AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   


Uri Avnery

 

 
« Silence is Filth »
 

 

Abbas est-il assez fort pour convaincre le Hamas et le Djihad de cesser le feu ? Une personne, au moins, espère que la réponse sera négative : Ariel Sharon.

Alors, où est le cessez-le-feu ? Le Hamas et le Djihad islamique vont-ils torpiller le retrait de Gaza ? Où en est Mahmoud Abbas ?

En général, on déclare un cessez-le-feu dans un de ces trois cas :
-   quand une des parties arrive à soumettre l’autre ;
-   quand une troisième partie l’impose aux deux belligérants ;
-   quand les deux parties sont fatiguées.

Dans notre cas, aucun des deux côtés n’a réussi à vaincre l’autre. L’armée israélienne n’a pas hissé le drapeau blanc, ni les Palestiniens.

Le cessez-le-feu n’a pas été imposé de l’extérieur. Les Américains ont bien exercé une faible pression et les Egyptiens ont également essayé de faire sentir leur présence. Mais il n’y a pas eu de véritable pression extérieure.

Ce qui s’est passé, c’est que les deux parties sont fatiguées. Le combat est arrivé à un point d’arrêt, une sorte d’impasse, et cette situation aurait pu continuer longtemps, n’apportant rien de bon à personne. Les Palestiniens ont beaucoup souffert, mais leur souffrance ne les a pas conduits à capituler. L’armée israélienne n’a pas trouvé de réponse aux obus de mortier et aux fusées Qassam qui continuaient d’angoisser les habitants des villes israéliennes voisines mais cela ne suffit pas pour une victoire militaire. La fatigue a conduit au cessez-le-feu.

Mais ce cessez-le-feu était fragile dès le début. D’abord, parce qu’il n’était pas mutuel, accepté officiellement par les deux parties. On ne l’a même jamais appelé « cessez-le-feu », pour ne pas dire « armistice » (hudna en arabe). On l’a appelé « calme » (tahidiya en arabe). L’Autorité nationale palestinienne est parvenue à un accord avec les factions armées palestiniennes pour qu’elles cessent le feu, et Sharon a fait savoir, par le biais d’intermédiaires, qu’en retour il s’abstiendrait de tirer.

C’est une base bien pauvre pour un cessez-le-feu. L’accord tacite ne définissait pas exactement ce que chaque côté allait cesser de faire. Etant donné que chaque partie se réserve le droit de « répondre » si l’autre côté fait quelque chose qui, à son avis, contrevient au cessez-le-feu, et qu’il n’y a pas d’arbitre ni de mécanisme d’arbitrage, la situation peut dégénérer à tout moment.

Dans la bande de Gaza, l’armée israélienne n’a pas vraiment arrêté les « assassinats ciblés » ni les incursions, mais en Cisjordanie elle a intensifié sa campagne agressive contre les Palestiniens. Le mur, qui signifie misère et pauvreté pour des dizaines de milliers de familles palestiniennes et qui saisit les terres de dizaines de villages, se construit à un rythme accéléré. A Jérusalem, le mur, qui blesse à vif la population palestinienne, est sur le point d’être achevé. Les forces de sécurité ouvrent le feu sur les Palestiniens (et les militants pacifistes israéliens) qui manifestent contre le mur, en en tuant quelques-uns et en en blessant d’autres, avec de nombreuses arrestations.

En même temps, l’armée israélienne est en action dans toute la Cisjordanie. Des unités de l’armée lancent des incursions jour et nuit, mènent des recherches, arrêtent ou tuent des personnes « recherchées ».

Est-ce une violation du cessez-le feu ? Pas du tout, affirment les gens de Sharon. Selon eux, le cessez-le-feu ne s’applique qu’à la bande de Gaza. Les Palestiniens, de leur côté, voient en cela une nouvelle tentative pour séparer la Cisjordanie de la bande de Gaza, inhérente au « plan de désengagement » de Sharon. Ils s’y opposent, bien sûr, de toute leur force. Et d’ailleurs l’accord d’Oslo, qui a été signé et reconnu par la communauté internationale, établit explicitement que la Cisjordanie et la bande de Gaza constituent une seule et même entité territoriale.

Alors qui viole le cessez-le-feu ? Puisque l’« accord tacite » n’est pas écrit et n’entre pas dans les détails, on ne peut pas répondre à cette question. Chaque partie prétend que l’autre est celui qui viole et qu’elle ne fait que riposter.

Alors, où en sont le Hamas et le Djihad islamique ? Ils veulent, évidemment, présenter le retrait d’Israël de la bande de Gaza et l’évacuation des colonies comme leur victoire, de la même façon que le retrait d’Israël du Liban a été la victoire du Hezbollah. Aussi le lancement d’obus de mortiers et de missiles Qassam s’est-il intensifié à partir du moment où Sharon a décrété le bouclage des colonies cette semaine, transformant le désengagement à venir en une certitude virtuelle.

