AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   


Uri Avnery

 

 
Hareng rouge
 
Pendant des années, la propagande israélienne a utilisé la Charte de l’OLP pour justifier sa politique anti-palestinienne, jusqu’à ce que les Palestiniens l’abolissent totalement. Cela a créé un vide. Sharon utilise maintenant le Hamas pour combler ce vide.

C’était presque surréaliste. J’étais dans une grande salle au centre de Gaza devant quelque 500 personnes, tous des hommes barbus, presque tous militants du Hamas.

Le mouvement Hamas s’oppose officiellement à l’existence même de l’Etat d’Israël, et j’étais à la tribune, parlant en hébreu de la paix entre Israël et le futur Etat de Palestine. Ont-ils protesté ? Au contraire, ils ont applaudi, et après j’ai été invité à déjeuner avec les respectables cheikhs.

Nous étions en 1994 et peut-être faut-il revenir sur le contexte : un an auparavant, le Premier ministre, Yitzhak Rabin, avait décidé d’expulser du pays 415 militants islamiques. Le chef d’état-major, Ehoud Barak, avait déclaré au tribunal que cette mesure était absolument essentielle pour la sécurité de l’Etat. La Cour suprême avait confirmé l’expulsion. Les militants avaient été emmenés par autobus à la frontière nord, mais le gouvernement de Beyrouth ne leur avait pas permis d’entrer au Liban. Pendant une année entière, les expulsés ont végété dans des tentes en plein air entre deux armées, exposés à la pluie et au froid en hiver et au soleil brûlant en été, jusqu’à ce qu’on leur permette finalement de rentrer.

Je considérais que cette expulsion était une violation grave des droits humains en même temps qu’elle était politiquement idiote. J’ai donc proposé, à une réunion de la Paix Maintenant, l’installation d’une tente de protestation en face du bureau du Premier ministre. Les dirigeants de La Paix Maintenant n’ont pas été d’accord pour contester une mesure émanant du dirigeant du parti travailliste. Mais quelques autres militants pacifistes ont décidé d’installer la tente, avec l’aide de dirigeants de la communauté arabe en Israël, religieux et laïques.

Nous avons passé 45 jours et 45 nuits ensemble. Certains jours, la neige tombait et le froid était glacial. Des Bédouins du Néguev et des militants des villages arabes nous apportaient de la nourriture et des braseros, des militantes de Jérusalem nous apportaient chaque soir une marmite de soupe chaude. Etant donné notre profonde déception sur la Paix Maintenant, nous avons décidé, à cet endroit et à ce moment, de fonder un nouveau mouvement de la paix. C’est ainsi que Gush Shalom est né.

J’étais curieux de voir comment les militants islamiques réagiraient à notre égard à leur retour. J’ai été très heureux quand ils ont décidé d’exprimer publiquement leur gratitude : avec mes compagnons de tente, j’ai été invité à participer à cet événement à Gaza. Là, j’ai rencontré plusieurs personnes qui sont maintenant des dirigeants du Hamas après l’assassinat du Cheikh Ahmed Yassin, en prison à l’époque, et de Abd-al-Aziz al-Rantisi, un des expulsés.

Cet épisode m’est revenu à l’esprit quand j’ai appris que, au cours de sa rencontre du lendemain avec Condoleezza Rice, Ariel Sharon demanderait que les Américains refusent tout contact avec des représentants du Hamas, qui va maintenant se présenter aux élections palestiniennes. Des porte-parole officiels ont exprimé leur colère contre la décision de l’Union européenne de permettre à des diplomates « n’ayant pas rang d’ambassadeur » de se réunir avec eux.

Sharon demande maintenant d’exclure le Hamas des élections tant qu’officiellement il ne reconnaîtra pas l’Etat d’Israël et ne renoncera pas au terrorisme. Plus encore : il a déjà déclaré qu’il n’y aura pas de négociations de paix tant que l’Autorité palestinienne n’aura pas détruit et désarmé l’infrastructure terroriste (ce qui veut dire Hamas).

Voilà aussi qui me rappelle quelque chose. Pendant des années, les gouvernements israéliens successifs ont demandé que le monde entier boycotte l’OLP tant qu’elle n’aurait pas aboli la « Charte nationale palestinienne ». Ce document, datant des années 60, demandait le démantèlement de l’Etat d’Israël. Plus tard, l’OLP a adopté de nombreuses résolutions qui faisaient abstraction de la Charte et reconnaissaient Israël. Dans l’accord d’Oslo de 1993, Yasser Arafat a abandonné 78% de la terre de Palestine d’avant 1948. Mais rien n’y a fait. Pendant des années, la propagande israélienne a utilisé la malheureuse Charte pour justifier sa politique anti-palestinienne, jusqu’à ce que les Palestiniens - au grand regret de nombreux Israéliens - l’abolissent totalement.

