AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   



Tracé modifié, mais pas de démantèlement


Christiane Gillmann

 
Un pas en avant, un pas en arrière. Ainsi procède, ces dernières semaines, la Cour suprême d'Israël quand il s'agit du Mur, comme si elle était déstabilisée par l'avis de la Cour internationale de justice.

Cet avis a en tout cas fait son entrée officielle le 19 août dans le prétoire de la Cour suprême d'Israël siégeant en Haute Cour de justice. Il s'agit là d'une formation de trois des douze magistrats qui la composent et qui traite uniquement les litiges opposant au gouvernement israélien les personnes qui ont à s'en plaindre. Les décisions évoquées ici ont été le fait de la Cour suprême siégeant en Haute Cour de justice, présidée par son président, Monsieur Aaron Barak, et elles ont été rendues dans trois des dix affaires engagées à ce jour par des habitants de villes et de villages de Cisjordanie affectés par le Mur : huit bourgades et villages situés au nord-ouest de Jérusalem dont les demandes ont été regroupées sous le nom de l'un d'eux - Beit Surik -, la ville d'Al Ram qui se trouve sur la route reliant Jérusalem à Ramallah et deux localités situées à 40 km au sud de Qalquilya - Budrus et Shuqba. De ces trois affaires, seule la première - Beit Surik - a reçu une solution définitive avec l'arrêt du 30 juin dont on a alors beaucoup parlé. Les deux autres affaires n'ont encore fait l'objet que d'une ou deux audiences au cours desquelles la Cour Suprême a pris - ou refusé de prendre - les mesures provisoires sollicitées par les demandeurs.

Le 19 août a eu lieu la première audience que la Cour consacrait à l'instance engagée par des habitants et les responsables municipaux de Budrus et de Shuqba en vue de faire annuler les saisies dont leurs terres avaient été l'objet de la part de l'armée israélienne pour la construction du Mur. Les avocats des demandeurs, Me Fatma Al-Ajou [1] et Me Mohammed Dahla, ainsi que les militants présents dans la salle d'audience, ont eu la bonne surprise d'entendre le président Barak inviter le général qui représentait le gouvernement israélien à faire connaître sous trente jours, et de manière détaillée, les conséquences qu'il tire de l'avis de la CIJ.

Mais à leur grande déception, la Cour n'a pas ordonné à l'armée de suspendre les travaux de construction du Mur jusqu'au prononcé de sa décision. Ce qu'elle avait fait, fin mars et à la mi-juin, respectivement dans les affaires Beit Surik et Al Ram.

Ce qui s'est produit le 28 août, précisément dans cette derniére affaire, semble encore plus grave. Certes le président Barak a invité les parties à péciser par écrit leurs positions au regard de l'avis de la CIJ. Mais l'armée, qui réclamait la levée de l'ordre de suspension des travaux, a eu gain de cause, après avoir obtenu de la Cour qu'elle entende un officier supérieur de la police des frontières, qui leur a évidemment expliqué quelles conséquences fatales aurait un nouveau retard dans la construction du Mur.

L'affaire Beit Surik et l'arrêt du 30 juin

Dans cette affaire que la Cour Suprême avait examinée pour la première fois le 29 février, elle a rendu le 31 mars une décision sans précédent, puisqu'elle a alors ordonné à l'armée de suspendre la construction du Mur qui menaçait plusieurs des localités demanderesses. L'arrêt rendu le 30 juin n'est pas moins intéressant, bien qu'il ne constate pas l'illégalité du Mur contrairement à la CIJ.

Ce qui frappe à la lecture de cette décision de 46 pages, c'est le soin extrême avec lequel elle a été rédigée et qui dénote manifestement, de la part de ses auteurs, l'intention de faire date. Un arrêt de la Cour suprême d'Israël est en soi important, car dans ce pays où il n'y a pas de constitution et peu de lois écrites, c'est elle qui " fait la loi ". Or cet arrêt du 30 juin marque des avancées notoires par rapport aux positions antérieures.

