AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   


Uri Avnery

 

 
Pour qui sonne le glas
 

Vanuni sonne l’alarme pour attirer l’attention sur un danger réel. La question n’est pas de savoir s’il est sympathique, si ses points de vue sont populaires ou ce qu’il pense de l’Etat d’Israël après 12 ans de confinement solitaire. La question est de savoir s’il fait un bon job.

Un technicien iranien du nom de Jalal-a-Din Taheri, qui avait travaillé au réacteur nucléaire à Bushehr, a réussi à s’enfuir en Europe où il a dévoilé le plan des ayatollahs pour la production de bombes nucléaires.

Taheri a été acclamé comme un héros dans le monde entier. Un certain nombre d’organisations l’ont proposé pour le Prix Nobel de la Paix. Le Président Bush a vanté son courage. Ariel Sharon l’a invité à venir vivre en Israël, l’appelant même un parmi les Justes des Nations. Les ayatollahs l’ont dénoncé comme traître, infidèle, croisé et sioniste.

C’est, bien sûr, une histoire entièrement fictive. Mais elle correspond exactement à l’histoire de Mordechai Vanunu, qui est considéré par presque tous les Israéliens comme un traître méprisable - ce qui prouve une fois de plus que la trahison, comme la pornographie, est affaire de géographie.

Cette semaine, j’ai utilisé mon privilège d’ancien membre de la Knesset pour assister à une session du comité de la Knesset pour « la Constitution, la Loi et la Justice », au cours de laquelle l’affaire Vanunu a été discutée. Pendant la session, les membres de la Knesset se sont insultés comme des poissonniers (ce qui ne signifie pas que je veuille faire injure aux poissonniers). Deux membres du Likoud, Ronie Bar-On (qui fut pendant quelques heures procureur général avant d’être ignominieusement destitué) et Yehiel Hazan ont hurlé que Vanunu n’avait pas de droits humains étant donné qu’il n’était pas un être humain. Il faut préciser en toute impartialité que le président du comité, Michael Eytan, lui aussi membre du Likoud, a vigoureusement condamné ces propos.

Vanunu qui, en 1986, a révélé à un journal britannique quelques secrets nucléaires d’Israël, a été kidnappé peu après par le Mossad, ramené clandestinement en Israël et traduit en justice. Il a purgé sa peine : 18 ans de prison. Pendant presque tout ce temps, il a été maintenu à l’isolement total. (Il m’a dit que, pour ne pas perdre la raison, il devait lire le Nouveau Testament à voix haute en anglais, encore et encore, améliorant ainsi sa maîtrise de cette langue, qu’il préfère aujourd’hui utiliser plutôt que l’hébreu.)

A sa libération, il a été placé sous un régime sévère de restrictions : il lui est interdit d’aller à l’étranger, interdit de se déplacer à l’intérieur du pays sans le notifier aux autorités, interdit de parler à des étrangers, interdit de donner des interviews. La Cour suprême a confirmé ces contraintes. Vanunu en a violé la plupart et, il y a quelques semaines, il a été mis en examen pour ces violations.

Les restrictions étaient initialement imposées pour une année, laquelle s’est achevée cette semaine. Le comité de la Knesset était sur le point de discuter de la possibilité de prolonger ces restrictions, mais, quelques heures avant la session, le ministre de l’Intérieur, Ophir Pines (parti travailliste), avait signé un ordre prolongeant d’un an l’interdiction de quitter le pays, et le commandant d’armée du front intérieur avait signé un ordre pour prolonger les autres restrictions (dans le cadre des règlements d’urgence).

A la réunion du comité, le représentant du procureur général a exposé les arguments du gouvernement motivant cette prolongation : (a) Vanunu « détient encore dans sa tête » de dangereux secrets, (b) il a une mémoire « phénoménale », (c) si l’occasion lui en est donnée, il révèlera ces secrets à l’étranger.

Sur quoi s’appuie-t-on pour dire cela ?

(a) Dans une des lettres qu’il a écrites en prison, Vanunu a dit à son correspondant à l’étranger qu’il était en possession de nombreux secrets qu’il n’avait pas encore dévoilés. Il annonçait son intention de divulguer ces secrets à la première occasion. (b) Deux ans avant sa libération - c’est-à-dire 16 ans après son emploi dans l’installation nucléaire - il a dessiné dans sa cellule, de mémoire, des plans détaillés et étonnamment exacts des procédés de production. Ces dessins ont été trouvés parmi le bon millier de documents saisis dans sa cellule.

Ces faits sont plus qu’étranges. Un détenu qui envoie des lettres de prison sait, bien sûr, qu’elles sont censurées. Vanunu était bien placé pour savoir que non seulement les autorités de la prison mais aussi les services secrets les liraient. Quand il a fait les dessins des plans, il savait pertinemment qu’ils seraient saisis.

Tout cela indique qu’il avait l’intention de provoquer ses bourreaux et de leur montrer qu’il n’était pas brisé. Il est difficile de prendre les documents au sérieux, comme l’a fait la Cour suprême il y a huit mois quand elle a confirmé le régime de restrictions. Une personne qui a l’intention de dévoiler de grands secrets ne l’annonce pas au préalable aux autorités et ne dessine pas des plans pour ses persécuteurs.

