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Apartheid en Israël

Jonathan Cook, Electronic Intifada
 
Ni les centaines de correspondants internationaux à Jérusalem, ni les médias hébreux - pas même ces remarquables journalistes israéliens Amira Hass et Gideon Levy, deux phares solitaires à l’intérieur d’Israël dans la campagne pour que justice soit rendue aux Palestiniens, ne parleront de l’histoire de mon ami Palestinien Ali Zbeidat.

Ils ne vous parleront pas de l’histoire de la famille d’Ali, et de la ruine physique et financière imminente de leur vie par Israël, même si leur situation est loin d’être unique. Il y a des dizaines de milliers d’autres Palestiniens dans la même situation désespérée qu’Ali, vivant dans des maisons qu’Israël définit comme illégales.

Le problème pour Ali n’est pas seulement qu’il est palestinien ; si c’était le cas, on parlerait peut-être de son histoire. Le problème d’Ali, c’est qu’il est aussi citoyen israélien. Il appartient à une minorité d’un million de Palestiniens qui sont tombés sous la souveraineté d’Israël pendant la guerre de 1948, qui a fondé un Etat juif sur ce qui avait été la patrie palestinienne.

Trois millions et demi d’autres Palestiniens vivent tout près, également sous autorité israélienne, dans les territoires occupés de Cisjordanie et de Gaza. Quand leurs maisons sont détruites par l’armée israélienne, leur histoire retient l’attention des correspondants internationaux et israéliens. Il serait intéressant de savoir pourquoi les médias rapportent la destruction par l’Etat juif des maisons d’un groupe de palestiniens et pas d’un autre.

En termes d’identité, ces deux populations palestiniennes sont seulement séparées techniquement : les Palestiniens de la région ou vit Ali, la Galilée, ont été vaincus lors de la guerre de 1948, tandis que les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza l’ont été 20 ans plus tard, en 1967. Les deux groupes sont Palestiniens et sont gouvernés par un pays qui se définit comme un Etat juif.

Mais, du point de vue des médias et de la communauté internationale il y a une grande différence entre les deux populations. Une grande différance légale. La Galilée et ses habitants ont été incorporés à Israël après 1948 avec l’accord des grandes puissances mondiales, tandis que Gaza, la Cisjordanie et leurs habitants palestiniens ont été occupés en violation de la loi internationale.

Contrairement aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, Ali et le million et quelque d’autres Palestiniens citoyens d’Israël ont des droits légaux dans un état salué dans le monde entier comme une démocratie. Ali a une carte d’identité israélienne, un passeport israélien, et vote pour les élections de la Knesset. Ses frères palestiniens n’ont aucun de ces droits.

La raison, donc, pour laquelle l’histoire d’Ali n’a pas les honneurs d’une couverture médiatique est qu’il est un citoyen israélien, bénéficiant de la protection de la loi israélienne. Contrairement aux Palestiniens occupés vivant en Cisjordanie et à Gaza, il a le droit de faire appel de l’ordre de démolition devant un juge. L’armée ne peut pas détruire sa maison à son gré, comme en Cisjordanie et à Gaza. Seule la police, sur ordre judiciaire, peut détruire sa maison. En d’autres mots, Ali doit enfreindre les lois israéliennes pour qu’on puisse détruire sa maison.

La quadrature du cercle

Il y a un problème avec cet argument. Il repose un grand principe, qu’il est impossible de mettre en question dans le courant dominant des médias. C’est l’idée de base qu’Israël est exactement tel qu’il se décrit : un état à la fois juif et démocratique ; et que le contenu juif de l’Etat tel qu’il se définit ne pèse pas sur la part démocratique de cette définition ; et qu’Ali, bien qu’il soit Palestinien, peut espérer être traité de la même manière qu’un Juif par la loi israélienne.

Il peut sembler manifestement impossible pour un Etat d’être à la fois juif et démocratique. Cela paraît aussi illogique que de définir un Etat comme « blanc et démocratique » ou « catholique et démocratique ». Mais ce n’est pas le point de vue de la communauté internationale et de ses médias. Israël, croient-ils, a réussi la quadrature du cercle.

Il est donc évident qu’un miracle géométrique est survenu en Israël. Quelle en est l’évidence, par exemple, dans le cas d’Ali ?

