AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   


Élections en Palestine


Après l’élection présidentielle

Claude Léostic
 
Depuis lundi on entend at nauseam des commentateurs et hommes politiques divers en France et à l’étranger louer l’élection de Mahmoud Abbas à la tête de l’Autorité Nationale Palestinienne comme la « première élection démocratique en territoires palestiniens ».

La paix est « enfin » possible, puisque Abbas a « été largement élu sur la base de sa volonté de faire un geste vers Israël ».

Stupidité de spécialistes auto-proclamés ou ligne politique douteuse et dangereuse ?

La réalité de cette situation post- élection présidentielle, c’est que Palestiniens et Israéliens se trouvent aujourd’hui face à d’importantes contradictions externes et internes.

Abbas et Sharon, les représentants des deux peuples, sont confrontés à deux engagements et tenus à deux priorités contradictoires.

Sharon est dans une situation paradoxale.

Il assure depuis des années que le Président Arafat était un terroriste qu’on ne pouvait qu’abattre (ou à défaut emprisonner et faire mourir à petit feu dans les ruines de sa résidence présidentielle assiégée) et qui empêchait toute avancée vers la paix. Ce qui l’avait contraint à concevoir unilatéralement le désengagement de Gaza, bien sûr. Et voilà qu’il se retrouve avec sur les bras un dirigeant palestinien « présentable », en costume-cravate, adoubé par les puissants. Et qu’il le félicite au téléphone de sa victoire, et qu’il veut bien le rencontrer. Pour évaluer si le plan de retrait de Gaza peut finalement être négocié, entre autres échanges polis. Le voilà affligé d’un partenaire !

Ce faisant Sharon, loup sous la nouvelle toison d’agneau dont le recouvrent les médias et les dirigeants à la Blair, reconnaît objectivement l’identité palestinienne qu’il a toujours niée et que sa politique des 3 ans passés a tenté quotidiennement d’éradiquer.

Serait-ce donc qu’il renonce au rêve colonial sioniste qui le pousse -très ouvertement- depuis 48 ? En apparence opposé aux colons dont il était le meilleur soutien, en froid avec l’extrême droite (y compris à l’intérieur du Likoud) il forme un gouvernement hétéroclite et fragile [1] pour mener à bien le retrait de Gaza et démet les officiers qui s’y opposent. Le voici qui semble jongler avec ses principes sionistes toujours réaffirmés et un pragmatisme nouveau qui l’oppose à ceux qui l’ont élu.

Mais peut-être sait-il, mieux que d’autres aveuglés par le court terme, que la contradiction n’est qu’apparente, que la colonisation est si poussée que le rêve annexionniste est devenu quasi réalité. De la vallée du Jourdain (si belle avant qu’elle vous laissait émerveillé) piquée des laides colonies qui hérissent ses crêtes de cubes à toits rouges et antennes militaires diverses au Mur d’annexion qui tue la Cisjordanie, jusqu’à la terre brûlée de Gaza, la main mise israélienne est presque totale. De même que les années Oslo avaient permis dans l’illusion de la paix l’explosion des colonies de peuplement juives en Cisjordanie [2], de même les années Intifada ont vu la répression israélienne saccager un territoire et ses infrastructures, un peuple et son économie et tenter d’en éliminer toute possibilité d’existence.

Malgré la révolte des colons et l’apparition d’un partenaire, Sharon semblerait donc avoir gagné sa guerre contre la Palestine, celle sur laquelle s’arc-boutait Yasser Arafat et qu’il représentait dans son histoire et ses aspirations. Il est alors facile d’accepter de rencontrer les dirigeants palestiniens jusqu’alors ostracisés.

Mahmoud Abbas, à l’issue d’une campagne rendue parfois difficile pour les autres candidats par l’occupation israélienne (barrages et arrestations), a été largement élu par le peuple palestinien. Saluons cette victoire comme celle de la maturité d’un peuple sous occupation depuis 56 ans, qui a su malgré son épuisement faire montre de sa démocratie. Saluons aussi la légitimité de Mahmoud Abbas dans les Territoires Occupés où, malgré le boycott efficace du Hamas, plus de 60% des électeurs l’ont choisi. Cette représentativité réelle est cependant limitée par le fait que l’abstention a été forte (55%) et que seuls 1500 000 électeurs palestiniens ont pu voter, dans les Territoires Occupés seulement, les 3 millions de réfugiés ou de membres de la diaspora étant de fait exclus du vote.

Rappelons aussi que les déclarations ignorantes ou mal intentionnées des médias et politiciens qui célèbrent « le premier président palestinien élu » cachent systématiquement que ce vote n’est pas le premier, que le Président Arafat a été élu démocratiquement par 80% des voix en 1996, dans une élection libre et transparente en présence déjà d’observateurs internationaux.

On nous serine que Mahmoud Abbas a été élu parce qu’il veut l’arrêt de la violence. Quelle violence ??

S’il est vrai que, n’ayant jamais pris les armes, toujours opposé à l’Intifada sous sa forme armée (dont les attentas ne sont qu’un élément), il veut y mettre fin en la démilitarisant, il est plus évident que c’est en tant qu‘héritier de Yasser Arafat qu’il a déclenché l’adhésion de la majorité du peuple. Le peuple palestinien sait bien qu’au delà de manques certains dans la gestion d’un état en gestation, le Président Arafat incarnait la lutte pour les droits nationaux des Palestiniens et la résistance à l’occupation israélienne. C’est parce que Abu Mazen a martelé qu’il ne cèderait pas sur les revendications historiques de la résistance qu’il a su convaincre, y compris les militants en armes de Jénine ou des camps de Gaza. Il a émaillé ses discours de campagne d’appels à l’arrêt de la violence de l’occupation.