Concernant le problème lui-même :

« Détient-il dans sa tête » des secrets qu’il n’auraient pas divulgués dans le passé ? Peu probable.

Premièrement, ce que sait Vanunu concerne des procédés d’il y a 18 ans. Une connaissance de ce genre peut-elle être utile aujourd’hui ? Difficile à croire. Comme l’a remarqué au cours de la session le député Zehava Galon (Yahad) : « Il est difficile d’imaginer que rien n’a changé dans les techniques nucléaires d’Israël depuis 19 ans ! »

Deuxièmement, avant que le journal britannique publie ces révélations, Vanunu avait subi un interrogatoire serré pendant deux jours entiers par l’un des plus grands scientifiques nucléaires du monde. Il est difficile de croire qu’après cela il lui restait encore des secrets à dévoiler.

Troisièmement, il faut être un peu paranoïaque pour penser qu’il avait pu décider, il y a 18 ans, de « garder dans sa tête » des secrets avec l’intention de les publier 20 ans plus tard.

Quatrièmement, Vanunu n’est pas un scientifique. Il a travaillé au réacteur comme technicien. Même s’il a une mémoire « phénoménale », et même si ses plans sont étrangement exacts, il est difficile de croire qu’ils ont un quelconque intérêt aujourd’hui.

S’il en est ainsi, comment expliquer le renouvellement des restrictions ?

Le représentant du procureur général a insisté sur le fait que le but n’est pas de le punir pour des choses qu’il a faites dans le passé, ce qui serait illégal (puisqu’il a déjà été jugé et a purgé entièrement sa peine), mais pour empêcher de nouveaux crimes (la divulgation de nouveaux secrets).

J’en doute. On ne peut pas réduire Vanunu au silence. Le monde entier s’intéresse à lui, et plus il est persécuté, plus il intéresse. On ne peut pas dissuader Vanunu de faire ce qu’il entend - il est simplement indissuadable (pour inventer un mot). En insistant, c’est le contraire qu’on obtient. Il est également impossible de l’empêcher d’entrer en contact avec des étrangers.

(Il y a quelques mois, j’étais assis le soir dans le jardin du fabuleux hôtel American Colony à Jérusalem-Est, bavardant avec l’actrice britannique Vanessa Redgrave, une infatigable militante de la paix israélo-palestinienne. Soudain, j’ai vu passer Vanunu. Je l’ai appelé. Vanessa Redgrave était très intéressée par son expérience de la prison. Comment peut-on empêcher de telles rencontres ?)

Il ne reste qu’une explication : la vengeance. Yehiel Harev, chef de la division de sécurité intérieure au ministère de la Défense, ne peut pas pardonner à Vanunu de s’être moqué de ses mesures de sécurité, en se baladant dans des parties de la centrale nucléaire où il n’avait pas à aller, prenant librement des photos de l’installation la plus secrète d’Israël et les faisant sortir à l’étranger. C’est vraiment enrageant. Mais la vengeance aussi doit avoir ses limites.

D’autant plus que l’homme du procureur général, répondant à une question du député Etti Livni, a admis que les arguments d’aujourd’hui seront encore valables dans un an, dans cinq et dans dix ans. En d’autres termes, le régime de restrictions peut durer toute la vie.

Quant à mon opinion sur le fond du problème :

Les armes nucléaires sont une menace pour nous tous. Il est impossible d’empêcher indéfiniment l’acquisition d’armes nucléaires par davantage de pays au Moyen-Orient, Iran en tête. D’autres catégories d’armes de destruction massive (chimiques et biologiques) existent déjà dans des pays voisins.

Pendant des années, Israël a eu le monopole nucléaire dans la région. Mes amis et moi avons prévenu que ce monopole était temporaire et que nous devions utiliser le temps où il durait pour parvenir à la paix. L’orgueil démesuré de nos dirigeants l’a empêché.

Aujourd’hui, il faut lutter pour libérer toute la région des armes de destruction massive, sous strict contrôle international et mutuel, dans le cadre d’un accord de paix global. C’est à la fois possible et réalisable. Quand Vanunu tire la sonnette d’alarme, il contribue au réveil de l’opinion.

Son action est également importante pour une autre raison : pour la première fois, il a attiré l’attention des Israéliens sur le véritable danger que constitue le réacteur vieux de plus de 40 ans. Quelques anciens employés de la centrale ont poursuivi en justice le gouvernement au motif qu’ils avaient contracté un cancer (dont certains sont morts) à cause des insuffisances de sécurité. Que se passerait-il dans le cas d’un désastre comme Tchernobyl ? Ou un tremblement de terre ou une frappe de missile ? Qui y pense ? Qui est responsable ? Qui contrôle ces responsables ?

Vanuni sonne l’alarme pour attirer l’attention sur un danger réel. La question n’est pas de savoir s’il est sympathique, si ses points de vue sont populaires ou ce qu’il pense de l’Etat d’Israël après 12 ans de confinement solitaire. La question est de savoir s’il fait un bon job.

En ce qui me concerne, je le pense.

 

Article publié le 23 avril 2005 en hébreu et en anglais sur le site de Gush Shalom - Traduit de l’anglais « For Whom the Bells Toll” : RM/SW

 

Source : AFPS
http://www.france-palestine.org/article1522.html

Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62,  parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue."

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