AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   


 

Le dilemme d’Abou Mazen 
par Khalil Attyah

in Le Nouvel Afrique Asie du mois de février 2005
Démocratiquement élu président d’une Autorité palestinienne en lambeaux, Mahmoud Abbas, alias Abou Mazen, se retrouve plus vite que prévu dans la même impasse que son prédécesseur. Après avoir été couvert de louanges par tous, y compris Sharon, le voilà accablé de toutes les critiques pour n’avoir pas donné les ordres de liquider la résistance armée à l’occupation. Faute de partenaire sérieux du côté israélien, l’état de grâce sera de courte durée.

Faut-il se joindre au chœur des louanges hypocrites qui, de toutes parts, saluent la “démocratie palestinienne naissante” ? Tout en soulignant la maturité politique dont ont fait preuve les Palestiniens, toutes tendances confondues, en assurant, à travers l’élection de Mahmoud Abbas, une succession pacifique à la tête de l’Autorité palestinienne, force est de constater que ce n’est pas la première fois qu’ils exercent un tel droit. Nul besoin de rappeler aujourd’hui les règles démocratiques et représentatives qui régissaient l’Organisation de libération de la Palestine, alors en exil. Mais il ne faudrait pas oublier que le même exercice électoral démocratique s’était déjà produit en 1996, quand Yasser Arafat a été élu président de l’Autorité palestinienne dans des conditions autrement plus libres que cette fois-ci.
Outre la présence d’observateurs internationaux, les élections de 1996 s’étaient déroulées en l’absence des troupes d’occupation israéliennes, qui, longtemps auparavant, s’étaient retirées des principales villes palestiniennes pour permettre aux électeurs d’exercer librement leur choix. Ce qui n’était pas tout à fait le cas avec l’élection de Mahmoud Abbas qui a eu lieu sans enthousiasme populaire, boycottée par le Hamas, et où des forces politiques bénéficiant d’un grand enracinement populaire ont été obligées de taire leur opposition et de se rallier au candidat officiel dans un souci d’unité. C’est ainsi que, depuis sa prison israélienne, Marwan Barghouti, membre du Fatah comme Abbas et seul adversaire sérieux, a été persuadé sans ménagements par les dirigeants du mouvement de retirer sa candidature. Mais toutes ces péripéties n’enlèvent rien au caractère démocratique de cette élection, ni à la légitimité du nouveau président élu de l’Autorité palestinienne.
Mais depuis que le 6 février 2001, Ariel Sharon – responsable des massacres de Sabra et Chatila de septembre 1982 – a été choisi par les électeurs israéliens, en dépit de son passé criminel, comme Premier ministre avec pour programme d’achever la conquête de la totalité de la Palestine, tous les prétextes sont devenus bons pour lui permettre de mener à terme cette stratégie du pire. Il fallait, en d’autres termes, discréditer Arafat, le premier dirigeant palestinien à avoir engagé son peuple sur la voie de la paix et au prix d’un compromis historique largement favorable à Israël. Que ne lui a-t-on reproché ? D’avoir refusé les prétendues “offres généreuses” d’Ehoud Barak et de Bill Clinton à Camp David, favorisé la militarisation de la seconde Intifada, entretenu la corruption et, last but not least, l’absence de démocratie. Pendant des années, Arafat avait pourtant demandé la tenue d’élections présidentielle et législatives, comme le prévoit la Constitution de l’Autorité palestinienne, mais c’est le gouvernement Sharon qui avait refusé de jouer le jeu sous prétexte que c’était impossible avec le “terrorisme”.
Autant de prétextes fallacieux pour occulter un fait, celui-là avéré : l’enterrement du processus d’Oslo, publiquement revendiqué par Sharon. Inconditionnellement soutenu par Bush, le successeur de Barak a mené sans être inquiété une entreprise systématique de destruction de l’Autorité palestinienne, reconquis la plupart des territoires restitués en vertu du processus d’Oslo, construit un mur, développé les colonies, assiégé le président élu des Palestiniens, désigné comme un interlocuteur indésirable. Le prix de cette politique de la terre brûlée a été exorbitant pour la population palestinienne, mais aussi pour les Israéliens eux-mêmes qui n’ont pas retrouvé la sécurité promise par Sharon et encore moins la prospérité économique. A tel point qu’à la veille de la mort de Yasser Arafat, assassiné par trois années de siège humiliant, Ariel Sharon s’est trouvé contraint d’annoncer un plan de retrait unilatéral de Gaza et d’une partie de la Cisjordanie.
Avec l’élection de Mahmoud Abbas, fortement soutenu par le Fatah et les hommes d’Arafat, et sur un programme quasi identique à celui de son prédécesseur, les Etats-Unis, embourbés en Irak, pensaient trouver une sortie de l’impasse. Mais c’était sans compter avec les louvoiements de Sharon, qui persiste à exiger du nouveau raïs palestinien la liquidation des branches armées du Fatah, du Hamas et du Djihad, avant toute reprise du processus de paix. Abou Mazen a toujours refusé ce diktat qui ouvre la voie à une guerre civile. Il propose, en revanche, de persuader ces branches armées de décréter une longue trêve, à condition qu’elle soit également observée par l’armée israélienne. Une tâche qu’il avait essayé de mener à bien quand Yasser Arafat l’avait choisi comme Premier ministre. Il était effectivement parvenu à faire accepter une trêve par les différentes organisations armées. Mais Sharon l’avait rejetée en ordonnant la poursuite des assassinats contre leurs dirigeants. Ce fut d’ailleurs l’une des principales raisons qui avaient alors contraint Abbas à la démission.
