AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   


DOSSIER 
Retrait de Gaza


Désengagements 
Avraham BURG

 

AVRAHAM BURG est religieux, ancien président (travailliste) du Parlement israélien et ancien président de l’Agence juive.

Plan de désengagement" : l’association des deux mots est devenue si banale qu’elle brouille la compréhension de ce dont il s’agit. Mieux vaut dire crûment la vérité : le gouvernement israélien n’a aucun "plan" véritable. Pis : il n’a rien pour colmater l’énorme trou noir apparu dans l’âme israélienne.

Ce plan n’a rien de véritable car il n’est qu’un acte conjoncturel du premier ministre. Mais ce "non-plan" a coalisé la fine fleur de l’opportunisme politique israélien : la vieille garde du travaillisme mue par son horloge biologique personnelle, des individus attirés par des fauteuils ministériels et des naïfs qui ne comprennent rien à ce qui se passe. Le processus qui a présidé à l’adoption de ce plan a fait exploser le peu qu’il restait de la culture politique israélienne et nous condamne pour de longues années à cette démocratie bancale apparue dans l’anarchie des derniers jours.

Car Ariel Sharon s’est affranchi de toutes les conventions politiques. Le mépris du premier ministre et des siens pour les décisions de leur propre parti a broyé le principe fondamental de la vie politique. Cependant, ce plan n’est pas seulement mauvais pour la manière dévoyée dont il a été adopté. Il l’est surtout pour son contenu. Il n’a ni partenaire ni vision, il ne regarde pas plus loin que le bout de son nez.

Nous avons affaire à une énorme escroquerie : le sacrifice d’une zone d’implantation sans importance ni signification à Gaza et aux abords du Sinaï contre la perpétuation des méfaits et de la perversion de l’âme israélienne au coeur d’Hébron, à Ytzhar, Beit El et au tombeau de Patriarches, transformés en autels pour y ligoter nos fils.

Et pourtant : c’est là le meilleur des pires désengagements possibles ! Après lui, non seulement la face de notre démocratie politique israélienne apparaîtra ridée, endommagée, mais d’ores et déjà, l’entreprise nationale d’illusions qui a pour nom colonisation s’engage vers son effondrement inéluctable. Sans doute pour cette raison cela vaut-il la peine de payer un tel prix !

L’existence d’Israël n’est pas assurée. Personne ne sait si nous survivrons en tant qu’Etat ou si nous nous disperserons de nouveau de par le monde. Je ne suis sûr que d’une chose : la rédemption ne viendra pas du messianisme, et l’expansion territoriale ne nous apportera pas le bien-être.

Au contraire, plus les colonies éloignées font en secret subir à d’autres le mal que ceux qui nous haïssent nous ont fait subir durant des générations, plus notre esprit national court à sa perte.

Longtemps, sous le titre de "sionisme", trois récits, mi-réalité, mi-fiction, ont nourri l’attitude israélienne : l’idole sécuritaire, la sanctification de l’implantation et la supériorité de la religion juive. Tous des thèmes puissants dotés d’imposants moyens, devenus des objectifs allant jusqu’à sacraliser ce qui, auparavant, paraissait interdit. Et même si au cours des dernières années nos seuls moments de sécurité ont été les brefs et fragiles intervalles où nous avons momentanément renoncé aux armes pour dialoguer, le dialogue est resté, pour nous, difficile.

Comme alternative réelle, le dialogue a été effacé de notre conscience. Au nom de la sécurité, il est permis de tirer et de tuer ; permis d’exproprier et de déposséder, de harceler et de maltraiter. Au nom de la sécurité, il est permis de perdre son âme. Prenez toutes les clameurs des colons quant à leur "discrimination" et leur "oppression", multipliez-les par autant qu’il vous plaira, et vous ressentirez ce que ressentent les Palestiniens depuis de longues années, sans que nous y prêtions la moindre attention.

Un cordon ombilical lie cette sécurité fallacieuse à la colonisation. Bien que cette illusion se soit régulièrement fracassée dans chaque guerre d’Israël, sécurité et implantations sont restées chez nous inextricablement imbriquées. Résultat : une barrière de protection sur la frontière, une barrière autour de nos colonies pour assurer leur sécurité, une autre pour boucler leurs localités -des Palestiniens- , une sur le Jourdain : ce pays n’est plus que barrières emprisonnant deux peuples terrorisés. Est-ce cela, la sécurité ?

Quant à la religion juive, quelles infamies lui fait-on subir ! Tant de mépris et de racisme se cachent derrière ces mots : "Un juif n’expulse pas un autre juif" -slogan des colons- . La croyance dans la supériorité des gènes. La souveraineté d’un peuple de maîtres, au nom de Dieu. Et un juif qui assassine un premier ministre juif, ça, ça va ?

Un juif n’est qu’un homme, avec ses faiblesses et ses forces. Rien n’est inné, ni garanti. Même le choix du peuple juif par Dieu n’est pas garanti s’il ne s’accompagne pas d’un engagement moral et d’un effort constant pour s’améliorer et se comporter humainement. Tout cela a été mis de côté pour laisser place au trident trompeur de ces dernières années : un judaïsme raciste qui s’appuie sur une colonisation violente et se protège derrière une conception sécuritaire fallacieuse.

Lorsque les colons me menacent de "guerre fratricide" , je dis stop. Sont-ils mes "frères" ? Non ! Je n’ai d’autres "frères" génétiques que mes deux soeurs. Mais j’ai des frères et des soeurs qui partagent avec moi un même esprit, des mêmes valeurs.