En ce qui concerne par exemple la quatrième Convention de Genève, l'arrêt y fait maintes fois référence, pour définir les prérogatives de l'armée occupante, mais aussi ses obligations envers la population occupée et les droits de celle-ci en général. Comme si son application aux territoires palestiniens occupés ne faisait désormais plus problème.

Avant d'examiner d'autres aspects de cet arrêt, rappelons tout de même qu'il a fait droit aux demandes de sept des huit villages (Beit Surik, Biddu, El Kabiba, Katane, Beit A'anan, Beit Likia, Beit Ajaza et Beit Daku, l'armée israélienne ayant modifié le segment de route qui empiétait sur les terres de la huitième localité, Beit Sira) qui sollicitaient l'annulation des saisies dont leurs terres avaient fait l'objet pour la construction du Mur. Mais, alors que des hectares de cultures ont d'ores et déjà été éradiqués, la Cour a décidé non le démantèlement du Mur mais son déplacement.

Les juges de la Cour suprême n'ont pas déclaré l'illégalité de ce Mur. Ils ont décrété le droit pour l'armée israélienne de le construire en s'appuyant sur une lecture de l'article 53 de la quatrième Convention de Genève qui fait interdiction à l'armée occupante de détruire des biens mobiliers ou immobiliers " sauf si ces destructions étaient rendues absolument nécessaires par les opérations militaires ". Ils ont pris soin de préciser au paragraphe 27 que l'armée n'aurait pas le droit de procéder à la construction d'une telle " barrière " si ses mobiles étaient politiques, par exemple si elle avait ainsi l'intention d'annexer des territoires palestiniens ; et de rappeler que, du temps de Menahem Begin, ils avaient annulé des saisies de terres effectuées pour la construction d'une " ville civile juive ", en d'autres termes d'une colonie. D'ailleurs, l'illégalité du mur n'était pas sérieusement alléguée par l'avocat des villages ; en effet, pour mettre toutes les chances de leur côté, Me Mohammed Dahla avait fait appel aux services du Council for Peace and Security, une association constituée notamment de hauts officiers à la retraite, et qui avait produit une expertise concluant que le tracé de la " barrière " assurerait une plus grande sécurité s'il empruntait en fait la Ligne verte. D'autres Israéliens sont intervenus dans cette instance, une trentaine d'habitants de Mevasseret Zion, une ville séparée de Beit Surik par la Ligne verte, pour dire qu'ils ne voulaient pas d'un Mur entre eux et leurs amis palestiniens.

Ce n'est donc pas au nom de l'illégalité des 30 km de Mur devant empiéter sur les terres de ces sept localités palestiniennes que la Cour Suprême a fait droit à leurs demandes. Ses juges se sont basés sur un principe de proportionnalité entre les besoins de sécurité du gouvernement israélien et les torts causés aux villageois palestiniens par la satisfaction de ces besoins ; et ils ont trouvé excessif que, pour assurer une sécurité dite parfaite aux citoyens israéliens, il faille ainsi priver ces villageois de leurs pâturages, des terres cultivées par leurs ancêtres depuis des générations, séparer les enfants de leurs écoles et les malades de leurs centres de soins habituels, arracher enfin leurs arbres.

Les juges de la Cour internationale de justice ont depuis lors estimé que le Mur enfreignait le principe de " l'inadmissibilité de l'acquisition de territoires par la guerre ", après avoir relevé que le tracé du Mur englobait 80% des colonies implantées dans les territoires palestiniens (en infraction à l'article 49 de la quatrième Convention de Genève) et qu'il équivalait à une annexion. Les représentants d' Israël avaient vainement argué du caractère " temporaire " dudit Mur. Le caractère temporaire du Mur étant affirmé dans tous les textes israéliens officiels, le juge Barak et ses assesseurs auront-ils le courage de mettre en doute, à leur tour, les intentions affichées par leur gouvernement ? Nous le saurons rapidement.

Christiane Gillmann

L'une des avocats de l'ACRI (Association for Civil Rights in Israël), très active dans la bataille judiciaire contre le Mur.

Source France Palestine  http://www.france-palestine.org/article724.html

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