Ali vit dans la ville de Sakhnine, en Galilée centrale, où habitent environ 25 000 Palestiniens citoyens d’Israël. A la fin des années 90, il a décidé de construire une maison de plain-pied dans les limites de la commune de Sakhnine, sur un terrain qui a appartenu à sa famille depuis des générations. Personne ne le conteste. Il est entouré, sur trois côtés, par d’autres constructions légales appartenant à des familles palestiniennes, et sa propre municipalité approuve sa décision de construire à cet endroit. Malgré tout, sa maison a été jugée illégale par l’Etat et une succession de jugements. Dans deux mois, lui, sa femme hollandaise Terese et leurs deux filles adolescentes Dina et Awda pourraient se retrouver sans toit.

La Galilée a de vastes étendues de terres non exploitées sur lesquelles construire. En fait, il y a eu une surabondance de communautés qui ont surgi partout en Galilée depuis le début des années 60. Mais ce sont toutes des communautés pour les Juifs, qui ont été amenés dans le nord du pays ces dernières décades dans le cadre de ce qu’Israël appelle la « judaïsation de la Galilée », c’est-à-dire la tentative, par la pure force du nombre, d’assurer le contrôle des Juifs sur une région traditionnellement Palestinienne.

Ali n’avait pas d’autre choix que de construire là où il l’a fait. Sa famille ne possède pas de terre ailleurs. Et la plus grande partie du territoire dans le pays n’est pas disponible pour lui. Israël a nationalisé 93 % des terres du pays en se les appropriant, sans compensation pour les quatre millions de réfugiés palestiniens qui vivent en exil, et en confisquant les terres d’un million de Palestiniens qui y vivent comme citoyens. Ces 93 % d’Israël sont inaccessibles aux Palestiniens comme Ali.

Par exemple, les nouveaux voisins de Sakhnine, installés sur des terres tout autour de la ville, sont 17 000 Juifs qui vivent dans de petites communautés juives luxueuses connues en hébreu sous le nom de « mitzpim ». Ces mitzpim, qui possèdent de vastes terrains sur lesquels leurs habitants peuvent construire, sont tenus par la loi de sélectionner soigneusement ceux qui souhaitent y habiter. Par la loi aussi, les non juifs ne sont pas autorisés à demander à faire partie de ces communautés. Si bien que, si Ali voulait construire en dehors de Sakhine dans une de ces communautés juives, la loi l’en empêcherait.

Mais alors, Ali ne pourrait-il pas trouver un moyen légal de construire une maison à l’intérieur d’une communauté palestinienne ou dans Sakhine ? De nouveau, le problème est la loi. En 1965, le gouvernement a promulgué la Loi de Développement et de Construction, qui définissait tous les lieux où les citoyens israéliens, Juifs et Palestiniens, pouvaient vivre. L’aire de développement de chaque communauté était délimitée, sur une carte du pays, sous la forme d’une ligne bleue qui l’entourait. Tout développement à l’intérieur de la ligne bleue était possible, et impossible à l’extérieur.

Dans le cas des communautés juives, les lignes bleues étaient tracées généreusement, pour permettre une future expansion. L’Etat a aussi ajouté de nouvelles communautés juives à sa liste depuis 1965.

Par contraste, dans les communautés palestiniennes, les lignes bleues enserrent étroitement les maisons qui existaient déjà en 1965, ne laissant aucune place au développement. (En fait, Israël a refusé de tracer des lignes bleues autour de douzaines de communautés palestiniennes qui existaient avant la création d’Israël, les « dé créant » de ce fait. Aujourd’hui 100 000 Palestiniens vivent dans ces « villages non reconnus ». De par la loi, toutes les maisons dans les villages non reconnus sont considérées comme illégales et susceptibles de démolition. Depuis 1965, aucune nouvelle communauté palestinienne n’a été approuvée.

Du point de vue d’Ali, cela signifie que non seulement l’accès aux communautés juives lui est refusé, mais qu’il n’y a pas de nouvelles communautés palestiniennes où il pourrait trouver d’autre terrain légal où construire. Même s’il partait pour une ville ou un village palestinien, il trouverait la même pénurie chronique de terrain.

Mais pourquoi ne pas construire ailleurs à Sakhnine, dans un endroit légal de sa propre ville ? Ali est de nouveau confronté au problème de ces communautés juives rurales, les mitzpim, qui ont été établies sur des terrains confisqués à Sakhnine dans les années 70 et 80. Aujourd’hui ces différents mitzpim, avec une population de 17 000 Juifs, ont accès à 50 000 acres, tandis que les 25 000 Palestiniens de Sakhnine doivent se contenter du vingtième, soit 2 500 acres. Chacun à Sakhnine est aux prises avec la même pénurie de terrain pour construire.

