’embrase pas seulement la région mais enflamme aussi les esprits un peu partout dans le monde, c’est la décolonisation des territoires occupés par Israël depuis 1967. « Suivre le menteur » ne suffira certainement pas aux Palestiniens pour obtenir gain de cause. Mais cela servira au moins à édifier les opinions. La paix n’a peut-être pas beaucoup progressé au cours des dernières semaines ­ bien moins en tout cas que voudraient le faire croire certains marchands d’illusions médiatiques ­, mais la vérité, elle, a fait un grand bond en avant. Les intentions israélo-américaines sont aujourd’hui un peu plus transparentes qu’hier. Et inquiétantes.

Tandis qu’il bataillait au sein de son propre parti, le Likoud, pour faire admettre le retrait de Gaza, Ariel Sharon annonçait la construction de 3 500 logements nouveaux près de la colonie de Maalé Adoumim, à l’est de Jérusalem. Par bribes, la stratégie israélienne commençait ainsi à apparaître dans sa perspective. Elle repose sur deux piliers : se débarrasser du fardeau économico-militaire de Gaza, où huit mille colons juifs vivent dans un territoire qui compte un million et demi de Palestiniens ; cela afin de mieux préserver les colonies de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Car, Ariel Sharon l’a réaffirmé, dimanche, lors de la séance hebdomadaire du gouvernement : « Les blocs des colonies de Cisjordanie resteront aux mains d’Israël. » Or, il suffit de regarder une carte pour comprendre. Avec le bloc de Maalé Adoumim, à l’est, d’Ariel, au nord, et de Goush Etzion, non loin de Bethléem, au sud, il n’y a plus de place pour un État palestinien viable.

Le Premier ministre palestinien, Ahmed Qoreï, rappelait récemment que la colonie d’Ariel est construite à vingt-deux kilomètres à l’intérieur d’un territoire large d’une soixantaine, et qu’elle monopolise au profit des colons la principale nappe aquifère de la région.

Que peuvent valoir après cela les références à la « feuille de route », ce plan de paix parrainé en 2003 par les États-Unis, l’Union européenne, l’ONU et la Russie ? « Le maintien de ces blocs, a commenté Ahmed Qoreï, invalide l’État viable dont a parlé le Président Bush. » En disant cela, le Premier ministre palestinien suit lui aussi « le menteur jusqu’à sa porte ». Car si Ariel Sharon laisse à présent entrevoir la carte qui, peu à peu, se dessine à grands coups d’expropriations pour édifier un mur qui doit passer derrière les colonies juives, et isoler ainsi les agglomérations palestiniennes, un autre « menteur » n’en finit pas de s’empêtrer dans ses contradictions. Il s’agit évidemment de George W. Bush.

La diplomatie américaine a offert ces derniers jours le spectacle d’un fameux cafouillage. Ce fut d’abord, le 25 mars, l’ambassadeur américain en Israël, Dan Kurtzer, qui laissait entendre que les États-Unis s’opposeraient au maintien des blocs de colonies. Propos aussitôt démentis par la secrétaire d’État Condoleezza Rice, qui, cultivant l’ambiguïté en des termes choisis, affirmait : « La position américaine est qu’il faudra prendre en compte, dans les négociations sur le statut final, les principaux centres de population existant. » On ne savait trop ce que pouvait signifier ce « prendre en compte ».

Ariel Sharon s’est chargé, dimanche, d’une explication de texte : « Nous ne pouvons attendre des Américains qu’ils acceptent explicitement que nous puissions construire librement dans les colonies. » On admirera le « explicitement », qui constitue l’aveu du jeu cynique qui se mène entre Israël et les États-Unis.

Et cela avec le silence complaisant de l’Union européenne. Au terme de cette semaine de dupes, un mot encore sur cet autre événement que fut le rejet israélien à l’appel de la Ligue arabe d’Alger. Sans, là non plus, que cela fasse outre mesure scandale.

L’État hébreu s’est pourtant permis de refuser l’offre de vingt-deux pays arabes qui ont renouvelé leur proposition de mars 2002 : la paix définitive, la normalisation de leurs relations avec Israël, en échange d’un retour aux frontières de 1967 et d’un « règlement de la question des réfugiés ». La vérité est là, mais faute de réaction internationale, elle ne suffira pas à faire triompher la paix.

Denis Sieffert Politis


Source : Politis
http://www.politis.fr/article1281.html


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