Cela a créé un vide. Sharon utilise maintenant le Hamas pour combler ce vide.

Une des expressions les plus colorées de la langue anglaise est « red herring ». Il s’agit d’un hareng fumé (la couleur rouge est due au procédé de fumage) qui dégage une odeur très forte. Une personne poursuivie par des chiens qui jette des harengs fumés derrière elle neutralise l’odorat des animaux qui perdent ainsi sa trace.

De la même façon que ses prédécesseurs ont utilisé la Charte de l’OLP, Sharon utilise maintenant le Hamas pour détourner l’attention de ses promesses de démanteler immédiatement les avant-postes de colonies, de geler la colonisation, et de commencer les négociations politiques avec les Palestiniens. Il répand des harengs sur la feuille de route.

Quant au fond de la question, la participation du Hamas aux élections est-elle une bonne ou une mauvaise chose du point de vue des intérêts israéliens ?

Je dis que c’est une bonne chose.

Il y a quelque 30 ans, j’ai appelé à des négociations avec l’OLP, qui était alors considérée comme un groupe terroriste et une bande de meurtriers. A l’époque, nous avons inventé la phrase : « la paix se fait entre ennemis ». Aujourd’hui, cela s’applique également au Hamas.

Il ne fait aucun doute que le Hamas s’apprête à gagner une partie significative des suffrages aux élections législatives, après avoir obtenu d’excellents résultats dans les récentes élections municipales. Ce n’est pas parce qu’il refuse de reconnaître Israël qu’il obtient ces suffrages. Mais plutôt pour deux raisons essentielles : le prestige qu’il a acquis en combattant vaillamment contre l’occupation israélienne et le fait de n’avoir pas été entaché par la corruption, qui touche certaines autres personnalités et groupes.

Les Palestiniens considèrent la violence, que les Israéliens appellent « terrorisme », comme une résistance légitime. Ils croient qu’Israël n’aurait pas décidé de quitter la bande de Gaza s’il n’y avait pas eu la lutte armée, puisqu’Israël, selon leur croyance et leur expérience, « ne comprend que le langage de la force ». Jusqu’à présent, personne ne peut montrer le moindre résultat obtenu par les Palestiniens par tout autre moyen.

Par une ironie du sort (ou un triomphe de la folie) le Hamas a été créé, en fait, avec l’aide d’Israël lui-même. Comme les Américains ont créé le Al-Qaïda d’Oussama Ben-Laden contre l’Union soviétique en Afghanistan, Israël a soutenu le mouvement islamique dans les territoires occupés comme contrepoids à l’OLP. L’hypothèse était que les musulmans pieux passeraient leur temps en prière dans les mosquées et ne soutiendraient pas la laïque OLP alors considérée comme l’ennemi numéro un. Mais quand la première Intifada a éclaté fin 1987, les islamistes se sont organisés dans le Hamas (initiales arabes de « mouvement de résistance islamique ») et sont rapidement devenus l’organisation combattante clandestine la plus efficace. Cependant, les services de sécurité ont commencé à agir contre lui seulement un an après la fin de l’Intifada.

Maintenant l’existence du Hamas est un fait accompli. Il a de profondes racines dans la population, à cause de ses services sociaux aussi, financés dès le début par les Saoudiens notamment.

L’expérience historique montre que de tels mouvements ont tendance à devenir plus modérés quand ils sont intégrés dans le système politique. Un mouvement qui a des ministres dans le gouvernement, un groupe au parlement et des maires dans les villes et les villages, finit par avoir intérêt à la stabilité. Certes, au début, sa présence peut causer une radicalisation du style de l’Autorité nationale palestinienne, mais à la longue, elle rendra plus facile l’obtention d’un accord.

Si on veut une paix réelle acceptée par tous les Palestiniens, il faut se réjouir de l’intégration du Hamas dans le système politique palestinien. Mais si on veut faire obstruction à la paix afin d’annexer la plus grande partie de la Cisjordanie à Israël et conserver les colonies, il est logique que l’on s’y oppose - comme le fait Sharon.

Condoleezza Rice reconnaît certainement un hareng fumé quand elle en sent un - et pas seulement à sa table de petit déjeuner.

Article publié en hébreu et en anglais sur le site de Gush Shalom le 18 juin 2005 - Traduit de l’anglais « Red Herring » : RM/SW

Source : AFPS
http://www.france-palestine.org/article1920.html

 

Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62,  parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue."

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