La situation sans issue d’Ali : le veto du Misgav.

Alors, puisque tous les autres chemins sont barrés, la solution la plus simple n’est-elle pas pour Ali de demander un permis de construire sur son propre terrain ? Après tout, lui et les dizaines de milliers d’autres familles palestiniennes en Israël menacée de perdre leurs maisons ont enfreint la loi parce qu’elles ont construit sans permis. Il devrait se conformer à la loi et alors la menace de démolition serait levée.

Mais la décision de l’utilisation du terrain d’Ali ne lui appartient pas, ni à ses représentants élus de la municipalité de Sakhnine - même si sa famille est propriétaire du terrain sur lequel il a construit et que celui-ci se trouve dans les limites de Sakhnine. La juridiction concernant le terrain d’Ali a été transférée par le gouvernement, sans que ni lui ni Sakhnine ne soient consultés, à un conseil régional connu sous le nom de Misgav, qui ne représente pas Ali, mais ces communautés exclusivement juives qui entourent Sakhnine.

Le conseil régional du Misgav dit qu’il ne veut pas qu’Ali construise sur son terrain, soutenant qu’il a besoin d’une ceinture verte entre Sakhnine et ses propres communautés juives. Les officiels du Misgav n’ont pas été convaincus par l’argument que la maison d’Ali ne rapproche pas les limites de Sakhnine du Misgav. Comme nous l’avons déjà noté, la maison d’Ali est entourée sur trois côtés par d’autres maisons de Sakhnine.

Le véritable raisonnement du Misgav est facile à discerner. Après tout, ce n’est pas une partie désintéressée. Sa création fait partie de la politique de judaïsation du gouvernement, son but étant de prendre la terre des citoyens palestiniens et de la faire passer aux citoyens juifs. Le Misgav insiste pour que la maison d’Ali soit démolie, que les économies d’une vie qu’il y a investies soient détruites, comme élément de mesures gouvernementales générales qui s’assurent que les Palestiniens perdent encore plus de terre et les Juifs en gagnent. (Et, pour couronner le tout, le Misgav peut s’appuyer sur la loi israélienne pour forcer Ali à payer les frais de démolition de sa maison).

Résultat, le Misgav a harcelé Ali en justice pendant six ans pour obtenir le verdict de démolition qu’il souhaite.

Contrairement aux Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, Ali peut au moins se tourner vers les Cours israéliennes pour sa protection. Que lui ont dit les juges ? Ils lui ont donné un peu de répit pour revenir de ses erreurs et obtenir un permis de construire. Ils l’ont condamné à payer des amendes répétées de plusieurs milliers de dollars pendant sa demande de permis. Et qui est autorisé à donner ce permis ? Le conseil régional du Misgav.

Le mois dernier, à la Cour d’Appel d’Haïfa, un juge a condamné Ali à payer une amende de 3 500 dollars et à obtenir un permis pour sa maison auprès du Misgav, dans les trois mois. Et qui a fait appel ? Le Conseil du Misgav, qui était mécontent d’une précédente décision de justice, en octobre, qui ne condamnait Ali « qu’à » 1 500 dollars d’amende et lui donnait trois ans pour obtenir un permis.

Quelles sont les chances pour Ali d’obtenir ce permis ? Aucune. Le Misgav a insisté : il ne donnera par de permis à Ali ou aux autres qui « transgressent la loi », parce qu’il veut la terre sur laquelle se trouvent leurs maisons pour ses propres membres juifs. Si bien qu’Ali, comme des dizaines de milliers d’autres citoyens palestiniens, se trouve prisonnier de la quadrature du cercle.

 

Jonathan Cook, The Electronic Intifada, 10 March 2005

Jonathan Cook est un journaliste dont les articles ont été publiés par le Guardian, International Herald Tribune, Al-Ahram, et d’autres journaux. Basé à Nazareth, Cook contribue occasionnellement à Electronic Intifada. Il écrit actuellement un livre sur les citoyens palestiniens d’Israël.

Traduction : Anne Jegou, Afps

Source : AFPS
http://www.france-palestine.org/article1290.html


Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62,  parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue."

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