En ordonnant le gel des contacts, après une attaque palestinienne contre des cibles israéliennes, elle-même consécutive à des attaques très meurtrières de l’armée israélienne, Sharon donne l’impression de vouloir acculer le nouveau raïs à commettre l’irréparable : soit il déclenche une tuerie fratricide inter-palestinienne, soit il démissionne. Dans les deux cas, la reprise du processus de paix est renvoyée aux calendes grecques. Cependant la nouvelle donne créée par la disparition de Yasser Arafat, la réélection de G.W. Bush, le pourrissement de la situation en Irak, l’entrée des travaillistes dans le gouvernement et la poursuite des attentats contre des cibles israéliennes réduisent considérablement la marge de manœuvre du Premier ministre israélien. Pour preuve, il a dû reculer devant ses nouveaux “alliés” travaillistes qui lui avaient reproché d’avoir gelé les contacts avec l’Autorité palestinienne sans les consulter. Entre ses anciens alliés ultranationalistes, qui l’ont quitté et brandissent désormais le spectre d’une guerre civile, et ses nouveaux partenaires travaillistes, qui, tenant à être associés effectivement au pouvoir et non comme cinquième roue du carrosse, voudraient débloquer une situation politique stratégiquement préjudiciable aux intérêts de l’Etat hébreu, Ariel Sharon se retrouve sur la défensive, d’autant qu’il ne jouit plus que d’une courte majorité.
Ayant constaté l’échec de sa stratégie sécuritaire et ne voulant toujours pas s’engager dans la seule voie raisonnable, celle d’une paix fondée sur les accords de Taba (janvier 2001) et l’initiative de Genève (décembre 2003), il n’a plus le choix que de s’accrocher à des arrangements boiteux de sécurité, mais cette fois-ci avec la collaboration de l’Autorité palestinienne. Cette dernière est tentée de jouer cette carte, qui permettrait à la population palestinienne de reprendre son souffle, en posant toutefois comme unique condition une reprise du processus de paix basé sur la feuille de route et les fondamentaux que Mahmoud Abbas n’a pas cessé de rappeler durant sa campagne : le droit des réfugiés palestiniens à rentrer chez eux, selon les résolutions de l’Onu, la création d’un Etat palestinien indépendant avec comme capitale la partie arabe de Jérusalem, le démantèlement des colonies... Cette accalmie donnera sans doute à Sharon les moyens d’appliquer son plan de retrait de Gaza et de la Cisjordanie du Nord et de faire face en même temps aux menaces de dissidence et de guerre civile au sein de son propre camp. Force cependant est de constater qu’il ne s’agit, dans les meilleures hypothèses, que d’un répit, tant que le conflit n’est pas abordé sur le fond, comme le stipule la feuille de route, qui implique la Communauté internationale. Seule une intervention extérieure est aujourd’hui de nature à sauver la paix et à sauver Israël de ses utopies suicidaires. Les Etats-Unis sont les mieux placés pour conduire une telle intervention.
Or Mme Condoleezza Rice, la nouvelle secrétaire d’Etat américaine, n’a laissé aucune ambiguïté sur le sujet. Exposant sa politique proche-orientale devant les sénateurs lors de son investiture, elle a certes pressé les Palestiniens et les Israéliens à “faire le choix de la paix”. Elle s’est dite même prête à s’impliquer dans la recherche de cette paix. Mais l’essentiel de son message est résumé dans son refus d’exercer la moindre pression sur son protégé israélien : “Je m’attends à consacrer d’énormes efforts à cela, mais je ne peux pas me substituer aux parties et à leur disposition à prendre leurs responsabilités, et c’est le message que nous devons adresser.” Mais à qui ? Il ne fait pas l’ombre d’un doute que ce message trouvera une oreille sourde de la part de Sharon. A quelques encablures de la retraite, il ne souhaite pas terminer sa vie politique en trahissant sa “réputation” d’homme de guerre. Ce n’est pas en tout cas à 75 ans qu’il va commencer une nouvelle carrière de faiseur de paix ! Au grand désarroi de Mahmoud Abbas, qui va se trouver plus vite qu’il ne le pensait dans une situation peu enviable. Même s’il parvient à imposer le silence des armes aux radicaux de son camp, il n’a aucune chance d’être entendu par l’autre camp. Après les louanges dont il a été généreusement couvert, voici venu le temps des récriminations, annonciateur d’une confrontation déjà inscrite dans les faits. L’avant-goût de ce changement a été donné par l’un des conseillers d’Ariel Sharon, Assaf Shariv, moins d’une semaine après l’investiture de celui qu’on présentait comme l’homme providentiel. “La période de grâce que nous avions accordée à Mahmoud Abbas est finie, et il n’est plus question pour au moins un bon moment d’une rencontre entre lui et le Premier ministre.”
Quoi que fera Abou Mazen, il n’est pas à envier. Avec Sharon comme interlocuteur et Bush comme arbitre, il n’aura rien à espérer tant qu’ils seront aux commandes.

 

Source : Extrait du Point d'information Palestine, newsletter publiée par La Maison d'Orient, abonnement gratuit sur simple demande à : LMOmarseille@wanadoo.fr


Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62,  parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue."

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