Non, Sharon n’a pas gagné sa guerre contre les Palestiniens, contre le droit des peuples à l’autodétermination.

Le nouveau président palestinien a aussi appelé les groupes armés à mettre fin à leurs attaques à la roquette contre les colonies ou le territoire israéliens à partir de Gaza parce qu’il les juge contre productives, de même que Yasser Arafat s’opposait aux attentats dont il savait l’effet ravageur sur l’opinion israélienne et mondiale.

La contradiction majeure de Mahmoud Abbas est donc de faire face à l’occupation et rester fidèle aux exigences palestiniennes tout en se faisant reconnaître comme partenaire respectable pour la paix.

En même temps, sur le plan interne, il lui faut poursuivre la démocratisation des institutions palestiniennes que l’occupation a détruites. Gageons que le candidat de l’Initiative Nationale Palestinienne, Mustafa Barghouti, avec ses 20% de suffrages, sera dans ce contexte un élément important du débat inter-palestinien.

Le Hamas, lui, a fait savoir sa disponibilité pour travailler avec Abbas mais a repris ses tirs de roquettes. Ses représentants à Gaza et en Cisjordanie disent attendre beaucoup des élections législatives prévues en juillet 2005 et de la suite des municipales [3].

En tout état de cause l’organisation de la société palestinienne, l’élaboration de sa stratégie et le développement de sa démocratie appartiennent aux Palestiniens et à eux seuls.

Quant aux priorités des protagonistes, elles sont contradictoires fondamentalement et chronologiquement : Sharon veut d’abord l’arrêt de l’Intifada, Abbas se devra d’exiger en premier lieu le retrait des troupes d’occupation.

Ils sont sur la corde raide et chacun devra tenter de convaincre l’autre et sa propre opinion dans un jeu bloqué que seule la communauté internationale- impartiale cete fois [4] - pourra débloquer.

Dans ce contexte de myopie politique ou d’espoirs fallacieux à courte vue, l’opinion internationale va « acheter » la notion erronée ou malhonnête que « la paix est enfin possible ».

Même si Abu Mazen reste fidèle aux idées et au combat de Yasser Arafat, le président palestinien disparu reste diabolisé, a posteriori et implicitement, par cette conviction bien distillée qu’avec sa mort tout a changé. C’est oublier ou cacher qu’il a voulu négocier depuis de longues années, que la reconnaissance d’Israël, qui lui a valu des oppositions vives dans l’OLP, c’est lui. Que les négociations de Madrid et les accords intérimaires d’Oslo, c’est lui, que les deux états et non plus toute la Palestine, c’est lui. C’est sa force de conviction, son charisme et le respect du peuple palestinien pour celui qui l’incarnait mieux que tous, qui ont permis ces avancées [5].

C’est Israël et ses gouvernements successifs, qui ont toujours refusé de céder et de reconnaître le droit international comme base d’une solution acceptable, à défaut d’être totalement juste pour les Palestiniens qui ont du se résoudre à ne conserver que 22% de leur terre.

Dans cette indifférence qui risque de s’installer, dans cette illusion dangereuse qu’ « il y a enfin une fenêtre d’opportunité pour la paix », le rôle de la solidarité internationale reste indispensable : vigilance et pressions pour faire respecter le droit [6] ou l’imposer.

Rappelons toujours qu’en Palestine il reste un occupant, fort de soutiens internationaux puissants, et un peuple occupé, désarmé et seul.

Fatigué par 56 ans d’occupation, dont 4 de répression sauvage de l’Intifada, le peuple palestinien veut effectivement la paix et l’arrêt de la violence. Il la veut non pas en arrêtant l’Intifada mais en obtenant la fin de l’occupation qui est la seule source de la violence.

Il ne peut y avoir de pré-condition telle que l’arrêt de la résistance. L’occupation israélienne est illégale [7]. Seul l’arrêt de l’occupation coloniale doit préexister aux négociations qui doivent s’engager. Les Blair, Bush et leurs semblables devront ne pas l’oublier dans leurs promesses d’engagements nouveaux pour la paix.

C’est le pré-requis pour que le destin commun des peuples palestinien et israélien, imposé par les choix de la communauté internationale en 1947, basé aujourd’hui sur la confrontation induite par l’occupation, se déplace dans un cadre de voisinage et de coopération, de deux états libres et égaux dans le respect du droit international, avec une capitale, Jérusalem.

 

[1] avec le parti travailliste dont Perès, l’increvable courtisan du pouvoir, et un petit parti ultra orthodoxe

[2] jamais autant que sous les gouvernement travaillistes de Barak...

[3] seulement 23 villes et villages ont voté à ce jour, les autres devraient le faire dans les 6 à 12 mois à venir ; selon la situation sur le terrain.

[4] la Feuille de route qui est la base actuelle de l’engagement international demande l’arrêt de la violence palestinienne avant le retrait israélien

[5] ces reculs disent encore certains militants palestiniens

[6] l’armée israélienne demande aujourd’hui à la Cour suprême israélienne d’autoriser la destruction de 3000 maisons palestiniennes à Rafah, punition collective interdite par le droit international

[7] confiscation de territoire, implantation de sa propre population en territoire occupé, occupation et modification du territoire occupé, détention des occupés en territoire occupant, punitions collectives telles que les destructions de milliers de maisons, impossibilité pour les occupés de se déplacer, la liste est longue des violations du droit international, des droits humains et du droit humanitaire

Source :  France Palestine
http://www.france-palestine.org/article953.html

 

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