AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   



Mon voisin Issa

par Marie-Jo (IWPS)

Hares, le 13 Décembre 2004

Issa a une trentaine d'année, il est palestinien. Le 15 Mai 2001, jour de commémoration de la Nagba - « la Catastrophe » pour les Palestiniens, en référence à la création de l'Etat d'Israël en 1948 - alors qu'il faisait rentrer les enfants pour les mettre à l'abri d'une incursion de l'armée dans
son village, une balle l'a rendu paraplégique.

3 ans après, le 15 Mai 2004, il a écrit une lettre ouverte aux 2 soldats qui l'ont cloué sur un fauteuil roulant jusqu'à la fin de ses jours.

Issa est souriant, aimable et parle de paix lorsqu'on lui rend visite.

Il continue à oeuvrer pour la justice et la fraternité. C'est avec de jeunes israéliens que nous sommes allés le voir, aujourd'hui.

Transmettre sa lettre me paraît une manière de rendre hommage à son courage.

Sa voix est douce et sans haine, son sourire et son regard direct témoignent de la sincérité de son engagement pour la non-violence.

Son rêve ? Que justice soit faite aux Palestiniens pour qu'ils puissent vivre en paix avec leurs voisins.

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J'éprouve de la pitié pour vous parce que vous êtes devenus des tueurs
par Issa

« Je me souviens de vous. Je me rappelle vos visages ahuris lorsque vous étiez debout au-dessus de moi et ne vouliez laisser approcher personne qui puisse m'aider. Je me rappelle ma voix qui faiblissait lorsque je vous ai dit : « Soyez humains et laissez mes parents venir à mon secours ». Je garde toutes ces images dans ma tête : ma position par terre, ma voix faible, ma respiration courte à cause du sang qui remplissait mes poumons. Je ne vous cacherai pas que, malgré cela, j'avais pitié de vous. Je me sentais fort parce j'avais des forces insoupçonnées auparavant.

C'était il y a exactement trois ans. J'étais sorti en courant de la maison pour chercher les enfants et les protéger de vos gaz lacrymogènes. Je ne croyais pas que vos balles seraient réelles ou des balles dumdum, qui sont interdites par les lois internationales. J'ai pu mettre les enfants à l'abri
de votre feu et je ne regrette pas cela.

Je vous plains parce que vous êtes devenus des assassins. Depuis tout jeune, j'ai détesté tuer, abhorré les armes, le sang, tout comme je hais l'injustice et que je la combats. C'est la vie telle que je l'ai comprise étant gamin et c'est cet esprit que j'ai enseigné à d'autres. J'ai mis toute mon énergie au service de la paix et de la justice, et j'ai cherché à diminuer les souffrances causées par l'injustice. Oui, je vous plains parce que vous êtes malades : malades de haine, malades de susciter tant d'injustice, malades d'égoïsme, malades de la mort de la conscience sous couvert de pouvoir.  La guérison et la rééducation de ces maladies sont, comme pour la paralysie, très longues mais possibles. Oui, j'ai eu pitié de vous, pitié de vos enfants et de vos femmes et je me demande comment ils peuvent vivre avec vous alors que vous êtes des assassins. J'ai pitié de vous qui avez quitté votre humanité et vos valeurs et les préceptes de votre religion et même vos lois militaires qui interdisent de rentrer dans les maisons et de battre les civils, parce que cela démolit le moral du soldat, sa force et sa virilité.

J'ai eu pitié de vous qui vous dites les victimes des Nazis d'hier et je ne comprends pas comment la victime d'hier devient le criminel d'aujourd'hui. Cela me fait peur par rapport à la victime d'aujourd'hui - mon peuple est la victime d'aujourd'hui - et j'ai peur, qu'eux aussi, deviennent les criminels de demain.  Je vous plains d'être devenus les victimes d'une culture qui considère que, pour vivre, il faut tuer, détruire, semer la peur et la terreur, imposer son pouvoir à d'autres. Malgré tout cela, je crois à la réparation et au pardon. Je crois qu'il vous est possible de recouvrer votre humanité et votre sens moral. Vous pouvez vous remettre de vos maladies de haine et de désir de revanche et, si un jour, nous nous rencontrions, même dans ma maison, soyez sûrs que vous ne me trouverez pas avec une ceinture d'explosifs ni un couteau dissimulé dans ma poche ou les roues de ma chaise roulante. Vous trouverez, au contraire, quelqu'un qui vous aidera à retrouver ce que vous avez perdu.

Vous trouverez ici un enfant doux et fragile, dont l'âge est le même qu'à la seconde où vous avez tiré, et qui ne verra jamais son père debout sur ses jambes, un enfant plein de fierté et de force, même s'il doit pousser la chaise roulante de son père. Même si j'ai des raisons de vous haïr, je ne ressens pas de haine et je n'ai pas de regret. »
 
Traduit de l'anglais par Dorothée (IWPS)

Source : Jean-Claude Perron

Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62,  parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue."

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