L’affirmation n’est pas entièrement infondée. Un enfant peut comprendre que Sharon ne se retirerait pas de la bande de Gaza s’il pouvait s’y installer confortablement. Une des raisons de la décision de Sharon de se retirer est que garder Gaza et défendre les colonies est trop coûteux pour l’armée et les pour finances israéliennes.

Les fanfaronnades de nos hommes politiques et de nos généraux à propos de l’énorme succès de l’armée israélienne dans sa lutte contre le terrorisme - comme si la réduction drastique des attaques palestiniennes n’était pas le résultat d’un cessez-le-feu mais un énorme succès militaire - ont provoqué les organisations palestiniennes et les ont incitées à vouloir prouver le contraire.

Mais la principale raison du Hamas est de nature intérieure. L’organisation veut transformer les succès sur le terrain en capital politique. A cette fin, elle veut prouver que l’Autorité ne peut tout simplement pas fonctionner sans elle. Cela mis à part, le Hamas, comme d’habitude, est entraîné malgré lui par le Djihad islamique plus extrémiste (comme l’Irgoun, à son époque, était entraîné par le groupe Stern). Un obus de mortier qui tue un Israélien vise en réalité Mahmoud Abbas.

Et que fait Abbas ? Aucune direction ne peut fonctionner quand sa politique est contrariée par des groupes armés. Quand Mahmoud Abbas accepte les obligations internationales et que les groupes armés les violent sur le terrain, il est clair qu’il n’y a aucune direction palestinienne qui puisse mener une politique cohérente. C’est dramatique pour le peuple palestinien.

Il ne fait pas de doute que les Palestiniens ont intérêt à rester tranquilles pendant le retrait israélien. Malgré ce qui se passe en Cisjordanie et en dépit des défauts du « plan de désengagement », il vaut mieux pour les Palestiniens permettre à Sharon de démanteler les colonies et de vaincre la contre-attaque des colons - ne serait-ce que parce que l’évacuation de Goush Katif constitue un précédent important. C’est vraiment Sharon lui-même qui a intérêt à ce que le retrait soit accompagné d’un maximum de grabuge qui montrerait combien ce retrait est difficile ; et c’est évidemment vrai aussi pour les colons eux-mêmes.

Les actions actuelles du Hamas et du Djihad jouent par conséquent en faveur des colons. Cela montre de nouveau qu’il y a une sorte de coopération involontaire entre les nationalistes fondamentalistes religieux des deux bords. Abbas est-il assez fort pour convaincre le Hamas et le Djihad de cesser le feu ? Une personne, au moins, espère que la réponse sera négative : Ariel Sharon.

A partir du moment où Abbas a été démocratiquement élu, Sharon a travaillé avec habileté et persévérance à l’éliminer. C’est important à ses yeux parce que George Bush a commencé à se rapprocher du nouveau dirigeant palestinien. Le renforcement d’Abbas augmenterait la pression sur Sharon pour qu’il mette fin à l’occupation de la Cisjordanie. Donc, pour Sharon, « Silence is Filth » [1], pour rappeler les paroles d’une hymne écrit il y a quelque 80 ans par Vladimir Jabotinsky, qui a fondé le prédécesseur du parti du Likoud.

Cela explique pourquoi Sharon humilie sans cesse Abbas en public, pourquoi il ne lui a pas permis même le plus modeste succès politique, pourquoi ses porte-parole déclarent sans arrêt qu’Abbas est « faible » qu’il n’est « pas un dirigeant », qu’il est « incapable de détruire l’infrastructure terroriste ».

Un jour, Sharon a décrit Abbas comme un « coq déplumé ». C’est une prédiction qui se réalise. Quand Abbas ne peut montrer aux Palestiniens aucun succès politique, aucun soulagement de leurs conditions de vie, aucune libération de prisonnier important, pas d’arrêt de la construction du mur qui les étrangle, leur confiance en lui diminue d’heure en heure.

J’espère que, malgré tout, le cessez-le-feu tiendra. J’ai confiance dans le bon sens des Palestiniens, qui comprendront où est leur intérêt national aujourd’hui. Je crois qu’après le retrait de Gaza arrivera une occasion historique pour un grand pas vers la fin de l’occupation et l’avènement d’une paix israélo-palestinienne durable.

Mais probablement, en ce moment même, un colon, quelque part, est en train de prier pour qu’un obus de mortier tombe sur un jardin d’enfants israélien surpeuplé et mette fin au retrait - parce que pour les colons aussi « Silence is Filth ».

 

[1] En français, littéralement « Le Silence c’est une saleté », le silence ici étant la tranquillité des Palestiniens pendant les opérations de retrait de la bande de Gaza. (ndt)

Article publié sur le site de Gush Shalom le 16 juillet 2005 - Traduit de l’anglais : RM/SW

 

Source : AFPS
http://www.france-palestine.org/article2041.html

 

Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62,  parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue."

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