Si vous êtes un mauvais homme, un oppresseur geignard ou un occupant surarmé, vous n’êtes pas mon frère, même si vous observez le shabbat et toutes les règles religieuses. Et si un foulard couvre chacun de vos cheveux, que vous faites la charité et le bien, mais que ce qui siège sous votre foulard est tout entier tourné vers la sanctification de la "terre juive" , laquelle prime sur la sanctification de la vie humaine, vous n’êtes pas ma soeur, mais mon ennemie.

Disons-le : il n’y aura pas ici de "guerre fratricide". Si un conflit plus violent devait surgir, il se nommerait guerre civile. Car le conflit n’oppose pas entre eux les enfants du peuple juif dans leur diversité. Il s’agit d’une lutte sans merci entre les "bons" et les "méchants". Tous les bons d’un côté : les nôtres et les leurs -Palestiniens-. Contre tous les méchants. Et ceux-là, de part et d’autre, ne manquent pas...

La fin des récits sionistes classiques induit une question : quels seront les futurs récits nationaux israéliens si tant est qu’il y en ait. Observer le présent permet d’entrevoir un avenir. Les rubans orange des opposants au désengagement sont étroitement liés à la kippa, aux phylactères, au foulard, aux livres de prières et au vocabulaire religieux.

Leur noyau dur est principalement issu des publics religieux : les sionistes religieux, les ultra-orthodoxes nationalistes et des hybrides spirituels d’un judaïsme new age qui se manifeste dans des sauvageries sans frein sur les collines -de Cisjordanie-.

Les autres composantes israéliennes ne prennent pas part à la lutte. Les Arabes israéliens sont hors du coup et la majorité des juifs laïques en Israël assistent, sidérés, au "désengagement" physique et mental des colons religieux, ceux-là mêmes qui, jusque récemment, portaient haut le drapeau de l’identité juive sioniste israélienne moderne.

Quelque chose a dérapé chez les religieux. Désormais, leur valeur suprême, la "terre d’Israël" , ne s’oppose plus à des valeurs comme la vie, la modernité occidentale ou l’aspiration à la paix et au bien-être. Non, elle se dresse carrément contre l’Etat d’Israël. On est loin d’une occupation se déroulant hors de tout regard ou de l’exécution de Palestiniens innocents, passe-temps de quelques "originaux". On est dans une guerre déclarée contre tous les symboles du pouvoir souverain. Les "oranges" contre l’armée et ses soldats, les colons contre la police et ses policiers, les croyants contre la démocratie, son autorité et ses élus !

C’est parce que l’instinct israélien fondamental est démocratique que le système démocratique, au-delà de tous ses manques, est bien le seul qui nous permette de continuer à vivre ensemble et à nous accorder sur la manière de ne pas être d’accord. Le défi lancé par la halakha -la loi religieuse- à la loi, par la synagogue au Parlement, par les rabbins à la souveraineté, ça, c’est un vrai "désengagement" !

Jusqu’à l’initiative tordue d’Ariel Sharon, les contenus et les valeurs étaient en Israël comme brouillés. Tous les courants de la droite tentaient vainement de réunir judaïsme, nationalisme territorial et démocratie dans un même sac politique.

La gauche faisait face. "Ce n’est pas ça le judaïsme", "telle n’est pas notre vision nationale", clamait-elle. Et ses larmes coulaient sur la démocratie agonisante face à l’occupation, à ses mensonges et à ses illusions. Une gauche stérile et pétrifiée, à laquelle on avait arraché son clairon identitaire et le drapeau du patriotisme elle qui avait érigé l’Etat ! pour les transférer, sans honneurs ni aménités, dans les mains de nouveaux porte-drapeaux : les nationaux-religieux.

D’un coup d’épée soudain, Ariel Sharon a tranché ce noeud inextricable. Il est alors apparu qu’une nationalité nationaliste et une religiosité qui ne s’appuient que sur la halakha et ses maîtres ne peuvent coexister avec le vrai noyau identitaire regroupant la majorité des Israéliens, modernes, démocrates, disposés au compromis. Voilà une occasion unique pour une société qui tente de modifier ses perspectives. Un espace s’ouvre pour des vents nouveaux et des idées originales. L’"israélité" peut de nouveau revendiquer sa part dans la responsabilité juive.

Il y a une nécessité vitale et pressante à faire émerger une identité israélienne nouvelle dont les premiers termes ne seraient pas "un juif ne fait pas", mais "un juif fait". Un juif maintient un lien étroit et naturel avec les sources spirituelles de la culture juive. Il a une interprétation moderne des préceptes et des règles devenus obsolètes. Il intègre tradition et progrès. Un juif fait la synthèse entre judaïsme et universalité, judaïsme et israélité. Pour ce juif positif, Israël est un pays généreux, ouvert à l’autre, à celui qui est différent et à celui qui vit parmi nous.

Son judaïsme dit oui à la paix et non à la xénophobie. Sa culture nationale est celle de quelqu’un qui a confiance en soi et aspire à la paix, pas d’un paranoïaque qui ne s’appuie que sur la violence des armes.

Je ne crois ni dans ce désengagement, ni dans ceux qui l’entreprennent. Politiquement, je n’entrevois, après lui, que des jours sombres.

C’est parce que je ne crois qu’au dialogue non violent à long terme et uniquement dans un rejet absolu et commun des plaies malignes qui nous rongent nous et eux -les Palestiniens- que, au coeur de cette marée orange et noire, ce désengagement est une lueur d’espoir. Il est clair que ce retrait douteux concerne d’assez loin le terrorisme et nos voisins palestiniens. Mais il est un petit pas en avant pour se désengager de la folie nationaliste qui a pris le contrôle de notre identité.

Article paru dans le journal israélien Ha’aretz

Traduit de l’hébreu par Sylvain Cypel in LE MONDE du 17.08.05


Source : AFPS
http://www.france-palestine.org/article2104.html


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